On a vu (§ 152) que, dans l'ancien français, les adjectifs qui avaient en latin une seule terminaison pour les deux genres, n'en avaient aussi qu'une en français: fortis, grandis, legalis, vilis, formèrent fort, grand, loyal, vil, qui servirent pour le fém. tout aussi bien que pour le masc. Aussi, dans les anciens adverbes de manière, formés des adjectifs de cette sorte, le suffixe ment n'est-il jamais précédé du e muet, caractéristique ordinaire du fém. On disait fortment, grandment, loyalment, vilment. Dans la dernière moitié du 14e siècle, lorsque les tendances de régularisation des formes grammaticales eurent fait ajouter un e muet au fěm. de ces sortes d'adjectifs, les mêmes tendances firent adopter les nouvelles formes féminines dans la composition des adverbes de manière. On eut alors pour le féminin forte, grande, loyale, vile, dont on forma les adverbes fortement, grandement, loyalement, vilement. Toutefois, il nous est resté quelques traces de l'ancien usage; nous disons gentiment et non pas gentillement, et l'on vient de voir que les adjectifs en ent et en ant, qui étaient autrefois du nombre de ceux qui avaient les deux genres semblables, ne prennent pas le e muet devant le suffixé adverbial ment; aînsi patient fait patiemment et non pas patientement. 2. Les locutions adverbiales sont formées d'adjectifs ou de substantifs précédés de l'une des prépositions de, à ou en, comme d'abord, à présent, en vain. Envisagés sous le rapport de leur origine, les adverbes se divisent en plusieurs catégories : 1. Les adverbes réellement simples sont formés d'adverbes latins et sont assez rares en français: ailleurs (aliorsum), hier (heri), puis (post), plus (plus), moins (minus), non (non), très (trans), tant (tantum), si (sic), etc. Il faut ranger dans cette catégorie les adverbes hors et prês, qui s'emploient plus ordinairement avec la préposition de comme locutions prépositives (§ 285). Voici l'origine et l'emploi de quelques adverbes simples: Mais, dérivé du latin magis, signifiait autrefois plus, davantage; c'est le sens qu'il a conservé dans ces locutions négatives ou interrogatives: Je n'en puis mais. En puis-je mais? Ce mot entre en composition dans désormais, jamais. Or ou ore a été formé de l'ablatif de hora, sous-entendu in; il signifiait donc à cette heure, maintenant. Dans ce sens, nous ne l'employons plus que dans l'argumentation: Or, cela étant posé.... Mais or a formé les adverbes composés lors (l'ore), alors (à l'ore), dorénavant (d'ore en avant, c'est-àdire de cette heure en avant), désormais (des ore mais, mot à mot dès cette heure en plus, c'est-à-dire à dater de cette heure), encore (lat. hanc horam, à cette heure; c'était le sens primitif d'encore, comme dans cet exemple: Je lui ai déjà dit mon avis et je le lui dirai encore quand je le reverrai, c'est-à-dire à cette heure à laquelle je le reverrai). Si, dérivé de sic, a formé aussi (vieux franç. alsi, du lat. aliud sic), ainsi (vieux franç. asi, du lat. hac sic). Ja, dérivé de jam, n'existe plus qu'en composition : déjà (de et jà), jadis (jà et dis, plur. de di, jour, mot à mot il y a jà des jours), jamais (jà et mais, plus). Hui, dérivé de hodie, ne s'emploie plus qu'en style de pratique : d'hui en un mois (Ac.). Ainsi le composé aujourd'hui est un pleonasme, puisqu'il signifie littéralement au jour d'aujourd'hui. Fois (dérivé du latin vice: une fois, deux fois) entre en composition dans les adverbes autrefois, parfois, quelquefois. Toutefois a une autre origine; il se disait toutes voies dans l'anc. franç., le mot voie, d'où nous avons formé voyage, ayant aussi le sens de fois. Tant (de tantum) entre dans les composés autant (aliud tantum), partant (pertantum, littér. pour autant), pourtant. Tôt (du lat. tot-cito) entre dans les composés aussitôt, bientôt, plus tôt, tantôt. Ça (ecce hac) et là (illac) forment les composés deçà, delà (§ 285); céans et léans, formés de çà et là et de ens (intus), sont hors d'usage. 2. Quelques-uns de nos adverbes sont formés d'adverbes latins renforcés par une préposition placée en tête: demain (de mane, à l'origine, de bon matin), souvent (subinde), assez (ad satis), ensemble (in simul), dehors, etc. Cette catégorie comprend en outre les adverbes dessus, dessous, dedans, etc., qui autrefois s'employaient aussi comme prépositions. Près a un composé, presque, qui est toujours adverbe. 