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les affections morales. C'est le thème perpétuellement rebattu et quelquefois développé avec une éloquence attristante par les moralistes de tous les temps.

« On voit l'âme, observe Montaigne, naistre à mesme que le corps en est capable; on voit eslever ses forces comme les corporelles; on y recognoist la foiblesse de son enfance, et avecques le temps sa vigueur et sa maturité, et puis sa déclination et sa vieillesse, et enfin sa décrépitude:

Gigni pariter cum corpore, et una

Crescere sentimus, pariterque senescere mentem.

On l'apperçoit capable de diverses passions, et agitée de plusieurs mouvements pénibles, d'où elle tombe en lassitude et en douleur; capable d'altération et de changement, d'alaigresse, d'asopissement, et de langueur; subjecte à ses maladies et aux offenses, comme l'estomach ou le pied;

Mentem sanari, corpus ut ægrum,

Cernimus, et flecti medicina posse videmus :

esblouïe et troublee par la force du vin; desmeue de son assiette par les vapeurs d'une fiebvre chaulde,

endormie par l'application d'aulcuns medicaments, et reveillee par d'aultres;

Corpoream naturam animi esse necesse est,
Corporeis quoniam telis ictuque laborat:

on luy voit estonner et renverser toutes ses facultez par la seule morsure d'un chien malade, et n'y avoir nulle si grande fermeté de discours, nulle suffisance, nulle vertu, nulle résolution philosophique, nulle contention de ses forces, qui la peust exempter de la subjection de ces accidents; la salive d'un chestif mastin, versee sur la main de Socrates, secouer toute sa sagesse et toutes ses grandes et si reglées imaginations, les aneantir de manière qu'il ne restast aulcune trace de sa cognoissance première,

Vis... animaï

Conturbatur, et..... divisa seorsum

Disiectatur, codem illo distracta veneno ;

et ce venin ne trouver non plus de resistance en cette âme, qu'en celle d'un enfant de quatre ans : venin capable de faire devenir toute la philosophie, si elle estoit incarnée, furieuse et insensée (1). »

(1) Essais, liv. II, chap. xi.

Ce que Montaigne exprimait avec une originalité si puissante, Cabanis le confirme en praticien consommé. Son ouvrage est un curieux répertoire d'observations pathologiques de toute sorte. Il est impossible, à le lire, de n'être pas frappé de cette action incessante du physique sur le moral, alors même qu'on ne l'éprouverait pas en soi à tous les instants. Y a-t-il donc, pour Cabanis, deux principes chez l'homme, deux vies, deux substances, une âme et un corps? Nullement. Le titre de son ouvrage est mensonger; et si une semblable rédaction ne se trouvait point contradictoire, ce n'est pas Rapports du physique et du moral de l'homme, mais Rapports du physique et du physique de l'homme, qu'il faudrait écrire. En annonçant qu'il allait traiter des Rapports du physique et du moral, Cabanis s'est accommodé aux habitudes du langage vulgaire. Mais son livre n'a pas d'autre objet que de dissiper l'équivoque qu'implique une telle manière de s'exprimer. «Nous ne devons donc plus être embarrassés, conclut Cabanis, à déterminer le sens de cette expression: influence du moral sur le physique; nous voyons clairement qu'elle désigne cette même influence du système cérébral, comme organe de la pensée et de la volonté, sur les autres organes, dont son action sympathique est capable

d'exciter, de suspendre et même de dénaturer toutes les fonctions. C'est cela; ce ne peut être rien de plus (1).» Avec une satisfaction intime, l'auteur ajoute « Ainsi donc, tous les phénomènes de la vie, sans nulle exception, se trouvent ramenés à une seule et même cause; tous les mouvements, soit généraux, soit particuliers, dérivent de cet unique et même principe d'action. Telle est partout la simplicité de la nature; elle prodigue les merveilles, elle économise les moyens. Mais l'esprit hypothétique de l'homme, partout où les effets lui paraissent compliqués ou différents, croit toujours, au contraire, devoir multiplier les ressorts (2). »

Simplicité merveilleuse, en effet, que celle qui dans l'homme ramène tout au physique, et qui ne voit plus dans l'âme qu'une abstraction réalisée! Les psychologues, à ce compte, ressemblent aux poëtes du paganisme, qui divinisaient les effets différents d'une force unique. La psychologie, par conséquent, est un fantôme; il n'y a de réel que la physiologie.

Cette absorption de la psychologie dans la phy

(1) Onzième Mémoire, De l'Influence du moral sur le physique, Conclusion.

(2) Ouzième Mémoire.

siologie, cette réduction du moral au physique, est tenue pour si conforme à la science et si clairement démontrée, que bientôt il ne sera plus même question de discuter les rapports du physique et du moral. Ainsi, dans ses Recherches physiologiques sur la vie et la mort, Bichat ne distingue chez l'homme que deux vies: la vie organique et la vie animale, à laquelle il rapporte sans hésiter tout ce qui est relatif à l'entendement (1).

La discussion renaît avec Broussais.

Cabanis avait professé que le physique n'est que le moral considéré sous certains points de vue particuliers, et, conséquemment, que les faits psychologiques ne sont que des phénomènes, plus tard on devait dire des sécrétions du cerveau. L'auteur du traité de l'Irritation et de la Folie, renouvelant la théorie de l'irritabilité Hallérienne, prétendit décrire l'état de la masse cérébrale ou de la portion de cette même masse dévolue à la production de ces mêmes phénomènes. Ils dérivent tous, à l'en croire, de l'excitation de la pulpe cérébrale, de l'irritation de l'appareil nerveux. La vie de l'homme

(1) Article VI. Différences générales des deux vies par rapport au moral. § 1o. « Tout ce qui est relatif à l'entendement appartient à la vie animale. » § 2. « Tout ce qui est relatif aux passions appartient à la vie organique. »

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