CHAPITRE VI. DU VERBE. Des espèces de verbes. 237. Le verbe est un mot qui exprime l'idée d'une action que l'on attribue à une personne ou à une chose. Ainsi quand je dis : Pierre travaille, le le mot travaille exprime l'idée d'une action attribuée à Pierre; c'est un verbe. Il résulte de cette définition que le verbe renferme deux notions et qu'il exprime à la fois : 1o l'action attribuée au sujet, et 2o le rapport de l'attribut ou sujet; ce rapport est ce qu'on appelle l'affirmation. L'affirmation est positive, comme dans: Je pars, ou négative, comme dans : Je ne pars pas. La négation se marque par le mot ne placé devant le verbe. Le plus souvent ce mot ne suffit pas, et on le renforce par les mots pas ou point, placés après le verbe. Le mot verbe dérive du latin verbum, le mot, c'est-à-dire le mot par excellence, parce qu'il forme en effet le terme essentiel de la proposition, sans lequel l'énonciation de la pensée serait impossible. 238. Sous le rapport de la forme, les verbes se divisent: 1o en verbes primitifs, comme parler, finir, et verbes dérivés, comme cheminer, grandir; et 2o en verbes simples, comme parler, grandir, et verbes composés, comme déformer, maintenir. 239. Sous le rapport de leur signification, les verbes se divisent: 1o en verbes transitifs et verbes intransitifs; 2o en verbes actifs et verbes passifs; 3o en verbes personnels et verbes impersonnels; et 4o en verbes concrets et verbes abstraits. 1. Verbes transitifs et intransitifs. 240. D'après la nature de l'action exprimée, tous les verbes sont subjectifs ou objectifs, selon que l'action reste dans le sujet ou passe à un objet. Mais on divise plus ordinairement les verbes en transitifs et intransitifs. 1. Les verbes transitifs sont tous les verbes objectifs qui demandent un complément direct ou accusatif; ils expriment une action qui passe du sujet qui la fait à l'objet qui la reçoit ou la souffre, comme déchirer dans: Charles déchire un livre. 2. Tous les autres verbes s'appellent intransitifs; cette classe comprend : a/ Les verbes objectifs qui ne demandent qu'un complément indirect, comme nuire dans: Les excès nuisent à la santé, et dépendre dans : L'effet dépend de la cause. b) Les verbes subjectifs qui n'ont pas de complément du tout, mais peuvent avoir un circonstanciel comme tous les autres verbes. Ces verbes expriment une action qui ne sort pas du sujet, soit un son, comme les cris des animaux : L'abeille bourdonne, soit le mouvement d'un lieu vers un autre: Le cheval 'trotte, soit un état : L'enfant dort, soit enfin un changement d'état ou le passage d'un état à un autre: Le blé mûrit. Les verbes transitifs s'emploient quelquefois accidentellement comme verbes intransitifs, le complément direct est alors supprimé : Le chien boit (de l'eau). Réciproquement, les verbes intransitifs s'emploient quelquefois comme verbes transitifs et sont alors suivis d'un complément direct: Il pleure (sur) ses péchés. 2. Verbes actifs et passifs; verbes réfléchis. 241. On appelle voix du verbe les différentes formes que prend le verbe pour marquer la nature de l'affirmation ou du rapport qui existe entre le sujet et l'attribut. 242. Il y a deux voix en français : la voix active et la voix passive, et conséquemment le verbe peut être actif ou passif. 1. La voix active présente le sujet comme faisant l'action : Là guêpe pique. L'enfant dort. 2. La voix passive présente le sujet comme recevant l'action et la recevant d'autrui : J'ai été piqué par une guêpе. — Les verbes transitifs seuls peuvent prendre la voix passive, qui leur donne une signification intransitive. On emploie en particulier la forme passive : a) Lorsqu'on veut mettre en relief l'être actif, en le présentant comme l'objet de la proposition: Le paratonnerre fut inventé par Franklin. Il est aimé de tout le monde. b/ Lorsque l'être actif n'est point exprimé : L'ennemi a été battu. Le voleur est pris. Le blessé fut couché sur un matelas. Dans ce cas, si l'on se représente l'action comme étant le fait d'une ou de plusieurs personnes, on se sert de la forme active avec le pronom indéfini on: On coucha le blessé sur un matelas. On fond les métaux avec de la houille. Les verbes intransitifs ne s'emploient que dans la forme active; on les appelle aussi verbes neutres. Les verbes intransitifs deviennent transitifs toutes les fois qu'on les fait précéder du verbe faire ou aussi du verbe laisser: Le vent a fait tomber cette masure. Je le ferai venir. Laissez venir à moi les petits enfants. Tu as laissé passer une bonne occasion. En pareil cas, l'idée verbale exprimée par les deux mots est quelquefois rendue par un seul verbe, appelé factitif ou causatif, parce qu'il exprime une action au moyen de laquelle le sujet fait passer l'objet dans l'état exprimé par le verbe simple: J'endormirai l'enfant = je ferai en sorte ou je serai cause que l'enfant dorme. Les verbes qui, comme rougir, attrister, se périphrasent au moyen du verbe rendre : rendre rouge, rendre triste, ont également un sens factitif. Les verbes composés au moyen de faire ou laisser n'ont pas