3. Mais la plupart de nos adverbes sont formés de noms (substantifs ou adjectifs). On distingue ici deux cas : a) Le nom n'est pas précédé de préposition. Cette catégorie comprend : 1° certains adjectifs qui font fonction d'adverbes, comme vrai, faux, juste, clair, chaud, net, fort, bas, haut. court, menu, vite, fin, ferme, bon, etc., dans: Cette fleur sent bon. Il parle haut. 2o Les adverbes bien (bene), mal (male), loin (longe), tard (tardė), dérivés d'adverbes latins formés d'adjectifs. — 3o Les adverbes dérivés d'adjectifs au moyen du mot ment (lat. mens, manière), employé comme suffixe: modestement. 40 Enfin quelques substantifs précédés d'adjectifs ou de mots de nature adjective, comme longtemps, toujours (tous les jours), etc. b) Le nom est précédé d'une préposition (de, à ou en). On peut citer un certain nombre d'exemples de ce genre où le nom est un adjectif masculin, comme dans à présent, en vain, en aveugle, ou féminin, comme dans à droite, à la dérobée. Mais la formation essentielle est donnée par le substantif : de côté, d'abord, davantage (au lieu de d'avantage), à côté, à l'avenir, à merveille, à tort, amont, aval, alentour (à l'entour), à l'envi, à la fin, enfin, environ (viron, ancien substantif du verbe virer, tourner), ensuite, en face, partout (tout est ici employé substantivement), surtout (à distinguer de sur tout : Ìl badine sur tout), de bon gré. Quelquefois le substantif ou l'adjectif est répété : côte à côte, peu à peu, petit à petit. 4. Certains adverbes sont formés de phrases entières, comme peut-être, naguère (vieux franç. n'a guères, composé d'avoir et de guères, qui, à l'origine, signifiait beaucoup). 283. Sous le rapport du sens, les adverbes se divisent en plusieurs classes, suivant la nature des circonstances qu'ils expriment. On distingue ainsi les adverbes de lieu, de temps, de manière, de quantité et de mode. 1. Adverbes de lieu. Ils déterminent, mais d'une manière beaucoup moins précise que les prépositions, soit le lieu où l'action se fait, soit la direction d'un mouvement, c'està-dire le point de départ et le point d'arrivée. On se sert en général du même mot pour marquer le lieu où l'on est et le lieu où l'on va : Je suis ici, venez ici. Le point de départ ou le lieu d'où l'on vient s'exprime par des adverbes précédés de la préposition de : Il vient de là. Les adverbes qui expriment le lieu ou la direction, sont : les pronoms adverbiaux ici, là (§ 225), en, y (§ 208), où, d'où (§ 230), et les adverbes ou expressions adverbiales ailleurs, alentour, partout, dedans, en dedans, dehors, en dehors, deçà, delà, devant, derrière, par devant, par derrière, dessus, dessous, loin, près, en haut, en bas, etc. Ne restez pas là, allez ailleurs. Dieu est un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Vous avez mis le doigt dessus. 2. Adverbes de temps. Ce sont les pronoms adverbiaux alors (§ 225), quand (§ 230), et les adverbes aujourd'hui, à présent, maintenant, justement, actuellement, déjà, encore, pour le présent et la simultanéité; jadis, autrefois, naguère, hier, l'autre jour, avant peu, tantôt, auparavant, anciennement, dernièrement, pour le passé et l'antériorité; demain, désormais, dorénavant, à l'avenir, aussitôt, bientôt, incontinent, après, alors, ensuite, tout de suite, puis, prochainement, pour le futur et la postériorité; de bonne heure, soudain, tout à coup, etc. Mon frère est parti hier, il reviendra demain. Autrefois on ne pensait pas comme à présent. On range dans la catégorie des adverbes de temps les adverbes d'ordre, comme d'abord, puis, ensuite, enfin On rouit d'abord le chanvre, puis on le broie, ensuite on l'affine. Il y a des adverbes d'ordre qui sont formés des adjectifs numéraux au moyen de ment: premièrement, deuxièmement, etc. Des adverbes de temps on doit distinguer les adverbes qui expriment la fréquence, c'est-à-dire la durée ou la répétition de l'action : parfois, quelquefois, souvent, toujours, rarement, longtemps, etc.: Un homme sincère dit toujours la vérité. Je l'ai souvent vu, mais je lui ai rarement parlé. 