sommes sous la main d'un être invisible; c'est tout, et nous ne pouvons faire un pas au delà. Il y a une témérité insensée à vouloir deviner ce que c'est que cet être, s'il est étendu ou non, s'il existe dans un lieu ou non, comment il existe, comment il opère (1). » Ce langage de Voltaire est celui d'une école contemporaine qui professe avec superbe, avec emphase, que tout ce qu'on peut savoir de Dieu c'est qu'on n'en peut rien savoir (2), et qui affecte pué (1) Dictionnaire philosophique, article Dieu. A ce passage de Voltaire sceptique on aime à opposer quelques beaux vers de Voltaire mieux inspiré : (2) Je veux parler d'une jeune école qui, en réduisant la métaphysique à la fantise, se précipite, ête baissee dans le materiausme et l'athéisme. Voyez M. Dolfus, Leitres plulosophiques. Paris, 1857; -12. VII Lett e, Dieu ou la Loi; M. Taine, Les Philosophes français au XIXe siècle. Paris, 1857; in-12, chap. XIV, be la Methode. « Au supreme sommet des choses, ecrit l'auteur, p. 361, au plus haut de l'ether lumineux et inaccessible, se prononce l'axiome eternel; et le ret ntissement prolongé de cette formule créa rice compose, par es ondulations inépuisables, l'immensite de l'univers. » Un axiome qui se prononce! Un axiome dans l'éther! Une formule aux ondulations créatrices! Est-ce assez outrager la raison? Esl-ce rilement de craindre que déterminer l'idée de Dieu, ce ne soit limiter Dieu (1). Je le demande: un Dieu dont nous ne pourrions rien savoir, sinon que nous sommes perpétuellement sous son invisible main, ne serait-ce pas un Dieu assez d'amphigouri? Mais écoutons un des représentants les plus ambitieux de cette jeune école : « A ceux qui, se plaçant au point de vue de la substance, écrit M. Renan, me demanderont: Ce Dieu est-il ou n'est-il pas ? -Oh! Dieu, répondrai-je, c'est lui qui est, et tout le reste qui paraît être... Le mot Dieu étant en possession des respects de l'humanité; ce mot ayant pour lui une longue prescription et ayant été employé dans les belles poésies, ce serait renverser toutes les habitudes du langage que de l'abandonner... Dieu, providence, immortalité, autant de bons vieux mots, un peu lourds peutêtre, que la philosophie interprétera dans des sens de plus en plus raffinés, mais qu'elle ne remplacera jamais avec avantage. Sous une forme ou sous une autre, Dieu sera toujours le résumé de nos besoins suprasensibles, la catégorie de l'idéal (c'est-à-dire la forine sous laquelle nous concevons l'idéal, comme l'espace et le temps sont les catégories des corps, c'està-dire les formes sous lesquelles nous concevons les corps). Eludes d'histoire religieuse. Paris, 1858; in-8°, p. 418. Que l'on jette un regard sur la littérature contemporaine, et on se convaincra qu'elle est tout infectée de ce panthéisme subtil en apparence et au fond très-matériel. Cf. M. Poitou, Du Roman et du Théâtre contemporains. Paris, 1857; in-8". (1) Voyez M. Vacherot, la Métaphysique et la Science, ou Principes de Métaphysique positive. Paris, 1858; 2 vol. in-8°. « Quant à la personnalité de Dieu, il y faut décidément renoncer. Ce n'est pas que le langage de la théologie la plus rationnelle ne se prète de temps en temps à l'expression de cet attribut. L'école allemande elle-même parle de la conscience, de la liberté, mort, ou du moins un Dieu en tout comparable aux forces physiques qui nous enveloppent? Réduire toute science de Dieu à cette simple énonciation que Dieu existe, et prétendre qu'il serait téméraire, insensé, de tenter un pas au delà, n'est-ce point, en définitive, revenir, par un détour mal dissimulé, à l'athéisme? L'athéisme, en effet, est beaucoup moins une absolue négation de Dieu, laquelle de soi est impossible, que l'oubli de Dieu ou une notion de Dieu erronée, pervertie, monstrueuse tour à tour et insaisissable. de la