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se bercer d'une espérance dangereuse, et qu'elle m'a défendu de lui parler de vous, de faire votre éloge ct de lui vanter votre mérite. Mais vous ne songez donc pas à vous marier, cher M. Bayern? Il ne faut pas attendre l'âge du cousin Polycarpe. Est-ce que vous tenez beaucoup à la fortune? Cela m'étonnerait. Il sera difficile de trouver une femme accomplie et riche.

- Non, Madelon, répondit M. Bayern, je ne tiens pas à l'argent. Mon intention, au contraire, est d'épouser une personne absolument sans fortune. Je travaille par goût et point pour m'enrichir, et si je me réjouis d'être riche, c'est que la compagne de ma vie en sera plus heureuse. Est-ce tout ce que vous aviez à me dire? Hélas! M. Bayern, je ne suis qu'à moitié de mes confidences.

- Achevez donc votre confession, mon enfant. - Une véritable confession, reprit la jeune fille, car je crains bien d'avoir péché. La réponse que vous venez de me faire prouve la sagesse de mon amie. Lorsque cette jeune fille eut banni de nos conversations ce sujet qu'elle croyait dangereux, elle me tendit un piége semblable. Madelon, me dit-elle un jour, je rêve à un autre mariage, plus facile et mieux assorti que celui dont tu m'as entretenue. En épousant le beau jeune homme que tu avais la bonté de me destiner, je n'ajouterais aucun lien nouveau à notre intimité : nous n'en serions pas moins séparées en sortant d'ici. J'imaginerai un arrangement meilleur, qui nous rapprochera l'une 3 de l'autre pour toujours. » Après m'avoir dit cela, cette petite rusée me laissa le temps d'oublier ces propos en l'air. Je n'y songeais plus, lorsqu'elle me prit à part un matin, me conduisit dans sa cellule et me dit : « Tu a's un amoureux. Je suis chargée de te faire agréer ses hommages, et, s'il te convient, tu deviendras ma sœur. »

A ces mots, je me mis à rire de toutes mes forces; mais elle «Ne riez pas ainsi, dit-elle, ma chère amie; cela est sérieux. Votre amoureux est un beau garçon de vingt-deux ans, un bon sujet, et, de plus, mon frère. Lisez cette lettre; voyez s'il vous aime, et si je dis la vérité... » Mais qu'avez-vous, M. Bayern? Voulez-vous un verre d'eau sucrée?

-Ce n'est rien, répondit M. Bayern. Reprenez votre récit.

J'ouvris la lettre que mon amie me présentait, et j'y lus des expressions de tendresse, d'admiration, de respect adressées à moi, Madelon, et si jolies, si bien tournées, d'une écriture si belle qu'un gros nuage me passa devant les yeux, et que je ne savais où j'étais..... Je vous ennuie avec mes enfantillages de pensionnaire, n'est-ce pas, M. Bayern?

Au contraire, Madelon, vous m'intéressez plus que je ne puis le dire.

Alors, reprit la jeune fille, mon amie me raconta qu'elle avait écrit à son frère plusieurs lettres où elle lui avait tracé mon portrait, fort embelli et flatté sans doute, qu'elle lui avait vanté mes agréments personnels, raconté mon histoire, et comment une amitié réciproque nous unissait toutes deux. Elle avait proposé à son frère de me transmettre ses compliments, l'offre de son cœur et la demande de ma main. Il avait accepté avec empressement, et déjà il assurait que son cœur m'adorait sur parole. Tant de choses écrites à mon insu me jetèrent dans un embarras extrême. Je ne savais quoi répondre, quel parti prendre.

delon.

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Il fallait demander le temps de réfléchir, Ma

Je l'ai fait. Mais Clara, c'est le nom de mon amie, ne cessait de me parler de son frère. J'appris ainsi que

M. George avait une lieutenance de gardes suisses du duc de Hanovre, dont il voulait vendre le brevet, parce que le grand conseil de Genève, ayant remarqué son intelligence, proposait à son père de l'employer; mais ce qui me toucha particulièrement, c'est qu'il ressemblait beaucoup à sa sœur ; « Il a, disait Clara, les mêmes traits, le même caractère, le même esprit que moi, et si ce n'était sa haute taille et ses moustaches naissantes, je n'aurais qu'à mettre un habit de militaire pour te montrer la figure de ton amoureux. » En badinant de la sorte, ce petit démon ne me laissait pas de repos. Mon imagination ne secondait que trop bien sa malice. Il me semblait connaître ce George si aimable; je le voyais semblable à sa sœur. Au bout de huit jours, Clara me prit les deux mains et me dit : « C'est assez rêver. Si tu l'aimes déjà un peu, comme je t'en soupçonne, ne crains pas que j'expose ta modestie par des indiscrétions. Je suis avant tout ta confidente et ton amic. Embrasse-moi; c'est l'aveu le plus facile et le plus gracieux que tu puisses me faire de tes sentiments... »

Eh bien? dit M. Bayern.

