Je désire que la fortune te soit favorable. L'envie honore le mérite encore qu'elle s'efforce de l'avilir. (V. la syntaxe.) CHAPITRE X. DE L'INTERJECTION. 290. Les interjections sont des sons particuliers qui n'expriment ni des idées, ni des rapports, mais un simple cri causé par une émotion subite de l'âme. Les interjections ne peuvent conséquemment se trouver dans aucun rapport avec les mots proprement dits, qui expriment la pensée. Interjection, mot interjeté dans le discours, de inter, entre, et jacere, jeter. 1. Les principales interjections sont: ah, aïe, da, hélas, ha, bah, fi, eh, hé, ho, holà, ô, oh, etc. Il faut y joindre les onomatopées qui marquent un bruit, comme crac, paf, pan: Ah! que vous me faites mal. Aie! que je souffre. Oui-da. Hélas! que deviendrez-vous? Fi! le vilain. Hé! l'ami. Holà! quelqu'un. O temps, ô mœurs! Oh! quelle chute! Hélas, qui s'écrivait autrefois hé! las! est composé de l'interjection hé et de l'adjectif las (lassus), qui signifiait malheureux. Da, anciennement diva, plus tard dea, exprimait dans le principe un ordre pressant (des impératifs di dis de dire, et va, de aller). 2. Des interjections proprement dites on doit distinguer certaines expressions qui ont la signification de propositions elliptiques, et sont jointes à la proposition sans lien extérieur. Ces locutions interjectives peuvent être : 1o des substantifs silence, paix, à merveille, miséricorde, courage, diable, diantre, dame, peste, parbleu, etc.; 2o des verbes, comme: allons, gare, tiens; 3o des adjectifs et des adverbes, comme: bon, bis, ferme, eh bien, etc. Ciel! que dites-vous? Allons! dépêchez-vous. Ma foi! je n'y comprends rien. Dame est un reste de l'ancienne interjection du moyen âge Dame-Dieu (domine Deus), c'est-à-dire Seigneur Dieu! SECTION IIo. La formation des mots. CHAPITRE Ier. DE LA DÉRIVATION. 291. La dérivation s'opère en général au moyen des terminaisons appelées suffixes, comme ier dans héritier de hériter (§ 20); mais elle peut aussi avoir lieu sans le secours de ces terminaisons, comme dans cri de crier : c'est ce qu'on appelle dérivation impropre. Chaque suffixe en français est accentué et forme au moins une syllabe pleine. Il a son sens ou sa valeur propre qui se retrouve dans tous les dérivés qu'il sert à former. En général le dérivé a un sens plus précis que le primitif et il équivaut à la combinaison d'un substantif avec son adjectif: jardinet = petit jardin, ou d'un verbe avec son complément ou circonstanciel: choisir faire un choix, balayer = nettoyer avec un balai. Les suffixes français sont presque tous d'origine latine. Or, on distingue deux espèces de suffixes en latin: les suffixes accentués, comme arius dans primarius, et les suffixes inaccentués, comme icus dans porticus. 1° Les suffixes latins accentués se sont conservés en français comme des formes vivantes et productives, et la langue les a employés à former des dérivés nouveaux, en les ajoutant à des mots qui ne les avaient point en latin, par ex. huissier. Ces suffixes ont souvent en français une double forme, l'une ancienne et populaire, l'autre moderne et savante (§ 27); ainsi le suffixe latin arius a donné le suffixe ier de formation populaire dans premier, et le suffixe aire de formation savante dans primaire. 2o Les suffixes latins non-accentués s'éteignent tous en français, comme icus dans porticus, qui a donné porche. Ces suffixes sont naturellement incapables de servir à la création de nouveaux dérivés; mais ils peuvent devenir productifs dans les mots de formation savante, par un déplacement de l'accent, par ex. portique. A. Dérivation nominale. 292. Les noms dérivés se tirent de substantifs, de verbes ou d'adjectifs: cerisier de cerise, honteux de honte, passage de passer, blâmable de blâmer, bonté de bon, jaunâtre de jaune. Les dérivés de verbes ont en général pour base le radical verbal, qui se trouve toujours pur aux temps du présent (§ 256); ainsi naître a pour radical la forme naiss-, d'où naiss-ance. Les mots dérivés de verbes inchoatifs en ir ont pour base le radical allongé du part. prés. : poliss-eur, poliss-oir, poliss-ure. Mais beaucoup de mots ont pour base une forme verbale connue dans la conjugaison latine sous le nom de supin, mais qui n'existe pas en français comme mot distinct et n'entre dans l'usage que combinée avec des suffixes. Ainsi portable est formé du radical verbal port-, de portant; mais portatif dérive de la forme portat-, qui n'existe que comme radical de dérivation. De même les mots act-eur, act-ion, actif, act-ivité, ont pour base le radical de dérivation act-, et non pas le radical verbal ag-. Il y a beaucoup de noms dérivés dont