personnalité divine. Seulement, gardons-nous de prendre cela à la lettre. Il n'y a qu'un moyen pour l'être infini et universel de devenir personnel, c'est de cesser d'être l'un et l'autre, c'est à-dire d'être Dieu. Mais comme, à parler rigoureusement, rien n'est en dehors de Dieu, et que tous les ètres de l'univers n'en sont que les diverses manifestations, ou peut dire de chacun de ces êtres qu'il est Dieu, à un moment donné de son activité. En ce sens, Dieu est Nature, Dieu est Esprit. En ce sens encore, on peut dire qu'il est personne, qu'il prend conscience de lui-même dans cette manifestation supérieure de son être qu'on appelle l'Humanité. C'est de cette manière que la philosophie allemande a pu définir la pensée la conscience de Dieu, et l'esprit le moi de l'EÊtre universel. Mais, en bonne métaphysique, ce langage n'est point correct. » T. II, p. 532, et ibid., p. 589. « Avec l'essor de la Pensée commence le règne du vrai Dieu. Idéal! idéal! tu es bien le Dieu que je cherche! Ta lumière est la seule qui puisse faire évanouir à jamais les deux fantômes de l'idolâtrie et de l'atheisme. » Si cette phraséologie a un sens, qu'y lire, avec la meilleure volonté du monde, sinon le panthéisme? Par bonheur, nous avons un degré, un point d'appui pour monter à la connaissance de Dieu. Ce point d'appui est en nous-mêmes, ce degré se rencontre dans la connaissance de l'âme. Et d'abord, il suffit de découvrir dans l'âme la notion du parfait, de l'infini, pour dégager l'idée de Dieu de mille erreurs qui l'offusquent et la dénaturent. L'idée de Dieu, en effet, étant identique à l'idée du parfait, de l'infini, il s'ensuit que rien de ce qui est contradictoire avec l'idée du parfait, de l'infini, ne peut être affirmé de Dieu. Ainsi la multitude et la multiplicité ne sauraient s'entendre de l'infini. Dieu est donc un et Dieu est simple. De même, être borné dans le temps et dans l'espace; être enclos dans la masse d'un corps; être assujetti au changement, serait manifestement contraire à la perfection. Dieu est donc éternel et immense, il est incorporel, il est immuable. J'avoue que ce n'est là qu'une connaissance négative de Dieu. J'avoue aussi que c'est à la logique bien plus qu'à la psychologie qu'il la faut rapporter. Mais n'est-ce rien que de s'être délivré par un premier et facile effort, d'erreurs telles que le polythéisme, le dualisme, le panthéisme matérialiste? Et n'est-ce pas la psychologie qui, après avoir livré à l'esprit humain l'idée du parfait, de l'infini, que réfléchit la conscience et que la déduction développe, lui suggère encore l'idée d'unité, à quoi se ramènent tous les développements de la déduction? Aussi bien, à cette connaissance négative de Dieu succède une connaissance positive de Dieu; et si c'est surtout à la logique que nous devons de savoir ce que Dieu n'est pas, c'est surtout à la psychologie que nous devons de savoir ce que Dieu est. Comment, en effet, nier de Dieu tout ce qui ne convient pas avec la notion du parfait, de l'infini et ne pas affirmer de Dieu tout ce qui s'accorde avec cette notion? A ne point attribuer à Dieu toute perfection, la contradiction serait la même qu'à admettre en Dieu quelque imperfection. Or où découvrir ailleurs et mieux que dans l'àme humaine les traces de ces perfections que Dieu possède pleinement? De toute évidence, savoir et pouvoir sont en nous des commencements de perfection. Il y a en nous également quelque liberté, quelque bonté, quelque justice, que nous réputons des biens. Ces perfections seront tout entières en Dieu. C'est pourquoi, guidés par une analogie sublime, nous affirmons un Dicu personne, un Dieu omniscient, toutpuissant, libre, créateur, un Dieu juste, un Dieu bon. De la sorte, les attributs métaphysiques de Dieu s'éclairent par les attributs intellectuels et moraux |