-Eh bien! ajouta Madelon, je saisis Clara entre mes bras; je lui donnai un baiser sur la joue, en l'appelant tout bas chère sœur, et je m'enfuis dans ma cellule...

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Donnez-moi ce verre d'eau sucrée, Madelon, dit M. Bayern. Je me sens indisposé; c'est peut-être la fatigue du voyage.

XLII

M. Bayern avalait son cau sucrée, et Madelon le regardait faire d'un air compatissant. Lorsqu'il eut pris le temps de respirer, il se sentit mieux.

Ma chère enfant, dit-il, je regrette que vous ne m'ayez pas écrit toutes ces choses à mesure qu'elles vous arrivaient. Je vous aurais donné des avis; je serais parti pour Genève... Mais vous n'êtes point coupable. Il n'y a pas sujet de vous gronder. Je désire seulement savoir si ces amourettes ne sont que des rèves de jeune fille enfermée, ou si votre cœur est réellement et sérieusement engagé.

Je ne vous cacherai rien, répondit Madelon. Ce que je viens de vous raconter a déjà trois mois de date. Voici maintenant la suite de mon histoire : La règle de cette maison ne permet aux pensionnaires de recevoir des lettres que de leurs parents. Si M. George m'eût écrit par la poste, la supérieure m'aurait interrogée sur cette correspondance; mais il adressait les lettres à sa sœur, qui me les communiquait. C'est là ce que ma conscience me reproche.

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En effet, Madelon, vous avez eu tort de manquer à la règle.

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Je le sentais bien, reprit la jeune fille; mais ces lettres me charmaient, m'étourdissaient, et je n'ai pas eu le courage de les refuser. Ne croyez pas pourtant que ma raison n'ait point combattu mon inclination. Je commençai par me dire que mes parents de Narbonne avaient peut-être des vues pour mon établissement, que n'étant point connue d'eux, je m'exposais à leur donner une méchante opinion de ma sagesse ; et puis je pensai

qu'une sœur ayant toujours la plus haute idée du mérite de son frère, Clara pouvait me tromper par ignorance. Enfin, comme vous le disiez, ces réflexions empêchèrent mon cœur de s'engager tout à fait, jusqu'à la semaine dernière, M. Bayern. Ce moment fut critique pour mon avenir et mon repos. George eut un congé. Il vint à Genève. Un matin, Clara fut appelée dans ce parloir, où l'attendaient sa mère et son frère, arrivés la veille de Hanovre. Pour mon malheur, elle demanda la permission de faire voir à sa famille l'amie intime qui lui rendait si doux le séjour de cette maison. Clara est l'enfant gâté de tout le pensionnat, à cause de son esprit et de ses grâces. On lui céda. Je descendis un moment au parloir avec elle et la supérieure. Quelques mots de politesse prononcés avec des intentions marquées, un baiser que me donna la mère de Clara, les regards du jeune homme, șa voix touchante, son air..... il ressemble à sa sœur ; il est beau... Cinq minutes ont suffi. Je l'aime et je ne fais plus que soupirer et pleurer. Je suis bien malheureuse, cher M. Bayern.

Deux petites larmes mouillèrent les beaux yeux de Madelon et le son de sa voix s'altéra. Aussitôt M. Bayern parut reprendre son sang-froid.

Mon enfant, dit-il, vous ne serez point malheureuse; je ne le souffrirai pas. Votre confiance en moi vous profitera, et mon amitié ne vous manquera jamais. Je veux votre bonheur. J'irai trouver vos protecteurs. Ils céderont à mes prières, et vous épouserez votre amant. Ne pleurez donc plus. Je vous le défends.

Que vous êtes bon! s'écria la jeune fille. Que le ciel est bon de m'avoir donné un ami comme vous! Et qu'ai-je fait pour mériter tant de bien? Rien que des fautes. Cher M. Bayern, lorsque je serai la femme d'un lieutenant aux gardes suisses, je deviendrai une dame.

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