CHAPITRE 11 DU BIEN « L'homme qui a fait réflexion sur lui-même, écrit Bossuet, a connu qu'il y avait dans son âme deux puissances ou facultés principales, dont l'une s'appelle entendement et l'autre volonté, et deux opérations principales, dont l'une est entendre et l'autre vouloir. « Entendre se rapporte au vrai, et vouloir au bien. «Toute la conduite de l'homme dépend de ces deux puissances. L'homme est parfait quand, d'un côté, il entend le vrai, et que, de l'autre, il veut le bien véritable, c'est-à-dire la vertu. « Mais comme il ne lui arrive que trop souvent de s'égarer dans l'une ou l'autre de ces actions, il a besoin d'être averti de ce qu'il faut savoir pour être en état, tant de connaître la vérité, c'est-à-dire de bien raisonner, que d'embrasser la vertu, c'est-àdire de bien choisir. « De la naissent deux sciences nécessaires à la vie humaine, dont l'une apprend ce qu'il faut savoir pour entendre la vérité, et l'autre ce qu'il faut savoir pour embrasser la vertu. «< Selon cela, la morale peut être définie une science pratique, par laquelle nous apprenons ce qu'il faut savoir pour embrasser la vertu (1). » Ces simples et substantielles paroles de Bossuet montrent assez par quels étroits rapports la morale, de même que la logique, se rattache à la psychologie, ou plutôt n'en est qu'une application. Effectivement, on l'a dit avec beaucoup de sens : « La morale, quand mème elle n'a pas le caractère d'une science; quand, toute de cœur et de sentiment, elle n'est, au lieu d'une déduction, qu'une inspiration de la conscience, procède encore d'une certaine connaissance de l'homme et de sa nature; elle a pour principe et fondement une sorte de (1) OEuvres complètes, t. XXV, p. 1; Logique, Introduction. psychologie instinctive, dont l'enfant lui-même n'est pas dépourvu (1). » C'est la constante leçon de la pratique. Livrés aux instincts de leur nature, les hommes agissent en conformité avec cette nature, comme ils pensent en conformité avec elle. La vie humaine ne persiste qu'à cette condition. Mais cet instinct devient peu à peu réflexion. Laissé à lui-même, il finirait par s'engourdir ou par s'oblitérer; converti en intelligence, sa vivacité s'accroît avec sa lumière. Les mœurs se perfectionnent par la science des mœurs. De là, la légitimité de la morale et son utilité. Or, qui ne comprend que, si la morale est légitime, parce qu'elle n'est en définitive que la connaissance méditée de principes innés, elle n'est utile qu'autant qu'elle résulte d'une étude fidèle de la nature humaine? Cette vérité est si simple, que toute démonstration en est, ce semble, superflue. La psychologie reste sans conteste « le principe de la morale; elle en est le principe, point pour point et sous toutes les faces (2). En effet, le problème de la science morale se di M. Damiron; Morale, Préface. 2 Id., ibid. vise en deux parties : déterminer la fin de l'homme, ou, ce qui est la même chose, sa loi, c'est l'objet de la morale générale, qu'on peut appeler morale spéculative; régler les actions de l'homme en vue de cette fin, conformément à cette loi, c'est l'objet de la morale particulière ou pratique. Mais comment déterminer la fin de l'homme ou sa loi? Comment établir ensuite, à l'aide de cette loi, le système de ses devoirs? Évidemment, la question de savoir si l'homme a une loi et quelle est cette loi est une question de fait c'est à la conscience qu'il appar tient de la résoudre. En d'autres termes et sommairement, qu'est-ce que la morale? La science pratique du bien. Qu'estce que le bien? Le bien, pour un être, consiste dans l'accomplissement de sa fin. Et qu'est-ce que la fin d'un être? La destination même de sa nature. Par conséquent, la connaissance de la nature de l'homme est indispensable pour connaître, avec la fin de l'homme, le bien de l'homme. La psychologie pose donc les prémisses de la morale; toute la morale n'est qu'une déduction de la psychologie. Aussi ne me proposé-je point principalement d'établir que ce n'est pas d'une manière arbitraire et à priori que l'on peut déterminer un système de morale. Nul ne l'a jamais prétendu. Législateurs, moralistes, tous ceux qui ont reçu ou se sont donné la mission de diriger l'homme ont déclaré l'avoir étudié et le connaître. Je désirerais principalement montrer que, la plupart du temps, cette étude a été incomplète, cette connaissance tronquée, et qu'ainsi trop souvent, en croyant diriger l'homme conformément à sa nature, on l'a, au contraire, détourné de ses voies naturelles. Je voudrais donc, substituant à des aperçus sur l'àme humaine une vue de l'âme humaine, déter miner, sans surfaire l'homme ni le rabaisser, les lois qui lui conviennent, dont l'observation assure son bien, dont la violation produit son mal; qui, obéies ou négligées, l'acheminent à sa destinée ou l'en détournent. Pour cela, j'aurai recours à l'analyse. L'homme est un être complexe, qu'il faut en quelque sorte décomposer, afin de distinguer les éléments divers qui le constituent. Mais, d'un autre côté, l'homme est un vivant, et dans son fond il est un. Par conséquent, il devient indispensable de reconnaître les rapports de ces divers éléments entre eux, leur subordination, la fin totale ou dernière, à laquelle aboutissent les fins particulières. A l'analyse doit succéder la synthèse. De la sorte, au-dessus des biens particuliers de l'homme, multiples comme les |