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tations politiques, le soir il en donnait de pédagogie; tour à tour Solon et Mentor, et par l'effet de la mode, qui ne s'arrête jamais au ridicule, invoqué comme la déesse Lucine avant l'accouchement.

Si on ne l'appelle pas dans le travail, du moins, l'enfant venu au monde, ne fait-on rien sans ses prescriptions. On couche le nouveau-né un peu mollement, un peu de biais, et souvent au grand air. « Le berceau peut-il être un panier d'osier? lui demande une mère. Peu importe, répond-il, pourvu qu'il ne soit pas dur. » Il a prescrit des bains d'eau froide pour les nouveau-nés. « A quel moment? lui demande-t-on.

Il faut commencer dès la naissance, répond-il. A cette condition on n'aura pas à craindre les rhumes. » Pour les nourrices, si elles sont indispensables, il examinera l'état de leur lait. Mais la meilleure nourrice c'est la mère; s'il ne l'a pas dit le premier, il l'a dit avec le plus d'éloquence, et il l'a persuadé. Il mit la maternité à la mode. On portait les enfants dans leurs barcelonnettes à la suite de leurs mères, fût-ce à l'Opéra, où leurs petits cris troublèrent quelquefois le spectacle. Il avait institué des prix pour les mères qui nourriraient elles-mêmes. Il leur promettait des lacets pour le premier-né, moyennant l'engagement qu'elles se passeraient de nourrice. L'avis du médecin ne prévalait pas sur le sien.

Des princes lui demandaient des instructions sur le choix d'une gouvernante. Et voici le portrait que Rousseau donne de la meilleure : Qu'elle n'ait aucune instruction; car si elle sait, elle se déguisera; ignorante, on la connaîtra mieux. Tant mieux si elle ne sait pas lire; elle apprendra avec son élève. Il vaut mieux la prendre veuve que fille, pas trop facile à vivre, intéressée. Comment fera-t-on pour l'attacher à l'en

fant? Le père la mènera un jour promener dans une campagne riante. Elle y verra une petite maison bien ornée, une basse-cour, un jardin, des terres à l'entour pour l'entretien de la maison. Elle sera enchantée. Au fort de son enthousiasme, le père la prendra à part et lui dira: « Élevez ma fille à ma fantaisie, et ce que vous voyez est à vous. ». Et si l'enfant, un jour, en vient à ne rien entendre, la gouvernante, s'attendrissant, lui dira : « C'en est donc fait, tu m'ôtes le pain de ma vieillesse ! » Mais, ajoute gravement Rousseau, « il ne faut pas que ce mot-là soit dit deux fois. »

Il n'était que trop obéi. On ne consultait ni la force de la mère ni le tempérament de l'enfant. Il avait prescrit une nourriture réglée; on affamait les enfants dont l'appétit était ou exigeant ou irrégulier : des bains d'eau froide; on risquait d'y faire périr les nourrissons trop faibles pour ce régime beaucoup d'air; on en exposait de presque nus à l'intempérie des saisons. Devenus adolescents, c'est sur leurs jeunes âmes qu'on expérimentait les folles utopies du père sans enfants. De Dieu, de la morale, on ne leur disait mot. L'habileté des gouverneurs, précepteurs, serviteurs de toute nature, consistait à se faire mépriser des enfants; et ils n'y manquaient pas, sachant qu'ils faisaient ainsi leur cour aux parents.

Rousseau lui-même se plaignait qu'on outrât son système : « Il s'en faut bien, disait-il à Bernardin de Saint-Pierre, qu'on ait fait ce que je demandais; on se jette toujours dans les extrémités. J'ai parlé contre ceux qui faisaient ressentir aux enfants leur tyrannie, et ce sont eux à présent qui tyrannisent leurs gouvernantes et leurs précepteurs (1). C'est ainsi que Fénélon avait

(1) Bernardin de Saint-Pierre, Essai sur J.-J. Rousseau.

été forcé de donner des directions à certaines âmes contre leur trop grand attachement à sa doctrine du pur amour.

Dans le même temps que J.-J. Rousseau faisait des constitutions pour les peuples, et des plans d'éducation pour les pères de famille, les particuliers venaient lui demander des règles de conduite pour leur profession. Un abbé gentilhomme, philosophe par principe, ecclésiastique par état, l'interrogeait sur l'art de vivre en homme, en conciliant ses devoirs avec ce qu'il appelait son mépris pour les préjugés, c'est-à-dire avec l'incrédulité à la mode. Une actrice de l'Opéra lui demandait des conseils pour bien vivre. Rousseau, après s'être excusé, lui donnait cette triple prescription: 1o éviter l'impulsion du cœur et des sens; 2o se gouverner par la prudence; 3° fuir la société de ses compagnes et de ses adulateurs (1). Si cette actrice avait lu l'Émile, elle s'attendait sans doute à un régime plus commode.

