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Ce serait perdre son temps et sa peine que de s'attacher aujourd'hui à démontrer les avantages de l'instruction primaire; ils ne sont plus contestés. Si quelques esprits étroits ou fanatiques regrettent en secret l'ancienne ignorance, aucune voix n'ose s'élever publiquement pour disputer à l'ouvrier le droit d'acquérir les connaissances premières indispensables à tous les hommes. On ne s'accorde peutêtre pas sur l'étendue qu'il convient d'attribuer au premier degré d'enseignement; mais chacun reconnaît qu'une certaine instruction doit être reçue par tous les membres de la cité. Dans cet enseignement on place d'un commun accord la lecture, l'écriture et les élémens de l'arithmétique. Son caractère est de ne comprendre que des connaissances à l'usage de tous les emplois de la vie. Le paysan le plus grossier et le philosophe le plus habile ont également besoin de son secours. Il forme le nécessaire moral comme la subsistance est le nécessaire physique.

En théorie, la cause de l'instruction primaire est mille fois gagnée; le sujet ne peut plus convenir qu'à un discours académique; mais, en fait, le plus grand nombre

XIII.

I

des hommes vivent et meurent dans la plus complète ignorance. Les comptes officiels sur le recrutement de l'armée, présentés aux deux chambres pendant la dernière session, viennent d'en fournir une nouvelle preuve; sur 283,822 jeunes gens composant la classe de 1827, il ne s'en est trouvé que 100,787 sachant lire et écrire; c'est environ un sur trois. Et remarquez que l'enfance des hommes, qui ont atteint l'âge de vingt ans en 1827, répond aux premières années de la Restauration, à époque où l'instruction primaire a reçu de nombreux encouragemens; le joug de la puissance sacerdotale n'avait pas encore passé sur elle.

une

L'instruction primaire ne doit manquer à personne, tel est le principe. Mais quels moyens employer pour que le précepte s'accomplisse, pour que l'instruction, universellement nécessaire, soit universellement répandue? Voilà un problème moins facile à résoudre, et qui appelle de sérieuses méditations.

Voulez-vous apprendre quelles voies peuvent le mieux conduire au succès de cette grande entreprise? Une méthode vous guidera avec facilité et certitude; point de raisonnemens généraux, ni de discussions purement spéculatives; laissez de côté les abstractions et les systèmes; placez-vous dans un coin du pays; puis, regardant avec soin autour de vous, cherchez quels encouragemens, quelles règles seraient nécessaires pour que, dans ce canton choisi pour sujet de votre étude, aucun enfant ne demeurât dépouryu d'instruction; d'un coup d'œil tout pratique mesurez les obstacles, appréciez les besoins. De cette connaissance exacte des faits vous déduirez sans peine les moyens et de satisfaire les besoins, et de triompher des obstacles. Votre travail achevé, vous pourrez en ériger les résultats en lois générales; car les données du problème sont partout les mêmes, et par conséquent la solution ne peut pas varier.

Supposez d'abord que la France est gouvernée par des ministres qui portent à l'enseignement un intérêt sincère; puis figurez-vous ensuite, vous, ami et ami chaud de l'instruction populaire, que vous êtes chargé d'en diriger les intérêts dans une partie de la France. Quelle étendue donnerons-nous à votre juridiction? Il ne faut pas qu'elle soit trop vaste, car alors la difficulté d'examiner les choses de près vous rejetterait par force dans les généralités auxquelles nous voulons vous soustraire; il ne faut pas non plus qu'elle soit trop restreinte, car elle doit présenter la réunion de toutes les circonstances que le pays entier peut offrir; c'est un modèle que vous cherchez, une sorte de microcosme, comme disent les métaphysiciens. Prenez donc quelques cantons, un arrondissement; choisissez où il vous plaira, puis entrez en exercice. Allons, à l'œuvre; par où allez-vous commencer?

