C'est du reste le défaut général de la pièce de ne présenter qu'une succession de scènes plaquées qui n'ont d'autrẻ raison d'être que le bon plaisir des auteurs. Une nouvelle romance de ténor qui n'est point à dédaigner, un air charmant pour voix de soprano qui rappelle la romance du troisième acte du Songe d'une Nuit d'été : C'est un rêve de poésie, sont les deux derniers morceaux qu'on puisse encore signaler dans ce nouvel opéra de M. Ambroise Thomas, qui est trop long, trop sombre, trop rempli de musique et surtout de romances. Il appert de tout ce que nous venons de dire sur Raymond ou le Secret de la reine, que M. Ambroise Thomas est un compositeur des plus distingués qui réussit mieux à peindre les sentiments délicats et tendres que les fortes passions du cœur humain. Le public, qui s'obstine à préférer le Caïd à toutes les autres partitions de l'auteur, pourrait bien avoir raison, et ce qui me confirme dans cette opinion, c'est le caractère des meilleurs morceaux appartenant au nouvel opéra que vient de produire M. Ambroise Thomas. Tous ces morceaux que nous avons signalés sont d'un style tempéré où dominent la grâce, la gaieté et la tendresse. Tels sont les deux romances et le quatuor du premier acte, la pastorale et la jolie romance du second acte, encore la romance et le joli air de soprano du troisième. Que M. Thomas y réfléchisse donc, qu'il se consulte bien, et peut-être finira-t-il par être de l'avis du public qui est aussi celui de la critique. P. SCUDO. THÉATRE-FRANÇAIS. Les Caprices de Marianne, drame en trois actes, par M. Alfred de Musset. Lorsque nous assistons à ces spectacles, bons tout au plus pour les peuples enfants, et quand nous sommes assez abandonnés des dieux de l'Olympe pour demander à des Arabes déguenillés les mêmes fêtes que nous avions l'habitude de demander aux Grecs d'Homère, d'Euripide, de Sophocle et d'Aristophane, il ne faut pas être trop sévère lorsque de temps à autre, dans une enceinte choisie, des comédiens bien vêtus, des comédiennes élégantes, nous récitent d'une façon savante et délicate une prose sonore et tout animée des grâces et des parfums de la première jeunesse! Non, il ne faut pas décourager par trop d'exigences les vrais poëtes, les poëtes fidèles, les écrivains amoureux de la forme, la passion vraie et le dialogue sincère. En vain les habiles, voyant les Caprices de Marianne, par exemple, un drame de M. Alfred de Musset, joué, il y a quelques jours, au Théâtre-Français, viennent vous dire Mais prenez garde! ceci n'est pas une comédie et ceci n'est pas un drame; en vain les habiles se mettraient à vous démontrer que ce juge Claudio n'est autre que Sganarelle devenu féroce; que Marianne, sa femme, était autrefois cette jeune Dorimène, si galante et si bien parée, et qu'enfin Célio l'amoureux n'est pas loin de Lycas, amant de Dorimène, il faut laisser dire les habiles et prêter doucement une oreille complaisante à cette chanson de la vingtième année. Cela commence comme une sérénade, cela se noue en façon de chanson à boire, jusqu'à ce qu'enfin la chanson devienne une complainte funèbre, eh bien... laissons dire les habiles, et répétons avec le poëte le refrain triste ou gai de ces diverses chansons! Cela est si beau et si bon, le bien-dire! C'est une chose si complétement charmante, l'esprit mêlé à la passion! Célio, l'amoureux plaintif, est un poëte que j'aime! Il n'ose pas dire sa peine à Marianne, il la raconte, comme fait Chérubin, aux échos d'alentour; Octave, au contraire, est un jeune homme entreprenant, il n'a jamais rencontré de cruelles... Il est vrai qu'il n'en a jamais cherché. Il aime le vin de Chypre pourvu qu'il soit bon; il se contente de la première venue pourvu qu'elle soit belle. Il rit de tout, excepté de l'amour de Célio... Ainsi s'engage le drame, en dépit même des habiles, qui ne comprennent pas, les maladroits, que l'on ait jamais fait un drame sans l'avoir fait exprès... Arrive enfin Marianne, et voyez la belle affaire! à l'aspect de Marianne, les habiles se récrient: Elle va trop vite en amour!... Pourquoi trop vite? On va comme on peut, on va comme on sait! Elle n'en sait pas plus long que cela, cette belle Marianne! Elle n'a vu jusqu'à ce