Rousseau était excédé du rôle qu'on lui faisait jouer. Cet homme qui avait écrit sur sa porte, en grosses lettres, et en manière d'enseigne, que tout était mal, que jusqu'à lui tout le monde s'était trompé, s'étonnait qu'on le sommât de donner des recettes pour mieux faire. Mais il avait beau se dérober, on le persécutait de lettres et de visites. Quand Balzac se plaint de ces monceaux de lettres entassées sur sa table, qui demandent des réponses, et des réponses à montrer, il perce du contentement jusque dans ses plaintes. Car que lui demandait-on, après tout? De quoi parler de lui à grande bouche; et c'était assez pour cela de quelques lignes de réponse ingénieuses et sonores. On voulait plus de Rousseau. Beaucoup de gens l'avaient pris au

(1) Correspondance de J.-J. Rousseau.

mot, et lui enjoignaient de réaliser, au moins pour eux, ses utopies. On le traitait en médecin qui s'est affiché comme inventeur d'une panacée; tous les gens atteints d'un mal rebelle à la médecine ordinaire lui demandaient de sa panacée, et voulaient qu'il les guérît. Outre les visiteurs venus pour les consultations, il y avait les curieux, et le nombre en était immense. Rousseau en est poursuivi jusqu'en Angleterre. « J'ai du monde de tous les états, écrit-il à du Peyrou, depuis l'instant où je me lève jusqu'à celui où je me couche, et je suis forcé de m'habiller en public (1). » Enfin il avait ses fanatiques. « Ne m'amenez pas votre camarade, disait-il à Bernardin de Saint-Pierre, il m'a fait peur; il m'a écrit une lettre où il me mettait au-dessus de Jésus-Christ (2). »

Après sa mort, on peut dire que ses idées formèrent une partie de l'opinion publique en France. La révolution de 1789 en mettait les principales à l'expérience. L'assemblée constituante et, après elle, la législative étaient pleines d'admirateurs de Rousseau.

Aussi, dès le mois de décembre 1790, la première de ces assemblées lui votait une statue, et un peu plus tard, on y agitait la question de transférer ses restes au Panthéon. Mais plusieurs années devaient s'écouler avant que ces projets fussent exécutés. Les causes apparentes de ce retard étaient, pour la statue, la lenteur du concours ouvert à ce sujet, et l'incertitude sur l'emplacement; pour le projet de translation, une difficulté de propriété à résoudre, Rousseau ayant été enterré, d'après son vœu, à Ermenonville, terre appartenant à M. de Girardin. On parlait aussi de la résis

(1) Lettre du 1er janvier 1766.

(2) Bernardin de Saint-Pierre, Essai sur J.-J. Rousseau.

tance de Louis XVI, et de la mauvaise volonté de son ministre Roland, envieux, disaient ses ennemis, de la gloire de Rousseau. Tous ces empêchements, réels ou supposés, n'auraient pas tenu devant le désir énergique de l'assemblée. L'ajournement du projet avait une autre cause; il s'en fallait que le vote de la constituante eût été un vote d'enthousiasme. Si Rousseau avait beaucoup d'admirateurs dans les deux premières assemblées, ses fanatiques y étaient rares et s'y taisaient. Je ne m'étonne pas que Voltaire l'ait précédé au Panthéon. On n'en était encore qu'aux réformes; le règne de l'utopie n'était pas encore arrivé.

Les fanatiques de Rousseau étaient en dehors de l'assemblée, et leur nombre était grand. Dès l'année qui suivit le décret de la constituante, ils en réclamaient bruyamment l'exécution. Une députation des citoyens de Montmorency, « l'asile où il avait appris au peuple à rentrer dans sa liberté primitive, » demandait qu'on n'ajournât pas plus longtemps l'hommage à rendre « au philosophe qui avait établi l'égalité des droits entre les hommes et la souveraineté du peuple ; au premier fondateur de la constitution française ; à l'homme auquel nous devrons l'habitude de voir à nu les hommes et les choses; de pénétrer sous l'écorce des conventions soeiales; au contempteur des vains titres, si admirable par son élan passionné vers les hauteurs de la perfection morale, et par cet enthousiasme de vertu et de liberté qui caractérise toutes ses productions. » Et pour ajouter à l'effet de la requête, la députation présentait à l'assemblée deux vieillards vénérables qui avaient longtemps vécu avec J.-J. Rousseau, le bon père Bazile et le bon Gustin.

Les gens de lettres préparaient des inscriptions pour sa statue. Les artistes le représentaient en bas-relief sur

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