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sans réponse aucun des problèmes qui intéressent la morale; si bien que les progrès de la morale dépendent manifestement des progrès mêmes de la psychologie.

De l'accomplissement de ses devoirs envers luimême dépend l'accomplissement des autres devoirs de l'homme, et le fondement de ses devoirs envers lui-même devient le fondement de ses devoirs envers ses semblables et envers Dieu.

Cependant, à la science du bien se rattache la science du beau, à la morale l'esthétique.

CHAPITRE III

DU BEAU

Si la dénomination d'esthétique est toute moderne (1), la science du beau, que ce mot désigue, est, au contraire, fort ancienne. De tous temps, les plus fines intelligences, ou les plus sublimes, se sont appliquées à en déterminer les principes, et presque toujours elles se sont crues obligées de finir par avouer que la divine essence du beau était restée insaisissable à leurs recherches les plus opiniâtres.

(4) On sait que c'est un disciple de Wolf, Bauingarten, qui introduisit cette expression dans le langage. Esthetica. Francfort, 1750-58; 2 vol.

LA NATURE HUMAINE.

17.

On concevrait, en ellet, malaisément une science plus capable que l'esthétique d'attirer tour à tour et de rebuter. D'une part, quel problème plus charmant que celui du beau, et quelle question en apparence plus facile que celle dont la solution se trouve écrite dans la raison de l'homme comme dans son cœur, dans les œuvres qu'enfante son activité comme dans le spectacle splendide que l'univers étale sans cesse à ses regards? D'un autre côté, comment espérer définir ce qui jusqu'alors a paru indéfinissable? Comment assigner en termes précis les éléments d'une science, qui semble relever avant tout de cette faculté capricieuse qu'on appelle l'imagination, et dont les règles demeurent manifestement impuissantes là où manquent l'inspiration et le génie ? L'embarras s'accroît encore, si on remarque que ce n'est point assez de proposer une théorie du beau, mais qu'il faut en outre que cette doctrine se trouve vérifiée par une application directe des principes qu'elle affirme, aux beautés les plus certaines de la nature, de la poésie et des arts. Car, après tout, il y a des beautés qui sont placées au-dessus de la discussion, et qu'acclame en quelque sorte le consentement universel des esprits cultivés.

De ces délicatesses infinies, de ces difficultés

inhérentes à la science du beau sont nées les définitions les plus disparates du beau. Pour n'en rapporter que quelques-unes, empruntées aux modernes, Burke définit le beau les qualités des corps, par lesquelles ils produisent l'amour. Hemsterhuis estime que l'âme juge le plus beau ce dont elle peut se faire une idée dans le plus court espace de temps. Le Père André dit du beau que, quel qu'il soit, il a toujours pour fondement l'ordre et pour essence l'unité. Crousaz assigne au beau comme caractères la variété, l'unité, la régularité, l'ordre, la proportion. Suivant Diderot, c'est la notion de rapports qui constitue la beauté. Marmontel professe que les trois qualités du beau sont la force, la richesse et l'intelligence. Winkelmann, répétant Platon, déclare que le beau est une chose dont il est plus facile de dire ce qu'elle n'est pas que de dire ce qu'elle est.

Serait-il donc impossible d'arriver à des précisions touchant la science du beau? Ou plutôt, n'y aurait-il aucune science du beau, et faudrait-il, en somme, se ranger à l'opinion de Stewart, qui prétend qu'il n'y a de commun entre les objets beaux que le nom qu'ils portent, et que le beau en soi n'existe pas? Qui voudrait en venir à ces termes de scepticisme? Quoi! le genre hu

main, dans son admiration naïve pour la beauté, aurait été perpétuellement le jouet de l'illusion, et c'est à un vain fantôme qu'il aurait adressé ses hommages et son enthousiasme! Quoi! les plus pénétrants génies de tous les siècles se seraient évertués à définir un pur mot et à fixer une chimère! Quoi! il n'y aurait dans le goût rien que d'arbitraire et dans les arts rien que de convenu; de telle sorte qu'on ne saurait assigner de différence effective entre la Vénus de Praxitèle et la Vénus des Hottentots, entre un tableau de Raphaël et la toile d'un peintre médiocre, entre l'Iliade d'Homère et la Pharsale de Brébeuf? Le sens commun suffit à repousser d'aussi étranges assertions. Il convient donc de reconnaître toutes les obscurités qui enveloppent la science du beau. Mais ce serait une erreur grave, et qui n'irait à rien moins qu'à la négation même de toute science, que de nier qu'il y ait une science du beau.

Les difficultés qui se présentent, lorsqu'on entreprend de déterminer les principes de la science du beau, sont d'ailleurs de deux sortes. Les unes sont inhérentes à l'objet même de cette science, et s'atténuent peu à peu par des efforts continués. Les autres tiennent uniquement au vice même de la méthode qu'on emploie, et, par conséquent,

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