jour que son mari, elle n'a parlé qu'à son mari, elle ne connaît que son mari, ou plutôt Marianne ne relève que d'elle-même; elle se sait belle, elle se sait jeune, elle comprend qu'à son premier sourire, à son premier geste, l'univers lui appartient, et elle attend l'heure de l'inspiration, l'heure de l'amour... Cette Marianne, c'est la bête féroce aux instincts si divers. Quant à Célio, les habiles, qui veulent tout savoir, voudraient savoir pourquoi donc Célio, qui aime tant cette belle, n'est pas aimé d'elle. Eh! qui le sait? Elle-même, Marianne, elle n'en sait rien, elle ne l'aime pas, c'est clair! Elle le trouve langoureux, timide, triste, ennuyeux, tranchons lè mot, et elle ne veut pas trancher le mot avec lui: dit la Fontaine, et il passe! Aussi bien, quand elle voit ce fringant Octave, gai, souriant, de bonne humeur, et qui ne joue pas au beau ténébreux, le caprice de Marianne, c'est d'aimer ce garçon! Sa volonté, son caprice, son penchant, son humeur, tout ce que vous voudrez; elle l'aime, et lui cependant ne pense qu'à rendre un bon office à son ami Célio : · Gaiment, de bonne grâce et sans montrer de peine. Il y a quelque chose comme cela dans les Contes, seulement le conte enivré de tous les délires du vin, de la beauté, de la poésie et de la jeunesse se donne bien de garde d'arriver à la navrante conclusion du drame de M. Alfred de Musset... Un homme tué on ne tue guère dans la Florence de Boccace, on ne tue pas dans la Venise de la Fontaine. Ici les habiles triomphent un peu!... A quoi bon, disent-ils, ce dénoûment cruel? Pourquoi tuer sans miséricorde et sans pitié ce jeune Célio, et ne craignez-vous pas de tacher d'un sang inutile la robe blanche de Marianne? Et puis la triste conclusion après ce détail lugubre, et quel châtiment cruel pour un caprice! MARIANNE. Pourquoi dis-tu adieu à l'amour, Octave? Je ne vous aime pas, Marianne; c'était Célio qui vous aimait ! Je n'insiste pas sur l'impossible, je ne défends pas l'absurde; j'insiste sur le charmant, je défends le bel esprit. Certes, si M. Alfred de Musset, avec les Caprices de Marianne, avait voulu sérieusement faire un drame sérieux, il serait trop facile de lui démontrer que son premier amoureux est trop lent, que son second amoureux est trop vif, que son Géronte est abominable, et que le caudataire même de ce Géronte est un bandit, ou environ. On s'en prendrait aussi à ce spadassin qui va tuer dans l'ombre un aimable enfant nommé Célio, et qui l'ensevelit dans une fosse au coin d'un mur! On se demanderait dans quel pays de sauvages se passe une action pareille; on se demanderait en même temps si l'héroïne de ce drame, maltraitée à ce point par l'homme qu'elle a choisi, n'avait pas à lui faire une réponse écrasante: Je n'aimais pas Célio ! Qu'elle dise cela, et tout est dit; elle ne le connaissait pas, elle ne lui a jamais parlé, elle l'a à peine entrevu, il lui déplaisait enfin : le beau motif pour souffleter une créature adorable qui vous aime et qui s'abandonne à votre loyauté ! Oui! mais, encore une fois, M. Alfred de Musset n'a pas fait un drame. Il ne savait même pas, quand il écrivait les Caprices de Marianne, ce que c'était qu'une drame, et il ne voulait pas le savoir. Il écrivait ces choses-là en poëte, en rêveur, en jeune homme, obéissant, lui aussi, à toutes les fantaisies de son esprit, à tous les caprices de son cœur. Voilà ce qu'il a fait, un rêve, un rêve atroce et charmant; écoutez-le, non pas comme un drame, mais comme un rêve, et vous verrez s'il était possible d'écrire avec plus de goût, de jeunesse et de bonheur cette symphonie orageuse du printemps! Tout au rebours, les Caprices de Marianne ont été écoutés avec la gravité d'une cour de cassation toutes les chambres réunies : on pesait tous les mots, on s'inquiétait de chaque entrée et de chaque sortie, on demandait des caractères exacts et des personnages conséquents avec eux-mêmes; bref, le poëte et le public ne s'entendaient pas le moins du monde. De là une certaine froideur, un certain malaise inévitables le premier jour; mais laissez faire l'œuvre et le public; une fois la glace brisée, on trouvera qu'il n'y a rien de plus charmant que ce drame d'une Nuit d'été. JULES JANIN. |