Ou je me trompe fort, ou il vous paraîtra convenable de connaître d'abord l'état de l'instruction. De même qu'en bonne logique on conclut du présent à l'avenir ou au passé, de même en bonne administration c'est de l'état actuel des choses qu'il faut partir pour réformer ou améliorer. Telle n'est pas, je le sais, la coutume de nos administrateurs. Non qu'ils soient emportés d'un amour aveugle des théories; chaque fois que l'occasion se présente, ils les insultent et les outragent. Mais ils n'en montrent pas pour cela, dans leurs œuvres, plus de respect pour les faits, et il ne leur arrive pas souvent d'invoquer les lumières de la statistique. S'agit-il, par exemple, de préparer quelque projet de loi? ils n'ont garde de se conformer aux préceptes de la raison, et en ce sens on peut dire qu'ils évitent avec soin les systèmes; mais ils ne prennent pas des faits plus de souci; les préjugés de parti ou de bureau, voilà leur seul guide, leur unique règle. Et comment feraient-ils pour chercher dans

les faits la base de leurs mesures d'administration ou de leurs dispositions législatives? Ces faits, ils ne les connaissent pas. On rougit de voir jusqu'à quel point manquent dans nos bureaux les renseignemens les plus simples sur les parties les plus importantes de l'économie sociale. D'inutiles paperasses, il y en a par monceaux; des documens statistiques de quelque valeur, où en trouver? Ce sont bagatelles qui ne méritent pas de fixer l'attention de la noble race des employés de l'État.

Comme je suppose et que vous avez à cœur le succès de la mission qui vous est confiée, et que vous n'avez pas passé votre vie dans les bureaux à oublier les règles du sens commun, je m'imagine aussi que vous ne tiendrez pas à imiter ce bel exemple : vous débuterez donc par la statistique.

Combien existe-t-il d'écoles? Quel est le nombre d'enfans auxquels elles fournissent l'instruction? Quels secours sont accordés par les communes ou par l'État? Quel est le nombre d'élèves indigens instruits gratuitement? Combien reste-t-il d'enfans privés des bienfaits de l'enseignement? Quelles méthodes sont suivies dans les écoles? A quel prix l'instruction est-elle donnée? etc., etc. Voilà les questions que vous vous posez d'abord. Pour les résoudre, vous croyez n'avoir rien de mieux à faire que de vous adresser à l'autorité. C'est le mode le plus simple, L'autorité ne doit-elle pas posséder des renseignemens de si haute importance, et qu'il lui est si facile d'obtenir ? Sans aucun doute, les tableaux où vous recueillerez toutes ces lumières, se trouvent chez le sous-préfet, ou au moins à la préfecture. Vous écrivez réponse négative. On a bien vu autrefois quelques papiers de ce genre; mais l'on ne sait ce qu'ils sont devenus; ils sont égarés; on en a fait des enveloppes. Rebuté chez le préfet, serez-vous plus heureux chez le recteur, dont la fonction spéciale est de diriger l'ensei

guement? Encore moins. Le recteur ne descend pas à de pareilles misères; il a bien d'autres affaires à mener. Si vous le pressez fort, il vous donnera peut-être quelques chiffres en l'air, comme on a vu de graves autorités certifier le nombre d'oeufs pondus chaque année dans toute la France. Mais ne lui en demandez pas davantage. Du courage donc, si vous tenez à votre statistique; il faut réunir les renseignemens vous-même, parcourir les campagnes, visiter les écoles, interroger les maîtres, tenter en un mot avec vos faibles ressources ce qu'il était depuis long-temps du devoir de l'autorité d'accomplir.

Vous surmontez tous les obstacles: votre patience triomphe, et la statistique est terminée. Quels résultats vous offre-t-elle ? Rien que de triste et d'affligeant. Plus de la moitié des enfans ne reçoivent aucune espèce d'iustruction; bon nombre de communes ou manquent d'écoles, ou n'ont pas de maîtres capables. Il faut donc et appeler des maîtres, et fonder des écoles. Grace à Dieu, voici un maître qui se présente, il est habile, plein de zèle; il possède les bonnes méthodes; entre ses mains les enfans feront de rapides progrès avec épargne de temps et d'argent. Il ne lui manque qu'une chose; il a peu étudié les réglemens de l'université, et ne s'imagine pas qu'on puisse être coupable en enseignant à des enfans à tracer quelques lettres sur du papier, ou à en déchiffrer d'autres dans des livres. Dans un pays, où toute opinion peut s'exposer librement, où chaque culte a droit d'élever ses temples et ses chaires, où chaque jour la presse donne, sous toutes les formes et sur tous les sujets, des leçons à la société tout entière, par quelle raison pourrait-il être défendu d'ouvrir une chétive école pour enseigner les arts inoffensifs de la lecture et de l'écriture? Ainsi raisonne cet instituteur, et, en vertu de ce raisonnement, il se met à exercer sa profession. Ses leçons fructifient; les parens s'applaudissent de sa venue; de

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