AVIS DU LIBRAIRE. J'ai fait imprimer sur le frontispice de cette nouvelle Édition des Confessions, que c'est la première complète, et qu'elle a été collationnée sur le Manuscrit de l'Auteur, présenté par sa Veuve à la Convention nationale au mois vendémiaire de l'an 3, puis déposé à la bibliothèque de son Comité d'Instruction publique. Voici la preuve qu'il a été en mon pouvoir de faire ce que j'annonce: Extrait du Registre des Délibérations du Comité d'Instruction publique, du 12 vendémiaire an III. « Sur la demande du C. Poinçot, libraire, "le Comité lui permet de copier ou colla«tionner les Manuscrits de J. J. ROUSSEAU dont il est dépositaire. Pour extrait conforme, à Paris, ce 14 vendémiaire an III « de la République française. Signé Boissy, « secrétaire. J'ajoute que les collation et transcription qui m'étaient permises, ont été faites par un homme très-exercé à ce genre de travail, et qui par goût, et pour répondre à ma confiance, y a mis tout le zèle et toute l'attention dont il est capable. Les personnes qui, sans vouloir prendre la peine de comparer mon Edition à celles qui l'ont précédée, douteraient néanmoins qu'elle contînt des additions essentielles, pourront s'en assurer aisément, en cherchant d'abord à la Table les articles Gontaut, Hospice, Lyon, Tempérament, etc. et en recourant ensuite aux pages où ces mots renvoient: elles y trouveront des morceaux considérables, omis sans doute à dessein dans toutes les éditions qui ont paru jusqu'ici, mais que j'ai fait rétablir avec d'autant plus de soin, que plusieurs des anecdotes supprimées sont absolument nécessaires à la suite de la narration, ou deviennent les commentaires naturels de faits indiqués seulement par l'Auteur dans d'autres endroits de ses confessions, qu'ils rougissent de mes indignités, qu'ils gémissent de mes misères. Que chacun d'eux découvre à son tour son cœur aux pieds de ton trône avec la même sincérité; et puis qu'un seul te dise, s'il l'ose: Je fus meilleur que cet homme-là. Je suis né à Genève en 1712, d'Isaac Rousseau citoyen, et de Susanne Bernard citoyenne. Un bien fort médiocre à partager entre quinze enfans ayant réduit presque à rien la portion de mon père, il n'avait pour subsister que son métier d'horloger, dans lequel il était à la vérité fort habile. Ma mère, fille du ministre Bernard, était plus riche: elle avait de la sagesse et de la beauté. Ce n'était pas sans peine que mon père l'avait obtenue. Leurs amoursavaientcommencé presque avec leur vie; dès l'âge de huit à neuf ans ils se promenaient ensemble tous les soirs sur la Treille; à dix ans ils ne pouvaient plus se quitter. La sympathie, l'accord des ames affermit en eux le sentiment qu'avait produit l'habitude. Tous deux, nés tendres et sensibles, n'attendaient que le moment de trouver dans un autre la même disposition, ou plutôt ce moment les attendaiteux-mêmes, et chacun d'eux jeta son cœur dans le premier qui s'ouvrit pour'le recevoir. Le sort qui semblait contrarier leur passion ne fit que l'animer. Le jeune amant, ne pouvant obtenir sa maîtresse, se consumait de douleur: elle lui conseilla de voyager pour l'oublier. Il voyagea sans fruit, et revint plus amoureux que jamais. Il retrouva celle qu'il aimait tendre et fidèle. Après cette épreuve, il ne restait qu'à s'aimer toute la vie; ils le jurèrent, et le ciel bénit leur serment, Gabriel Bernard, frère de ma mère, devint amoureux d'une des sœurs de mon père; mais elle ne consentit à épouser le frère qu'à condition que son frère épouserait la sœur. L'amour arrangea tout, et les deux mariages se firent le même jour. Ainsi mon oncle était le mari de ma tante, et leurs enfans furent doublement mes cousins-germains. Il en naquit un de part et d'autre au bout |