L'on n'est pas plus maître de toujours aimer, qu'on ne l'a été de ne pas aimer. Les amours meurent par le dégoût, et l'oubli les enterre. Le commencement et le déclin de l'amour se font sentir par l'embarras où l'on est de se trouver seuls. que Cesser d'aimer, sensible preuve est borné, et que le cœur a ses limites. que l'homme C'est faiblesse d'aimer : c'est souvent une autre faiblesse que de guérir. n'a On guérit comme on se console : on pas dans le cœur de quoi toujours pleurer, et toujours aimer. Il devrait y avoir dans le cœur des sources inépuisables de douleur pour de certaines pertes. Ce n'est guère par vertu ou par force d'esprit que l'on sort d'une grande affliction : l'on pleure amèrement, et l'on est sensiblement touché; mais l'on est ensuite si faible ou si léger, que l'on se console. Si une laide se fait aimer, ce né peut être qu'éperdument; car il faut que ce soit ou par de une étrange faiblesse de son amant, ou par plus secrets et de plus invincibles charmes que ceux de la beauté. L'on est encore long-temps à se voir par habitude, et à se dire de bouche que l'on s'aime, après que les manières disent qu'on ne s'aime plus. Vouloir oublier quelqu'un, c'est y penser. L'amour a cela de commun avec les scrupules, qu'il s'aigrit par les réflexions et les retours que l'on fait pour s'en délivrer. Il faut, s'il se peut, ne point songer à sa passion pour l'affaiblir. L'on veut faire tout le bonheur, ou, si cela ne se peut ainsi, tout le malheur de ce qu'on aime. Regretter ce que l'on aime est un bien, en comparaison de vivre avec ce que l'on hait. Quelque désintéressement qu'on ait à l'égard de ceux qu'on aime, il faut quelquefois se contraindre pour eux, et avoir la générosité de recevoir. Celui-là peut prendre, qui goûte un plaisir aussi délicat à recevoir, que son ami en sent à lui donner. Donner, c'est agir: ce n'est pas souffrir de ses bienfaits, ni céder à l'importunité ou à la nécessité de ceux qui nous demandent. Si l'on a donné à ceux que l'on aimait, quelque chose qu'il arrive, il n'y a plus d'occasions où l'on doive songer à ses bienfaits. On a dit en latin qu'il coûte moins cher de haïr que d'aimer; ou, si l'on veut, que l'amitié est plus à charge que la haine. Il est vrai qu'on est dispensé de donner à ses ennemis; mais ne coûte-t-il rien de s'en venger? ou s'il est doux et naturel de faire du mal à ce que l'on hait, l'est-il moins de faire du bien à ce qu'on aime? ne serait-il pas dur et pénible de ne leur en point faire? Il y a a du plaisir à rencontrer les yeux de celui à qui l'on vient de donner. Je ne sais si un bienfait qui tombe sur un ingrat, et ainsi sur un indigne, ne change pas de nom, et s'il méritait plus de reconnaissance. La libéralité consiste moins à donner beaucoup qu'à donner à propos. S'il est vrai que la pitié ou la compassion soit un retour vers nous-mêmes, qui nous met en la place des malheureux, pourquoi tirent-ils de nous si peu de soulagement dans leurs misères? Il vaut mieux s'exposer à l'ingratitude que de manquer aux misérables. que L'expérience confirme la mollesse ou l'indulgence pour soi, et la dureté pour les autres, n'est qu'un seul et même vice. Un homme dur au travail et à la peine, inéLorable à soi-même, n'est indulgent aux autres que par un excès de raison. Quelque désagrément qu'on ait à se trouver chargé d'un indigent, l'on goûte à peine les nouveaux avantages qui le tirent enfin de notre sujétion : de même la joie que l'on reçoit de l'élé vation de son ami est un peu balancée par la petite peine qu'on a de le voir au-dessus de nous, ou s'égaler à nous. Ainsi l'on s'accorde mal avec soi-même, car l'on veut des dépendants, et qu'il n'en coûte rien: l'on veut aussi le bien de ses amis; et s'il arrive, ce n'est pas toujours par s'en réjouir que l'on commence. On convie, on invite, on offre sa maison, sa table, son bien et ses services: rien ne coûte, qu'à tenir parole. C'est assez pour soi d'un fidèle ami; c'est même beaucoup de l'avoir rencontré : on ne peut en avoir trop pour le service des autres. Quand on a assez fait auprès de certaines personnes pour avoir dû se les acquérir, si cela ne réussit point, il y a encore une ressource, qui est de ne plus rien faire. Vivre avec ses ennemis comme s'ils devaient un jour être nos amis, et vivre avec nos amis comme s'ils pouvaient devenir nos ennemis n'est ni selon la nature de la haine, ni selon les règles de l'amitié : ce n'est point une maxime morale, mais politique. On ne doit pas se faire des ennemis de ceux qui, mieux connus, pourraient avoir rang entre nos amis. On doit faire choix d'amis si sûrs et d'une si exacte probité, que, venant à cesser de l'être, ils ne veuillent pas abuser de notre confiance, ni se faire craindre comme nos ennemis. Il est doux de voir ses amis par goût et par estime : il est pénible de les cultiver par intérêt; c'est solliciter. Il faut briguer la faveur de ceux à qui l'on yeut du bien, plutôt que de ceux de qui l'on espère du bien, On ne vole point des mêmes ailes pour sa fortune, que l'on fait pour des choses frivoles et de fantaisie. Il y a un sentiment de liberté à suivre ses caprices, et, tout au contraire, de servitude à courir pour son établissement : il est naturel de le souhaiter beaucoup et d'y travailler peu, de se croire digne de le trouver sans l'avoir cherché. ne Celui qui sait attendre le bien qu'il souhaite, ne prend pas le chemin de se désespérer s'il lui arrive pas; et celui au contraire qui desire une chose avec une grande impatience, y met trop du sien pour en être assez récompensé par le succès. Il y a de certaines gens qui veulent si ardemment et si déterminément une certaine chose, que de peur de la manquer ils n'oublient rien de ce qu'il faut faire pour la manquer. Les choses les plus souhaitées n'arrivent point; ou, si elles arrivent, ce n'est ni dans le temps, |