la lumière et toutes les couleurs, et se plaçant de façon à ce que de tous les côtés du paysage on n'aperçoive que lui. Rousseau songe à se rendre présents par l'imagination les lieux qu'il a aimés, et, chose remarquable, cette imagination qui, dans tout le reste, lui à gâté le réel, ne fait ici que le lui représenter tel qu'il est. Rien ne lui appartient plus en propre que les pages qui lui ont été inspirées par son amour pour la nature, On n'y rencontre ni le paradoxe, qui n'est que le parti pris de contredire, ni la déclamation, qui n'est que l'exagération d'idées empruntées. Il a eu des jours heureux, parce qu'il a eu un goût vrai et constant et la faculté de s'y oublier. Que de belles pages encore ne devons-nous pas à cette passion pour la contradiction dont il ne s'est pas excepté lui-même ! Ce novateur, dont la maxime est que tout le monde s'est trompé avant lui, n'est jamais meilleur écrivain que quand il se trompe à son inșu avec tout le monde, et qu'il quitte ses superbes rêveries pour prendre le langage de l'expérience et de la pratique communes. A côté des fausses vues, des illusions, des subtilités de l'esprit d'utopie, il y a mille vérités de détail qui leur donnent des démentis ; à côté du moraliste arbitraire, qui façonne le cœur humain pour sa philo sophie, et qui fait l'élève pour le maître, il y a le moraliste selon la morale universelle, qui glisse, comme à l'insu de l'autre, quelques grains du plus pur froment dans l'ivraie de cette fausse philosophie. En cherchant des raisons de polémique ou des preuves pour un système, il rencontre la vérité qui doit servir à éclairer les autres sur ses propres sophismes; il fournit les armes avec lesquelles on le battra. Mais l'épreuve en est dangereuse, et les lecteurs de Rousseau, tiraillés entre le sophisme et la vérité, hélas! comme il le fut lui-même, risquent fort de se ranger du côté du sophisme. Aussi bien le sophisme y parle d'autorité; c'est lui qui est la vérité dans l'intention de l'auteur; il est paré de toutes les fleurs de son art; quant à la vérité elle-même, cet homme qui disait avoir donné sa vie pour elle, il ne l'aide guère; elle est seule pour faire son chemin. Elle nous parle d'ailleurs de devoirs; elle nous rend mécontents de nous-mêmes; tandis que le sophisme est tantôt une caresse grossière à nos passions, tantôt une excuse du bien que nous n'avons pas su faire, ou du mal que nous avons fait. La lecture de Rousseau sera toujours une tentation cherchée. Elle instruit d'ailleurs médiocrement, elle charme quelquefois, elle agite toujours. Pour ceux dont le sens moral est à l'épreuve de ses doctrines sur le droit de jouir, de sa politique par la souveraineté de l'individu, de cette morale qui a pour double principe l'innocence naturelle de l'homme et la corruption irréparable des sociétés; pour ceux-là, ce qu'ils risquent, c'est, parmi quelques plaisirs de lecture très-vifs, mais rares, c'est d'être éblouis et rebutés par cette alternative incessante de lumières et d'ombre; de vrai et de faux, et, dans le vrai même, de vrai en perfection et de vrai mêlé de faux ; de hauteurs et de chutes dans des ouvrages où les mauvais esprits deviennent pires et où les bons ne deviennent pas meilleurs. Rousseau est un grand nom et un grand écrivain; mais s'il y a des rangs parmi ceux qui sont hors de tout rang, il doit venir le dernier de nos grands noms et de nos grands écrivains ; et la gloire de ses écrits sera toujours celle des choses qui laissent douter si le mal ne l'y emporte pas sur le bien. NISARD. Poésies. CHANSONS. LA VÉRONIQUE. Quand les chênes, à chaque branche, Douces à voir, ô véroniques, Vous ne durez qu'une heure ou deux, Les violettes sont moins claires, Douces à voir, ô véroniques, Vous ne durez qu'une heure ou deux, Fugitives et sympathiques, Comme des regards amoureux ! Le papillon bleu vous courtise, D'un coup de bec l'oiseau vous brise, Douces à voir, ô véroniques, Vous ne durez qu'une heure ou deux, Douces à voir, ô véroniques, Vous ne durez qu'une heure ou deux, Fleurs touchantes du sacrifice, Douces à voir, ô véroniques, Fugitives et sympathiques, Comme des regards amoureux! LES FRAISES DES BOIS. Quand de juin s'éveille le mois, Qui veut des fraises du bois joli? Rouge au dehors, blanche au dedans, Qui veut des fraises du bois joli? En voici, en voici, mon panier tout rempli, Des fraises du bois joli! (Quater.) O fraise! un poëte latin Qui veut des fraises du bois joli? En voici, en voici, mon panier tout rempli, Des fraises du bois joli! (Quater.) Hélas! n'entends-je pas venir |