APPENDICE I. L'ORTHOGRAPHE. 469. L'orthographe, ou mieux l'orthographie, est l'art d'écrire les mots et les phrases d'une langue, conformément au bon usage. A. On distingue dans l'orthographe des mots deux parties: celle des terminaisons et celle du corps du mot ou de sa partie invariable. 1. L'orthographe des terminaisons dépend des règles de la grammaire; celle-là est certaine et ne peut pas nous induire en erreur. C'est pourquoi on l'appelle quelquefois orthographe de principes, ou, aussi, orthographe relative, parce que c'est la manière d'écrire les mots, selon la relation ou le rapport qu'ils ont dans le discours, abstraction faite de la forme qui leur est propre. La grammaire enseigne l'orthographe relative en traitant de la flexion des mots (1re partie, liv. II, sect. I). 2. L'orthographe qui a pour objet la partie invariable des mots, s'appelle ordinairement orthographe d'usage, parce que, ne dépendant pas des règles de la grammaire proprement dite, l'usage semble en être le seul régulateur. Cependant cette partie de l'orthographe n'est pas plus arbitraire que l'autre, et il vaudrait mieux l'appeler orthographe absolue, puisque c'est la manière d'écrire les mots absolument, c'est-à-dire seuls, isolés, tels qu'ils sont dans les dictionnaires, en particulier dans celui de l'Académie. L'orthographe des mots dépend essentiellement de la nature des sons ou des éléments matériels qui les constituent. ☐ On appelle orthographe rationnelle ou phonétique la manière de représenter ces sons de la langue, soit par des lettres, soit par certains signes orthographiques, selon les règles fondamentales de l'alphabet français telles que nous les avons exposées dans la première partie de cet ouvrage (liv. I). Mais l'orthographe française n'est pas toujours l'image fidèle de la prononciation; comme, en général, c'est l'origine du mot qui en a déterminé l'écriture, cette orthographe étymologique n'est pas toujours d'accord avec l'orthographe rationnelle. Ainsi, par exemple, les trois premiers sons du mot chapeau sont représentés régulièrement par les signes ch, a, p, qui, en français, ont pour valeur propre de servir à marquer ces sons; au contraire, le son final n'est pas rendu par son signe propre o, mais bien par eau, à cause de l'étymologie, la forme ancienne de chapeau étant chapel (§ 33). C'est pour la même raison d'étymologie que l'on écrit serein, fin, pain, faim, paix, lait, air, enfer, pendule, suc, partial, signet, arrêt, forçat, corps, champ, sang, etc., dont l'orthographe est indiquée par les mots de la même famille: sérénité, finir, panade, famine, paisible, lactée, aérer, infernal, pendre, sucer, parti, signe, arrestation, forcer, corporel, champêtre, sanguin, etc. C'est encore à cause de l'étymologie que l'on maintient certaines consonnes muettes, surtout celles qui terminent les mots, et que l'on écrit baptême, accord, drap, estomас, lot, abus, et non pas batême, accor, dra, estoma, lo, abu, etc., parce que l'on a les dérivés baptismal; accorder; drapier, draperie, drapeau; stomachique; loterie; abuser; etc. (§§ 101, 110). L'étude des suffixes et des préfixes est du plus grand secours pour l'orthographe d'usage. On ne saurait hésiter sur la manière d'écrire salutaire, pilier, chevreau, alpin, terrasse, glacis, finesse, hautain, nuée, bonté, têtu, etc., quand on sait que ces mots sont formés des primitifs salut, pile, chèvre, alpe, terre, glace, fin, haut, nue, bon, tête, etc., au moyen des suffixes aire, ier, eau, in, asse, is, esse, ain, ée, té, u, etc. Une des plus grandes difficultés de l'orthographe d'usage, c'est le redoublement des consonnes. Mais cette difficulté n'est qu'apparente pour le plus grand nombre de cas, parce que le redoublement de la consonne est surtout amené: 1° au commencement des mots, par l'assimilation des consonnes finales des préfixes, par exemple, affaiblir de ad et faible (§ 110), et 2o à la fin des mots, surtout dans les termi naisons de dérivation (suffixes) ou de flexion, pour marquer que la voyelle précédente est brève, par exemple, boutonner de bouton, bonne de bon, pomme, patte, etc. (§ 49). Pour que l'orthographe fût complétement rationnelle, il faudrait : 1o que chaque son eût son signe particulier, et 2o que chaque signe ou lettre eût un son qui lui fùt propre. Plusieurs essais de réforme ont été tentés dans ce sens afin de rapprocher l'écriture le plus possible de la prononciation; mais ces tentatives ont toutes échoué, parce qu'elles ne tenaient pas assez compte, soit de l'étymologie, soit de la flexion et de la dérivation des mots. Nous avons indiqué dans le cours de cet ouvrage un certain nombre de variantes d'orthographe. Ces variantes existent surtout dans l'emploi du trait d'union et du tréma, dans la manière de rendre certains sonsvoyelles, comme mentonnet et mantonnet, reinette et rainette, terrain et terrein, achaine et achêne, essieu et aissieu, pintade et peintade, baptistaire et baptistère, etc., dans l'emploi des voyelles et des consonnes finales, comme étai et étaie, reversi et reversis, dans le redoublernent des consonnes, comme girafe et giraffe, dans la manière d'écrire les mots d'origine étrangère, comme tsar, tzar et czar, etc. B. L'orthographe des phrases consiste uniquement dans l'application des règles de la ponctuation, règles qui découlent d'une bonne analyse logique. 