3. Adverbes de manière ou de qualité. Ce sont comment (§ 230), ainsi (§ 225), bien, mal, debout, ensemble, volontiers, et la plupart des adverbes en ment, comme poliment: Il parle bien. J'écris debout. Il répond poliment. Ne suivez pas aveuglément vos caprices. Certains adjectifs s'emploient comme adverbes de manière sans changer de forme, par ex. sentir bon, parler haut, bas, voir clair, boire chaud, vendre cher, etc. Quand le sens est figuré, on emploie de préférence la forme adverbiale correspondante sentir bien, parler hautement, agir bassement, poursuivre chaudement une affaire, vendre chèrement sa vie, etc. Tous les adjectifs ne sont pas susceptibles de devenir adverbes; dans les uns, c'est le sens qui s'y oppose, par ex. noir, rouge, jaune, vieux, fertile, célèbre; dans d'autres, tels que zélé, affable, aimable, c'est l'usage qui leur refuse la forme adverbiale, que l'on remplace par des circonlocutions formées au moyen des substantifs manière, façon, ou bien d'un nom correspondant à l'adjectif et précédé d'une préposition: Il étudie avec zèle. Les adverbes de qualité dérivés des adjectifs ont, comme eux, les trois degrés de signification et les forment de la même manière; il en est de même des adjectifs employés adverbialement. Comparatif de supériorité : Il a agi plus noblement que son frère. d'égalité : Il a agi aussi noblement que son frère. d'infériorité Il a agi moins noblement que son frère. Bien et mal sont les adverbes de bon et mauvais; comme ces derniers, ils forment leurs degrés de comparaison d'une manière irrégulière : bien fait au comparatif mieux et au superlatif le mieux; mal a deux formes: pis ou plus mal, le pis ou le plus mal: Le pied du cerf est mieux fait que celui du bœuf. Le père est méchant, le fils est pire; l'un agit mal, l'autre fera pis. Le superlatif absolu est toujours régulier : très bien, très mal. 4. Abverbes d'intensité. On les appelle aussi adverbes de quantité; mais la quantité, comme le nombre, s'applique aux noms, et l'intensité aux verbes : l'intensité est le degré de force de l'action ou de la qualité. Les principaux adverbes d'intensité sont: combien (§ 230), tant, si (§ 225), très, fort, bien, plus, davantage, moins, presque, à peine : L'été a été fort sec. Les noms de nombre indéfinis beaucoup, peu, trop, assez, exprimant la quantité (§191), s'emploient aussi comme adverbes d'intensité L'enfant parle beaucoup; il réfléchit peu. Beaucoup et peu ont aussi leurs degrés de signification, mais irréguliers: beaucoup fait au comparatif plus, au superlatif relatif le plus, et manque de superlatif absolu; peu fait moins, le moins et très peu. Bien s'emploie aussi dans le sens de beaucoup pour marquer soit l'intensité : Il a bien pleuré, soit le nombre ou la quantité Les hommes à imagination sont exposés à faire bien des fautes. Il a bien de la peine à gagner sa vie; mais, dans ce dernier cas, bien conserve sa nature adverbiale et ne régit pas le nom qui le suit, c'est pourquoi il n'amène pas le génitif partitif comme les noms de nombre beaucoup, peu, assez, etc. beaucoup de gens, peu de monde (§ 174). Cependant on dit bien d'autres et non bien des autres. L'adverbe très est formé de la préposition latine trans (au delà de); c'est proprement un suffixe séparé de la composition: très bon pour trèsbon; de là le trait d'union dont l'emploi est aujourd'hui facultatif : très-bon. 5. Adverbes de mode. Ces adverbes marquent l'affirmation ou la négation, la possibilité ou la nécessité. Ce sont : a) Pour l'affirmation: oui. On renforce l'affirmation au moyen des adverbes certes, certainement, vraiment, sûrement, assurément, réellement, etc. Je le verrai certainement. Ce conte est réellement plaisant. Outre oui, nous avons un second mot affirmatif, qui est si, du latin sic (pour ita). Mais ce mot, qui est l'affirmation propre dans les autres langues romanes, ne s'emploie plus en français que dans certaines locutions, comme: Si fait. Je dis que si. Oui ne vient pas du verbe ouïr; c'est le vieux français oil, dont voici l'origine. La langue romane du midi de la France avait pour adverbe affirmatif oc, ou aussi o, dérivé du neutre latin học, et signifiant proprement cela. C'est à cette particularité que l'idiome des troubadours devait son nom de langue d'oc. Oc était dit par ellipse pour oc es, cela est. L'ancien franç. avait ho, o, mot de même provenance que le provençal oc; au 13e siècle, dire ne one non était l'équivalent de notre focution moderne ne dire ni oui ni non. Mais, dans la règle, l'ancien franç. renforçait oc avec le neutre il (de illud), d'où oil, expression elliptique pour o est il (hoc est illud), ce qui équivaut littéralement à notre locution affirmative c'est cela. Oil devint ouil, ensuite le l final tomba et nous eûmes oui. Ce o-il (hoc illud) avait pour correspondant nen-il (non illud), devenu en français moderne nenni. |