cet héritage de ses pères, et s'est mis en état de commencer une restauration complète de l'édifice. Ce serait une longue histoire que celle des embarras et des difficultés sans nombre qui se sont succédé pour retarder cette tentative, et qui semblaient à tout moment mettre le succès en problème. Chicanes, entêtemens, prétentions folles, tout est venu à la traverse; mais la persévérance a tout surmonté. Un plan fixe et définitif a été arrêté; on l'a suivi avec constance, et d'un amas de désordres, d'un véritable chaos on a fini par faire sortir les apparences de l'ordre et de la régularité. Ce qui manque encore au Palais-Royal, ce qui lui manquera probablement toujours, ce sont des dépendances. La Cour-des-Fontaines, cette ancienne bassecour du cardinal, lui fait faute; et ce n'est qu'à force d'habileté, et en se mettant un peu à la gêne, qu'on est parvenu à loger çà et là les chevaux, les voitures et tout le train d'une maison de prince. Mais tous ces petits désagrémens se passent derrière la toile, pour ainsi dire; le public ne s'en aperçoit pas. Ce que le public voit au contraire, et ce dont il se réjouit avec raison, c'est que dans dix-huit mois environ tous les travaux extérieurs seront complètement terminés; et que, pour la première fois depuis deux cents ans, le Palais-Royal cessera d'être une ébauche informe, un composé de hangars, de masures et de ruines. Certes si, pour juger ce monument tel qu'il sortira des mains de l'homme habile chargé de le terminer, on n'allait consulter que les lois absolues du beau, l'arrêt serait nécessairement sévère. Mais ce sont seulement les œuvres d'art, élevées d'un seul jet et par une seule pensée, qui peuvent être justiciables de ces lois absolues: les restaurations ont droit à plus d'indulgence. Déguiser par d'heureuses transitions de choquantes disparates, fondre et marier avec bonheur les styles mal as sociés d'époques différentes, voilà toute la gloire de quiconque achève l'œuvre d'autrui. Il n'y a pour lui de mérite que la difficulté vaincue, et tout jugement qui ne tient pas compte de cette difficulté est un jugement injuste. Ainsi, par exemple, quelle tâche plus malaisée que de trouver un lien commun entre la simplicité plate et mesquine de la première cour bâtie par M. Moreau, l'élégance prétentieuse et boursouflée des pavillons de M. Contant, et le grandiose demi-romain, demi-bourgeois des façades de M. Louis? Certes l'idée d'entourer la grande cour d'une galerie à colonnes était très-ingénieuse; car la galerie rappelait la galerie du jardin, et les colonnes étaient un souvenir des colonnes de la façade d'entrée. Le moyen de transition était des plus heureux. Mais pourquoi avoir conservé religieusement les colonnes doriques-romaines de M. Moreau? Pourquoi cet entablement si nu, ces fûts si grèles, et ces piédestaux ou plutôt ces petits dés sur lesquels les füts réposent ? On pardonne le piédestal à une colonne bien ornée, bien recherchée; on lui permet alors de se guinder par coquetterie pour ainsi dire, pour se faire voir, pour faire la statue; mais quand la colonne n'est qu'un nodeste pilier, ce dé de pierre dont vous l'exhaussez est une addition parasite. N'en déplaise à Vitruve et à Vignole, nous aurions donc désiré qu'on choisît un autre ordre, classique ou non, mais qui n'aurait pas, du côté du jardin surtout, contrasté d'une manière si tranchée avec les constructions anciennes. Enfin les personnes qui courent après la perfection ont peut-être raison de regretter que l'étage en mansarde, qui règne des deux côtés de la grande cour, n'ait pas été masqué par un mur en façade, qui se serait élevé jusqu'au niveau des combles, et n'aurait pas ôté à l'édifice cet aspect antique et meridional qu'on a eu la prétention de lui donner. Les toits et les mansardes sont un aveu de notre degré de latitude et un souvenir du moyen âge; ils sont donc incompatibles avec