470. Signes orthographiques. On entend par signes orthographiques des caractères inventés ou employés pour indiquer tantôt des modifications dans le son ou la forme des mots, tantôt des relations entre les mots. Ces signes sont lexicologiques dans le premier cas, et syntaxiques dans le second. Les signes lexicologiques sont quelquefois les lettres mêmes de l'alphabet, plus souvent de petites marques posées sur ces lettres; les signes syntaxiques sont de petits caractères placés entre les mots et que l'on distingue en signes de ponctuation et signes purement distinctifs. A. Signes lexicologiques. 471. Signes euphoniques. Ces signes sont: 1. Les lettres serviles ou intercalaires que, par raison d'étymologie ou d'euphonie, on intercale dans l'intérieur des mots, comme dans il mang-e-a, fig-u-e, clou-t-ier, join-d-re, naître (pour nais-t-re), etc. (§§ 87, 110). 2. Les signes euphoniques proprement dits: les accents écrits, savoir l'accent aigu, l'accent grave et l'accent circonflexe (§§ 50-52), le tréma (§ 61), la cédille (§ 87). Tous les dictionnaires ne sont pas d'accord sur l'emploi des accents dans certains mots. Ainsi, par exemple, on trouve candélabre et candelabre, aqueduc et aquéduc, rébellion et rebellion, levantine et lévantine, vedette et védette, réversible et reversible, dépecer et dépécer; chènevis, chénevis et chenevis; frelon, frélon et frélon, pèlerin et pélerin, sève et séve, blasphême et blasphème, etc. Quelques-uns écrivent sans accent circonflexe les mots suivants: alcôve, âme, câble, grâcè, hâbleur, côtoyer, idolatrie, gaîne, joûte, geolier, etc.; d'autres, en revanche, mettent un accent circonflexe sur le o des mots suivants : axiome, idiome, diplome. 472. Trait d'union. C'est un signe qu'on peut appeler formatif et qui consiste en un petit trait, droit et horizontal, qu'on met entre les parties constitutives d'un mot composé ou entre deux ou plusieurs mots qu'il n'est pas permis de séparer dans le discours: chef-d'œuvre, c'est-à-dire, luimême, là-haut, dix-sept, viens-tu? allez-vous-en, venez-là, va-t'en, quels gens sont-ce-là. On doit écrire va-t'en et non pas va-t-en; le test ici un pronom et non pas une lettre euphonique. On emploie encore le trait d'union pour joindre les syllabes des mots que l'on partage à la fin des lignes : fai-re. B. Signes syntaxiques. 273. SIGNES DE PONCTUATION. La ponctuation consiste à marquer, par des signes convenus, les divisions ou la fin des phrases (signes objectifs), et la manière actuelle dont nous considérons telle ou telle proposition, tel ou tel membre de la proposition (signes subjectifs). « Il est impossible de formuler des règles précises de ponctuation, comme on en donne pour l'orthographe ou l'accord des mots. En effet, on voit que les divers auteurs affectent des ponctuations différentes, selon qu'ils aiment plus ou moins à lier leurs phrases entre elles ou à les détacher, à les présenter comme indépendantes les únes des autres. Les uns ont une ponctuation très forte et multiplient singulièrement les signes de division; les autres ont une ponctuation très faible; ils ne voient dans un discours entier que des phrases qui se régissent successivement; on lit quelquefois une ou deux pages sans rencontrer un point final. Sans doute, il faut se tenir entre ces deux extrêmes; mais il n'est pas possible d'assigner exactement le milieu qu'il faut tenir. On doit donc s'attendre à trouver sur ce point une assez grande indécision dans les règles » (B. Jullien). 1 274. Signes objectifs. Ces signes sont : le point (.), la virgule (,), le point-virgule (;) et les deux-points (:). 1. Le point, qui est le signe de ponctuation le plus fort, se met à la fin de la phrase pour indiquer que le sens est tout à fait terminé. 2. La virgule, qui est le signe de ponctuation le plus faible, s'emploie : a/ Dans la proposition simple incomplexe : 1o quand il y a inversion (§ 410), si l'inversion rompt la liaison des idées; mais il n'y a guère que le circonstanciel dont l'inversion oblige de recourir à la virgule, parce que le circonstanciel n'est pas en général nécessaire pour que la proposition ait un sens complet (§ 367); 2o quand il y a répétition (§ 406). Dans la gueule, en travers, on lui passe un bâton (La F.). b) Dans la proposition simple complexe, pour en séparer les termes similaires (§ 410). La fraude, le parjure, les procès, les guerres, ne font jamais entendre leur voix dans ce séjour chéri des dieux (Fén.). c/ Dans la phrase de coordination, lorsqu'il y a contraction, pour séparer plusieurs verbes ayant le même sujet (§ 415). Il prit, quitta, reprit la cuirasse et la haire (Volt.). d) Dans la phrase de subordination, pour séparer de la principale: 1o la prop. adjective explicative, complète ou raccourcie (§ 434); 2) la prop. adverbiale, surtout quand elle précède la principale ou qu'elle est intercalée dans cette dernière sous la forme de prop. incidente (§ 421). Chacun a son défaut, où toujours il revient (La F.). Je puis dire, comme saint Péravie: Je suis si malheureux en tout, que, si je me faisais chapelier, personne n'aurait plus de tête. Plus le malheur est grand, plus il est grand de vivre (Corn.). La virgule a encore pour emploi spécial de remplacer un verbe sous-entendu, lorsque les propositions coordonnées sont séparées par un signe de ponctuation plus fort que la virgule. Mais on ne met rien quand ces propositions ne sont |