la voix passive. On dit bien qu'on a fait mourir un assassin; on ne peut pas dire que l'assassin a été fait mourir. De même on dira bien de quelqu'un qu'on l'a laissé parler, mais non qu'il a été laissé parler. Il y a des verbes intransitifs qui peuvent prendre la signification transitive sans le secours du verbe faire, comme mûrir dans : Le soleil mûrit les fruits, c'est-à-dire : fait mûrir les fruits. Les Romains appelaient neutres (neuter, ni l'un ni l'autre) les verbes intransitifs, parce que ces verbes n'étaient pour eux ni actifs, ni passifs 243. Outre la voix active et la voix passive, il y a encore en français la voix réfléchie qui présente le sujet comme faisant l'action et la recevant en même temps, c'est-à-dire comme sujet et objet tout ensemble: Je me pique. Le verbe réfléchi s'emploie toujours avec un pronom réfléchi de même personne et de même nombre que le sujet : Je me pique. Vous vous piquez. 244. Il y a deux espèces de verbes qui peuvent prendre la forme réfléchie, savoir les verbes réfléchis proprement dits et les verbes transitifs ou intransitifs employés dans la forme réfléchie. 1. Les verbes réfléchis proprement dits ont en même temps la forme et le sens réfléchi, et ils expriment une idée intransitive, le pronom réfléchi n'étant pas réellement l'objet de l'action. On les distingue en verbes réfléchis absolus et verbes réfléchis accidentels. a/ A la première catégorie appartiennent surtout les ver-bes originellement transitifs qui ne s'emploient plus que dans la forme réfléchie, comme s'évanouir, se repentir. Certains autres verbes transitifs ou même intransitifs deviennent réfléchis au moyen du mot en, comme s'enfuir, s'envoler, s'enquérir, s'ensuivre, s'en retourner, s'en aller. Les verbes suivants, transitifs ou intransitifs, prennent dans la forme réfléchie un sens différent de celui qu'ils ont. à l'actif: s'apercevoir, s'attacher, s'attaquer, s'attendre, s'aviser, se disputer, se douter, se louer, se plaindre, se prévaloir, se taire, se servir; ce sont aussi des verbes réfléchis. b) De ces verbes réfléchis absolus, il faut distinguer les verbes accidentellement réfléchis, qui sont des verbes transitifs que l'on emploie dans la forme réfléchie pour exprimer l'idée d'une action intransitive. A cette catégorie appartiennent beaucoup de verbes qui expriment une action purement intellectuelle ou un sentiment, comme se fâcher, s'ennuyer, s'étonner, s'observer, se troubler, se tromper, ou le passage d'un état à un autre, comme s'abrutir, se rouiller, se couvrir, s'obscurcir, se répandre, s'user. En ce cas, le sens réfléchi touche de très près au sens passif Je me fâche, et: Je suis fâché. Le ciel se couvre de nuages, et: Le ciel est couvert de nuages; quelquefois même les deux formes peuvent s'employer l'une pour l'autre : Je m'étonne, et : Je suis étonné. Très souvent, d'ailleurs, surtout lorsque le sujet du verbe n'est pas une personne, mais une chose, on remplace le passif par le réfléchi ou aussi l'actif avec le-pronom on: Ce mot ne s'emploie guère, ou : On n'emploie guère ce mot, à la place de: Ce mot n'est guère employé. L'ami se connaît (est connu) dans le besoin. Quelquefois, pour exprimer l'idée passive, le verbe transitif prend à la fois la forme réfléchie et la forme impersonnelle: Il s'est répandu une nouvelle. Au temps où la chanvre se sème (La F.). Les verbes réfléchis, quand ils suivent immédiatement les verbes faire et laisser, perdent souvent leurs pronóms à l'infinitif: Je le ferai repentir de sa conduite (pour: Je le ferai se repentir). On a fait évader le prisonnier. Laissez écouler la foule. Mais on dira: Laissez la foule s'écouler, parce que les deux verbes sont séparés par les mots la foule. 2. Les verbes transitifs ou intransitifs employés dans la forme réfléchie gardent leur sens propre et ont la forme refléchie sans en prendre la signification. Dans ces verbes, le pronom réfléchi est l'objet ou le terme réel de l'action. a) Certains verbes transitifs s'emploient dans la forme réfléchie pour exprimer une action que le sujet, une personne et non pas une chose, dirige immédiatement sur lui-même, comme quand on dit : Je me lave. Il s'est blessé. Il s'étrangla. En ce cas, le verbe conserve sa signification transitive et présente la personne comme étant à la fois le sujet et l'objet de l'action; mais le pronom réfléchi n'est pas nécessairement le complément direct du verbe, comme quand on dit: Elle s'est brûlé les doigts. Je me suis acheté un livre. Elle s'est imaginé cela. b/ Quelques verbes intransitifs peuvent s'employer de cette même manière pour exprimer que le sujet réagit sur lui-même : Ils se sont nui par leur mauvaise conduite. Les verbes intransitifs qui expriment une action qui ne sort pas du sujet et qu'on appelle pour cette raison verbes subjectifs, comme dormir, languir, naître, etc., ne peuvent pas, en général, avoir la voix réfléchie. Enfin les verbes transitifs ou intransitifs employés dans la forme réfléchie, expriment souvent, au pluriel et même au singulier avec un seul sujet, une action réciproque ou mu |