les primitifs n'existent pas en français, par ex. qubier, candeur, mercier. Quelquefois aussi le primitif est un vieux mot français hors d'usage depuis longtemps ou encore usité de nos jours, mais modifié dans sa forme. Ainsi brandir a pour base brand, mot d'origine germanique qui signifiait épée. Goupillon, dérivé du vieux fr. goupil, renard, est venu au sens actuel parce que les premiers goupillons ont été assimilés à une queue de renard. Heureux a pour base heur, qui ne s'emploie plus que dans cette expression: Il n'y a qu'heur et malheur en ce monde. Le mot chapel, chapeau, a donné chapelet, autrefois petite coiffure qui consistait ordinairement en une couronne de fleurs. Parmi les noms dérivés, on doit distinguer les diminutifs, qui désignent les objets comme diminués, amoindris, quant à leur étendue ou leur force. Les diminutifs sont formés principalement par les suffixes eau, elle, et, ette, on, etc.: tonneau, ruelle, livret, boulette, sablon; le suffixe et sert aussi à former des adjectifs diminutifs, doucet. Les diminutifs substantifs sont à base de substantifs, tonneau de tonne, et les diminutifs adjectifs à base d'adjectifs, doucet de doux. La personne ou la chose est représentée comme plus petite dans les substantifs diminutifs, et la qualité est représentée comme portée à un moindre degré dans les adjectifs diminutifs. On emploie aussi les substantifs diminutifs pour nommer les petits des animaux chevreau, cochet, aiglon. Les diminutifs réveillent souvent une idée accessoire de dépréciation ou de mépris; on les appelle alors péjoratifs, comme aille, asse ou ace dans valetaille, populace. Un suffixe diminutif est souvent renforcé par un autre diminutif; ainsi le mot chapelet réunit les deux suffixes el (eau) et et; de même louv-et-eau, carp-ill-on, etc. Le français renferme un assez grand nombre de mots à désinences diminutives et qui néanmoins ne sont point ou ne sont plus des diminutifs. Un mot formé par un suffixe diminutif n'exprime l'idée de diminution que lorsque son primitif existe encore en français; c'est ainsi que les mots anneau, couteau, chapeau, ne sont pas des diminutifs, bien qu'ils soient formés par la terminaison eau. En pareil cas, un second suffixe devient nécessaire pour faire revivre la force diminutive; ainsi agneau, château, feront agnel-et, châtel-et. La langue française n'a pas de suffixes augmentatifs. Pour exprimer l'augmentation, à laquelle s'ajoute souvent une idée accessoire de mépris, on se sert des suffixes diminutifs, par ex. on dans salon, caisson. 1. Dérivation impropre (sans l'aide de suffixes). 293. Les noms de cette catégorie se divisent en plusieurs classes, selon qu'ils sont tirés directement du radical verbal ou de l'une des formes nominales du verbe : 1. On appelle substantifs verbaux les noms formés du radical verbal pur ou avec l'adjonction d'un e muet servant à faire sonner la consonne finale (§ 102), comme aboi de aboyer, offre de offrir. Le mot dérivé se régle sur les formes du sing. du présent, ainsi soutenir donne soutien. La grande majorité de ces substantifs dérive de verbes de la première conjugaison: a) masc., appel de appeler, blâme de blâmer, désir de désirer, doute de douter, dégât du v. fr. dégaster, élève de élever, espoir de espérer, émoi du v. fr. émoyer, foule de fouler, gain de gagner, groin de grogner, pleur de pleurer, repaire du v. fr. repairer (se retirer), tour de tourner, vol de voler, etc.; b) fém., conserve de conserver, estime de estimer, joute de jouter, purge de purger, trempe de tremper. Les noms tirés des autres conjugaisons comptent à peine accueil de accueillir, départ de départir, maintien de maintenir, rêne de retenir; combat de combattre, ébat de ébattre, rabat de rabattre; deuil de douloir. Ces substantifs verbaux sont presque tous abstraits; on peut en excepter quelques noms concrets qui désignent surtout des choses : groin, conserve, rarement des personnes élève. Il ne faut pas confondre les noms tirés du verbe avec les noms qui ont servi, au contraire, à former des verbes, comme balai, qui a donné balayer (§ 241). 2. Les substantifs tirés de l'infinitif sont tous masculins : l'avenir, le boire, le repentir, etc.; la plupart peuvent s'employer au pluriel, comme le baiser, le devoir, le déjeuner, le diner, l'être, le loisir (ancien verbe, avoir le temps), le plaisir (anc. verbe pour plaire), le pouvoir, le souper, le sourire, le souvenir, le vivre, etc. L'ancienne langue avait beaucoup plus de liberté que la moderne de prendre l'infinitif substantivement: Que j'aye le temps et loisir du faire et vous du lire (Froissard). Le n'avoir point de mal, c'est le plus avoir de |