Et d'abord, que l'homme se consulte, et il se convaincra que le sentiment de Dieu est aussi inséparable de son cœur que l'idée de Dieu de sa raison. « Nous sommes ramenés à la créance de Dieu, écrit très-judicieusement Montaigne, ou par raison ou par force. L'athéisme étant une proposition comme dénaturée et monstrueuse, difficile aussi et malaisée d'établir en l'esprit humain pour insolent et déréglé qu'il puisse être, il s'en est vu assez par vanité et par fierté de concevoir des opinions non vulgaires et réformatrices du monde, en affecter la profession par contenance; qui, s'ils sont assez fols ne sont pas assez forts pour l'avoir plantée en leur conscience (1). » Pris à la lettre, l'athéisme n'est point une doctrine qui se puisse soutenir; c'est une maladie de l'àme, un déréglement, une protestation aveugle et toujours défaillante de la volonté contre des énergies d'évidence irrésistibles. Je n'entreprendrai pas d'exposer, ni même d'énumérer toutes les preuves psychologiques de l'existence de Dieu. J'affirme simplement, d'une part, que c'est dans l'âme seule que nous est vraiment donnée l'idée de Dieu; d'autre part, qu'il est impossible d'étudier l'àme et de ne 4) Essais, liv. II, chap. x. pas y découvrir cette idée. Cherchez Dieu hors de l'àme, et vous ne trouverez que de fantastiques images de Dieu; au lieu de Dieu, des idoles. Observez l'âme, et ses mouvements comme ses pensées vous deviendront autant d'éclatantes révélations de Dieu. Comment, en effet, jouir ou souffrir, désirer, espérer, aimer, sans se sentir tiré hors de soi par une force supérieure, mystérieuse, infinie? « Le moindre soupir de l'âme, écrivait en ce sens Hemsterhuis, le moindre soupir de l'àme vers le meilleur, le futur et le parfait, est une démonstration plus que géométrique de l'existence de Dicu!» D'un autre côté, comment concevoir l'être dans sa plénitude, l'infini, le parfait, sans se trouver du même coup en présence de l'être qui est cette plénitude même, cet infini, ce parfait ? Dira-t-on que le parfait n'est pas? Mais, remarque pertinemment Bossuet, «pourquoi l'imparfait serait-il, et le parfait ne serait-il pas? C'est-à-dire : pourquoi ce qui tient plus du néant serait-il, et ce qui n'en tient rien du tout ne serait-il pas? Qu'appelle-t-on parfait? Un être à qui rien ne manque. Qu'appelle-t-on imparfait? Un être à qui quelque chose manque. Pourquoi l'être à qui rien ne manque ne serait-il pas, plutôt que l'être à qui quelque chose manque? D'où vient que quelque chose est, et qu'il ne se peut pas faire que le rien soit, si ce n'est parce que l'être vaut mieux que le rien, et que le rien ne peut pas prévaloir sur l'être ni empêcher l'être d'être? Mais, par la même raison, l'imparfait ne peut valoir mieux que le parfait, ni être plutôt que lui, ni l'empêcher d'être... On dit: Le parfait n'est pas, le parfait n'est qu'une idée de notre esprit qui va s'élevant de l'imparfait qu'on voit de ses yeux, jusqu'à une perfection qui n'a de réalité que dans la pensée. C'est le raisonnement que l'impie voudrait faire dans son cœur ; insensé qui ne songe pas que le parfait est le premier, et en soi, et dans nos idées; et que l'imparfait, en toutes façons, n'est qu'une dégradation... Il y a primitivement une intelligence, une science certaine, une vérité, une fermeté, une inflexibilité dans le bien, une règle, un ordre, avant qu'il y ait une déchéance de toutes ces choses; en un mot, il y a une perfection avant qu'il y ait un défaut; avant tout déréglement, il faut qu'il y ait une chose qui est elle-même sa règle, et qui, ne pouvant se quitter soi-même, ne peut non plus ni faillir ni défaillir. Voilà donc un être parfait: voilà Dieu, nature parfaite et heureuse. Le reste est incompréhensible, et nous ne pouvons même pas comprendre jusqu'où il est parfait et heureux; pas même jusqu'à quel point il est incompréhensible (1). Le parfait est donc beaucoup plus que l'imparfait. Car le parfait c'est l'être, tandis que l'imparfait n'est qu'une diminution et comme un évanouissement de l'être. Car le parfait se conçoit en luimême, pourvu que la raison soit éveillée et « se rende attentive aux immortelles idées dont nous portons en nous-mêmes la vérité (2); » tandis que l'imparfait ne s'entend que par son opposition au parfait, dont il est la négation. De la sorte, l'existence de Dieu se montre plus encore qu'elle ne se démontre; et il en est, à cet égard, de l'être de Dieu comme des autres êtres, de mon propre être ou des ètres qui sont les corps. Me démontré-je mon existence personnelle? Démontré-je l'existence des corps? En aucune façon." Le raisonnement pourra survenir. Tout d'abord, la connaissance du moi, la connaissance du monde extérieur est intuitive. Il en est de même de la connaissance de Dieu. Je ne repousse aucune preuve, je ne rejette aucun des procédés par où l'âme est amenée ou ramenée à cette connaissance; mais je (1) OEuvres complètes, t. V, p. 3; Élévations sur les Mystères; première semaine, Ile Élévation. (2) Bossuet. remarque que la connaissance de Dieu est, avant tout, un objet d'intuition. C'est un fait, que je ne puis me connaître sans me connaître fini; et c'est un autre fait, que je ne puis me connaître fini, sans déclarer en moi comme la présence de l'infini. L'infini n'est pas la négation du fini; tout au contraire, Descartes l'a remarqué avec insistance, c'est le fini qui est la négation de l'infini. L'infini n'est pas non plus l'indéfini. Car, pour inconnues qu'elles puissent être, l'indéfini n'en a pas moins des limites, tandis que l'infini n'admet aucune borne. Sous cette notion souveraine se trouvent comprises toutes les idées qui expriment une face de l'être. Renoncer à cette idée, ce serait courir au néant; vouloir en décharger son esprit constituerait une entreprise insensée. Ce serait renoncer à la raison. On peut oublier cette idée, mais elle est inhérente à l'esprit humain; on peut l'obscurcir ou la laisser sommeiller dans les profondeurs de l'àme, mais elle subsiste comme l'indélébile empreinte de l'ouvrier sur son ouvrage. En la portant en nous, c'est Dieu que nous portons en nous-mêmes. Effectivement, d'où nous viendrait cette idée de l'infini, sinon d'un être infini? Toutes les preuves, toutes les démonstrations de l'existence de Dieu se ramènent à des applications spontanées ou réfléchies LA NATURE HUMAINE. 20 |