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Ajoutons que l'habitude de la lutte en adoucit l'amertume, et que peu à peu nos facultés, liberté, sensibilité, intelligence, tendent à se mettre en harmonie. C'est cet état harmonieux de l'âme, qui s'appelle la sainteté.

Ainsi, l'innocence comme point de départ, la sainteté comme terme, la vertu comme moyen, en trois mots, voilà le secret de la destinée humaine révélé par une observation fidèle de la nature humaine. La sainteté, de même que le souverain bien, est un idéal; l'objet de la vie est la lutte, la vertu, et non le bonheur.

Réunissant ces traits épars de l'analyse, j'ai maintenant à montrer de quelle sorte ils s'accordent, se coordonnent et s'offrent à nous simultanément, comme autant de parties intégrantes d'un phénomène unique, du phénomène moral.

Nous sommes ainsi faits que nous accomplissons volontiers les actions qui nous sont utiles, et que nous déclinons celles qui nous peuvent nuire. Il y a des actions néanmoins qui n'ont aucun rapport à nous, et que nous ne laissons pas que de qualifier de bonnes ou de mauvaises.

la Science du bonhomme Richard; heureux.

Droz, Essai sur l'art d'être

Par exemple, un crime a été commis sous nos yeux; quoique personnellement nous n'en ayons pas souffert, nous le détestons. Regardons-y de près, et nous nous convaincrons que, sous ce sentiment, dont la vivacité varie avec le degré même du crime, se trouvent enveloppés plusieurs jugements. Nous jugeons en effet : 1° que l'action est mauvaise en elle-même; 2° que l'agent était tenu de ne pas la faire; 3o qu'il était libre de ne pas la faire; 4o qu'il a démérité en la faisant.

Supposez, au contraire, que nous soyons témoins d'une bonne action. Quoique personnellement nous n'en ayons tiré aucun profit, nous éprouvons pour l'agent une sympathie qui s'accroît en raison même de la moralité de l'acte accompli. Et sous ce sentiment se cachent plusieurs jugements; car nous jugeons: 1° que l'action est bonne en elle-même; 2o que l'agent était tenu de la faire; 3° qu'il était libre de la faire; 4° qu'il a mérité en la faisant.

Ou il faut renier jusqu'au sentiment même, ou il faut avouer que ce sentiment recouvre le jugement d'où suit la distinction essentielle du bien et du mal; ce jugement une obligation absolue; cette obligation la notion d'une causalité intelligente et libre. Il faut avouer aussi que la distinction du mérit

et du démérite, correspondante à celle du bien et du mal, renferme le principe de l'alliance naturelle de la vertu et du bonheur.

Mais varions l'expérience et interrogeons-nous nous-mêmes, suivant que nous avons bien ou mal agi.

Avons-nous bien agi? Nous éprouvons pour nousmêmes un sentiment d'estime; nous goûtons une joie qui varie avec la mesure même de la moralité de notre action. Or, ce sentiment ne naît en nous que parce que nous jugeons: 1° que notre action est bonne; 2° qu'elle était obligatoire ; 3° que nous étions libres de l'accomplir; 4° que nous avons mérité en l'accomplissant.

Avons-nous mal agi? Nous ressentons cette douleur particulière qui s'appelle le remords. Cette affection pénible ne se produit en nous que parce que nous jugeons: 1° que notre action est mauvaise; 2" que nous étions tenus de ne pas la faire ; 3o que nous étions libres de ne pas la faire; 4° que nous avons démérité en la faisant.

Je ne saurais trop insister sur la nature du sentiment moral, sur la place qui lui appartient, sur la portée qu'il convient de lui attribuer. Ce sont là en effet des données familières, immédiates, irrécusables de l'observation psychologique, et contre

lesquelles viennent nécessairement échouer les préventions et les systèmes.

Ce qui me frappe dans l'approbation et la désapprobation morale, c'est leur désintéressement et leur prodigieuse vitalité. Qu'il s'agisse d'un fait accompli à mille lieues du pays que j'habite ou à mille ans de l'époque où je vis, mon aversion ou ma sympathie ne s'en manifeste pas moins avec une énergie incomparable. J'aime Épaminondas et j'exècre Vitellius. Et pourtant me soucié-je des héros de Plutarque ou des tyrans du Bas-Empire? Il y a plus ces sentiments que ne parvient point à glacer l'état de désintéressement où je me trouve, mon intérêt même est impuissant à les neutraliser. Cet homme est mon ennemi ou mon rival: pourrai-je, dans le secret de mon cœur, ne pas estimer sa droiture ou ne point admirer son courage? Cet homme est mon frère ou mon bienfaiteur pourrai-je ne pas déplorer sa lâcheté ou ne point détester son infamie?

Le temps et les distances, la haine et l'amour ne sauraient abolir le mépris ou le respect. De même encore, le mépris et le respect restent inviolables à la puissance et à la richesse. Craindre le superbe sultan dans son sérail, au milieu de quarante mille janissaires, n'est pas le respecter, et tous les trésors

du monde amassés dans des mains impures n'affranchiront pas leur possesseur de mon mépris!

Non plus que l'approbation et la désapprobation morale qui s'adressent à autrui, la joie de la conscience et le remords ne se confondent avec aucun autre sentiment (1). Que me font les jugements des hommes et leurs vengeances, si j'ai bien agi? Le témoignage de ma conscience ne me suffit-il pas?

Populus me sibilat, at mihi plaudo

Ipse domi..

Ou si les hommes me louent, que valent ces louanges, au prix du sentiment délicieux qui remplit mon âme? Ni applaudissements, ni succès, aucune joie ne surpasse la joie de la conscience. Aucun regret, aucune douleur n'égale en vivacité les peines cuisantes du remords. Qu'importent, Oc

(1) C'est là un fait que Montaigne a énoncé avec une singulière et familière vivacité : « La malice hume la plupart de son propre venin et s'en empoisonne! Le vice laisse comme un ulcère en la chair, unc repentance en l'âme, qui toujours s'esgratigne et s'ensanglante elle-même; car la raison efface les autres tristesses et douleurs; mais elle engendre celle de la repentance qui est plus griève, d'autant qu'elle naît au dedans, comme le chaud et le froid des fièvres est plus poignant que celui qui vient du dehors... Il n'est pareillement bonté qui

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