les terrasses et les attiques de MM. Contant et Louis. Ce qui rend ces mansardes plus choquantes encore, c'est que les ailes en retour sur la galerie n'en ont point. A la vérité les lignes ne s'accordaient pas pour continuer le second étage dans le même style tout le long de la cour; c'était une difficulté; mais si l'on eût voulu la vaincre, nous doutons qu'elle se fût trouvée insurmontable. Quant à la nouvelle galerie qui remplace les échoppes de bois, on se plaît à admirer ses proportions spacieuses, et ce berceau lumineux qui lui sert de toiture; mais la décoration laisse beaucoup à désirer. Le choix des couleurs et des ornemens pouvait être plus heureux : et pourquoi, par exemple, ces pilastres revêtus de miroirs? Une glace entre deux pilastres, passe encore, mais sur le pilastre même! Une glace fait nécessairement l'effet du vide, tandis qu'un pilastre destiné à servir de soutien, c'est l'idée de la force et de la consistance qu'il doit représenter. D'autres observations critiques pourraient peut-être encore se présenter, mais elles ne seraient pas de bonne guerre. Nous le répétons; dans ces sortes de travaux, les embarras, les obstacles, les impossibilités, sont innombrables: il faut donc être très-sobre de blâme. Souvent même il faut voir si ce qui nous semble un défaut n'est pas digne d'éloges : car on ne s'est résigné souvent à une faute de goût que par transaction pour ainsi dire, et afin d'échapper à de plus graves inconvéniens. Avons-nous tout dit sur le Palais Royal en nous bornant ainsi à en contempler les façades et les péristyles? Ne devrions-nous pas maintenant pénétrer dans l'intérieur, et décrire tous les travaux qu'on y a exécutés depuis quinze ans? Un tel examen ne serait pas sans intérêt, mais au lieu d'en allonger encore ce récit, mieux' vaut peut-être en faire l'objet d'une seconde visite au Palais-Royal. Nous aurons à admirer, outre beaucoup d'objets d'art et d'industrie nationale, une des galeries les plus intéressantes et les plus variées que renferme aucun palais de prince; et cette revue nous sera d'autant plus facile, qu'un livre, rédigé avec goût et plein de curieuses richesses, nous servira de guide et nous rendra le même service que nous avons reçu aujourd'hui des deux écrits précis et intéressans dont on a lu les titres en tête de cet article. DU VRAI CARACTÈRE DE LA CRISE ACTUELLE. QUE nous soyons dans un état de crise, on n'en saurait douter. Il y a lutte entre les grands pouvoirs publics. Toutes sortes de questions sont soulevées, toutes sortes de perspectives ouvertes. Évidemment ce n'est pas là l'état régulier d'un gouvernement et d'un pays. Mais nous formons-nous en général, de cette crise, une juste idée ? L'apprécions-nous à sa juste mesure? Je ne le pense pas. Entendez ce qui se dit tous les jours et partout: « Nous sommes à la veille d'une révolution. L'existence du gouvernement représentatif, l'existence de la maison régnante sont en jeu. Les maux qui nous menacent sont de ceux auxquels on ne peut apporter que des remèdes presque aussi redoutables. » Je ne crois pas le mal si avancé, et je n'ai pas tant de peur du remède. Je prends d'abord la question la plus délicate, la plus périlleuse, la question des personnes, ou, comme on dit, de la dynastie. Il est vrai depuis quelque temps, on en a beaucoup parlé. De quel côté et dans quel dessein en a-t-on parlé d'abord et davantage? Je n'essaierai pas de le décider. A peine le ministère du 8 août a été formé, ses amis se sont écriés qu'il sauvait la monarchie; ses adversaires, qu'il allait la perdre. Depuis, la controverse a continué sur ce terrain, ramenée à tout propos et sous toutes les formes, matière inépuisable aux accusations, aux récriminations réciproques. Elle a rempli les conversations privées comme les feuilles publiques. Elle est arrivée devant les tribunaux qui l'ont inscrite dans leurs arrêts. XIV. 15 |