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Quand le vieillard eut effacé ce nom, il appela Louison.

Ma belle demoiselle, lui dit-il, votre malade n'a point voulu boire ce médicament salutaire. Il dort; ne le réveillez pas. Puisse le sommeil lui faire tout le bien que j'attendais de mon petit cordial! Je vous baise les mains.

Après la retraite de Tertius, la jeune fille reprit sa place dans le grand fauteuil, et s'y endormit profondément. Vers le point du jour, elle entendit un cri plaintif: c'était le dernier soupir du pauvre Pierre.

L

Il n'y a presque point d'événement, même fort simple, auquel une imagination vive ne puisse trouver une apparence fantastique et une cause surnaturelle; il n'y a point de malheur qu'un esprit raisonnable ne puisse attribuer au caprice d'un hasard aveugle. La catastrophe qui atteint votre voisin n'ébranle point votre constance; mais le moindre coup du sort qui tombe sur vous-même est un effroyable mystère dont vous cherchez la cause jusque dans un miroir cassé ou la chute d'une salière.

Servandoni, n'étant point superstiticux, ne le devint pas pour avoir vu son élève vivre et mourir dans des conditions qui auraient étonné un homme moins philosophe et moins éclairé.

D'ailleurs, il remarqua une lacune grave dans les effets de la malédiction héréditaire des Breughel. La légende dut lui paraître en défaut, tant qu'il n'arriva rien de fàcheux à ses beaux travaux de Saint-Sulpice,

dont Pierre avait fait quelques dessins, ni au village de Felsberg, dont le pinceau de l'artiste maudit avait représenté le paysage.

Cependant, en 1763, l'incendie de la foire SaintGermain détruisit les peintures de Saint-Sulpice. La foudre tomba, peu de temps après, sur cette église et brisa un pan de la façade. En 1777, l'architecte Chalgrin fit des dessins nouveaux et s'écarta des projets de son devancier, ce qui gâta l'harmonie et la grâce du monument. Nicolas Servandoni était mort dans une misère affreuse, après avoir reçu des sommes énormes de tous les souverains de l'Europe.

Enfin, récemment, en 1834, la couronne de rochers suspendue au-dessus de Felsberg, ayant été minée par les pluies, se détacha de la montagne et roula sur le village, dont les maisons furent écrasées. Ce désastre est une des belles horreurs qu'on montre aux touristes dans le canton des Grisons.

PAUL DE MUSSET.

1851.-7.

7

Contes et nouvelles.

LES SOUFFRANCES

D'UN HUSSARD.

I

Suivant moi, une des plus grandes souffrances de ce temps-ci, c'est la lutte que les sentiments les plus opposés se livrent au fond de notre cœur. Beaucoup d'entre nous sont, en politique, ce que serait en amour un homme qui aurait passionnément aimé vingt maîtresses. Vous voulez désormais vivre pour deux yeux bleus, tout à coup deux yeux noirs s'ouvrent en vous ardents et impérieux.

Voilà le drapeau tricolore qui passe, et vous criez Marengo, Austerlitz, Wagram! puis, que votre regard rencontre au front de quelque édifice l'écusson mutilé d'une royauté proscrite, et vous pensez que Fontenoy valait bien Arcole.

Je voudrais peindre les souffrances d'une âme où

cette lutte causa ses ravages les plus douloureux. J'espère que ce récit ne paraîtra point trop vieux, quoique je le place à une époque séparée de nous déjà par bien des événements. Presque tous nous éprouvons encore, à différents degrés, les souffrances morales de mon héros. Qui n'a pas, sous les deux drapeaux que le souffle maudit des révolutions pousse avec tant de fureur l'un contre l'autre, maint objet d'ardente tendresse? Nos démocrates, je veux le croire malgré toutes les folies de leur langage, n'ont rompu, dans leur pensée, ni avec l'humanité ni avec l'honneur; et nous, ne portons-nous pas attristée, mais adorée au fond de notre cœur, l'image de la liberté ?

L'homme obscur dont je veux raconter les douleurs aima les deux drapeaux de ce pays. L'un était celui de ses pères, l'autre était le sien. Il tenait à l'un par le sang qui coulait dans ses veines, à l'autre par le sang qu'il avait versé. Aux souffrances que lui causaient ces deux amours, un amour d'une autre espèce joignit de cruelles tortures. Mais je vais laisser parler les faits.

Tous les émigrés ne trouvèrent pas à l'étranger la fortune adverse. Le comte de Cadolles, qui est mort pair de France sous la Restauration, répétait souvent que ses plus heureux jours s'étaient écoulés au delà du Rhin. Le fait est qu'un aimable esprit et une gracieuse figure lui avaient valu, dès sa première année d'exil, l'amour d'une jeune fille qui possédait, outre deux yeux d'un bleu séraphique et une chevelure de fée, le plus beau château dont le Rhin réfléchisse les tours. Le château d'Hermorah est un songe romantique. L'eau, la verdure, le ciel, les montagnes réunissent leurs enchantements pour en faire une demeure digne d'un Manfred. Dans ce château naquit le héros de cette histoire, que sa mère voulut appeler du nom germa

nique de Wolfgang, et que son père appelait le marquis de Cadolles, suivant un usage de sa maison.

Wolfgang avait dix-huit ans quand un horrible malheur emporta tout à coup toutes les joies de sa jeunesse, et jeta sur sa vie une de ces ombres qu'aucune lumière humaine ne dissipe plus: Wolfgang perdit sa mère. Pendant quelques mois il fut enseveli sous le linceul de cette chère morte; puis le monde vivant, où il était condamné à rester longtemps encore, s'empara de lui de nouveau. Le temps, une fois de plus, accomplit son habituelle et triste cure. La pâleur d'une éternelle cicatrice remplaça la blessure béante que lui avait faite la douleur, et il recommença la mystérieuse odyssée qu'il ne nous est permis d'interrompre pour aucune halte ni dans la tristesse ni dans le bonheur. Mais il sentit qu'un immense changement s'était opéré en lui. La rêverie lui causait cette insupportable souffrance que nous cause un air auquel s'attache le souvenir d'une personne que nous avons aimée et qui a disparu. L'action était devenue son besoin impérieux et incessant. On cût pu le prendre pour le chasseur noir, à l'infernal galop de son cheval sous l'ombrage des forêts allemandes. Le soir, il revenait sans être las, et il s'abimait régulièrement alors dans une lecture qui augmentait, au lieu de l'apaiser, la fiévreuse ardeur de son âme. Le comte de Cadolles recevait les journaux de France, et c'était alors le temps des sanglantes merveilles de l'Empire.

C'était le temps où les premiers-Paris commençaient comme des poëmes épiques. Une odeur de poudre, un bruit de tambours s'échappaient des feuilles françaises. En lisant les faits accomplis chaque jour par les soldats de Bonaparte, Wolfgang se rappelait qu'il n'était pas Allemand.

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