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Le bien en soi, le bien absolu, tel est donc avec toutes les conséquences qu'il entraîne, le principe de la morale. Se conformer au bien constitue le devoir de l'homme.

Cela posé, il est aisé de déterminer ses principaux devoirs. Cicéron distingue parfaitement dans tout homme quatre personnes différentes.

Il y a d'abord l'individu, qui est tel ou tel, qui s'appartient à soi-même, qui a la libre disposition de soi. C'est la personne proprement dite.

Il y a, en second lieu, l'être moral, qui se retrouve le même chez tous les hommes, qui leur confère la qualité même d'homme, qui exprime en chacun d'eux le type impersonnel de la moralité.

Il y a, troisièmement, le pauvre ou le riche, l'homme d'illustre ou d'obscure naissance, de noble ou de basse condition.

Quatrièmement enfin, il y a l'homme qui occupe tel ou tel emploi, court telle ou telle carrière, qui a telle ou telle existence.

La condition et la vocation font le personnage; la moralité et la liberté font la personne. Or, le personnage n'est rien pour l'homme; car le personnage n'est qu'un accident. Ce qui est essentiel à l'homme, c'est, avec la moralité, la liberté. Accommoder sa liberté à la moralité; respecter et

développer dans sa personne le type moral, qui est impersonnel, voilà sa loi. Les applications particulières de cette loi sont simples à déduire, comme aussi il est aisé de les ramener à une doctrine où se découvrent leur enchaînement et leur subordination.

La personne humaine est âme et corps. Étroitement unie au corps, l'âme éprouve le contre-coup de toutes les impressions qui le frappent. Le corps est l'intermédiaire par où elle communique avec le dehors. A ce double titre, le corps réclame nos soins et nous impose des devoirs. Nous sommes tenus non-seulement de n'y pas porter atteinte, mais encore d'en nourrir la vie et d'en faciliter l'expansion. L'accomplissement de ces devoirs intéresse directement notre âme. « Mens sana in corpore

sano. »

En vain une philosophie quintessenciée et romanesque voudrait-elle faire abstraction du corps.

« Le corps, cette guenille, est-il d'une importance,
D'un prix à mériter seulement qu'on y pense,

Et ne devrions-nous pas laisser cela bien loin (1) ? »

Une philosophie vraiment humaine et qui s'ac

(4) Molière, Les Femmes savantes, acte II, scène VII.

corde avec le sens commun ne peut manquer de repousser cette sublimité mensongère.

« Oui, mon corps, c'est moi-même, et j'en veux prendre soin. Guenille, si l'on veut; ma guenille m'est chère (1). »

Ce n'est pas qu'il faille davantage tomber dans l'excès contraire, de telle sorte que la morale tout entière se ramène à l'hygiène (2), ou qu'on en vienne à réhabiliter la chair, sans souci et au mépris des droits de l'esprit (3).

Encore une fois, le corps ne vaut que par rapport à l'âme. Quoiqu'il ait une vie propre et qui influe sur la vie de l'âme, la vie de l'âme, à son tour, n'influe pas moins sur la vie du corps. Qu'estce, en effet, par exemple, que la tempérance, sinon une vertu de l'àme (4)? Que sont, d'autre part, nombre de maux qui affligent le corps, la mélancolie, la folie, sinon expressément des maux de l'âme? Négliger l'àme pour le corps, ce serait donc,

(1) Molière, Les Femmes savantes, acte II, scène vui. (2) Volney, Saint-Lambert.

3) Enfantin, 1858.-Saint-Simon, 181 Science de l'Homme, Paris, in-4°. Cf. Allocutions et Discours, par Abel Transon. Paris, 1830-31.

(4) Cf. Hygiène de lâme, par Feuchtersleben; trad. française, 1860, in-12.

par un infaillible mécompte, négliger même le corps; mais, surtout, ce serait négliger ce qui en nous est nous-mêmes. Instrument de l'âme, le corps est destiné à servir; et si les fins de l'âme l'exigent, elle doit vouloir et pouvoir le mener jusqu'à la mort même. C'est sur notre âme que nous avons essentiellement à veiller. Appliquer notre intelligence à connaître le vrai et aussi à goûter le beau; tourner notre sensibilité à des affections raisonnables et légitimes; fortifier notre activité et la rendre maîtresse d'elle-même, tels sont envers l'âme nos principaux devoirs. Les pratiquer, c'est devenir chaque jour meilleurs; et devenir meilleurs, c'est mériter; c'est, en accomplissant notre destinée, nous assurer le bonheur par la vertu.

La vie présente, aussi bien, n'est qu'une épreuve. Une plante, après avoir fleuri, se dessèche sur sa tige; un animal expire et rend aux éléments des organes qui se dissolvent. Nous ne concevons ni pour la plante, ni pour l'animal une autre destinée. Il n'en est pas ainsi de l'homme. Quand il a vécu, ni ses aspirations ne sont satisfaites, ni ses notions de justice réalisées; et seul entre tous les êtres qui l'environnent, au delà de cet étroit horizon d'un jour, il a le droit de prétendre aux perspectives infinies de l'immortalité. Il a ce droit, parce qu'il

avait un devoir, et qu'il serait absurde que le mépris ou l'observation de ce devoir ne reçût pas enfin sa peine ou sa récompense.

« Nous avons une faim divine, écrit poétiquement Jean-Paul, le goût d'un Dieu; et la terre ne nous offre que la nourriture des bêtes. La partie terrestre de moi-même se laisse nourrir et remplir de terre, comme le ver qui rampe à nos pieds; mais l'autre partie demande de plus nobles aliments. Le travail, la douleur corporelle, la faim dévorante des besoins matériels et le tumulte des passions sensuelles peuvent étouffer ces nobles dispositions, qui ne se développent que lorsque ces premiers besoins de la vie sont satisfaits. Mais du moment que la bête qui est en nous est apaisée, que sa faim et sa soif se sont assouvies par de grossiers aliments, alors l'homme intérieur réclame son nectar et son ambroisie. Lorsqu'il n'est nourri que de terre, il se change, dans son désespoir, en un Dieu infernal, qui pousse au suicide, ou en un assoupissement qui corrompt toutes les joies. La faim éternelle de l'homme, l'insatiabilité de ses désirs, ne demande pas plus de nourriture, mais une autre nourriture. Comment une belle âme serait-elle heureuse ici-bas? Des étrangers, qui, nés sur des hauteurs, sont condamnés à vivre dans les basses con

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