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lui auraient donné un autre tour. Il y a un terme, disent les uns, dans votre ouvrage, qui est rencontré, et qui peint la chose au naturel : il y a un mot, disent les autres, qui est hasardé, et qui d'ailleurs ne signifie pas assez ce que vous voulez peut-être faire entendre: et c'est du même trait et du même mot que tous ces gens s'expliquent ainsi; et tous sont connaisseurs et passent pour tels. Quel autre parti pour un auteur, que d'oser pour lors être de l'avis de ceux qui l'approuvent? Un auteur sérieux (1) n'est pas obligé de remplir son esprit de toutes les extravagances, de toutes les saletés, de tous les mauvais, mots que l'on peut dire, et de toutes les ineptes applications que l'on peut faire au sujet de quelques endroits de son ouvrage, et encore moins de les supprimer. Il est convaincu que, quelque scrupuleuse exactitude que l'on ait daus sa manière d'écrire, la raillerie froide des mauvais plaisants cst un mal inévitable, et que les meilleures choses ne leur servent souvent qu'à leur faire rencontrer une sottise.

Si certains esprits vifs et décisifs étaient crus, ee serait encore trop que les termes pour exprimer les sentiments: il faudrait leur parler par

(1) Allusion aux différentes applications que l'on fait des caractères du présent livre..

signes, ou sans parler se faire entendre. Quelque soin qu'on apporte à être serré et concis, et quelque réputation qu'on ait d'être tel, ils vous trouvent diffus. Il faut leur laisser tout à suppléer, et n'écrire que pour eux seuls: ils conçoivent une période par le mot qui la commence, et par une période tout un chapitre : leur avez-vous lu un seul endroit de l'ouvrage, c'est assez, ils sont dans le fait et entendent l'ouvrage. Un tissu d'énigmes leur serait une lecture divertissante, et c'est une perte pour eux que ce style estropié qui les enlève soit rare, et que peu d'écrivains s'en accommodent. Les comparaisons tirées d'un fleuve dont le cours, quoique rapide, est égal et uniforme, ou d'un embrasement qui, poussé par les vents, s'épand au loin dans une forêt où il consume les chênes et les pins, ne leur fournissent aucune idée de l'éloquence. Montrez-leur un feu grégeois qui les surprenne, ou un éclair qui les éblouisse, ils vous quittent du bon et du beau.

Quelle prodigieuse distance entre un bel ouvrage et un ouvrage parfait ou régulier? Je ne sais s'il s'en est encore trouvé de ce dernier genre. Il est peut-être moins difficile aux rares génies de rencontrer le grand et le sublime, que d'éviter toutes sortes de fautes. Le Cid n'a eu qu'une voix pour lui à sa naissance, qui a été celle de

l'admiration; il s'est vu plus fort que l'autorité et la politique (a), qui ont tenté vainement de le détruire; il a réuni en sa faveur des esprits toujours partagés d'opinions et de sentiments, les grands et le peuple : ils s'accordent tous à le savoir de mémoire, et à prévenir au théâtre les acteurs qui le récitent. Le Cid enfin est l'un des plus beaux poëmes que l'on puisse faire; et l'une des meilleures critiques qui aient été faites sur aucun sujet est celle du Cid.

Quand une lecture vous élève l'esprit, et qu'elle vous inspire des sentimens nobles et coune cherchez pas une autre regle pour juger de l'ouvrage, il est bon, et fait de main

rageux,

d'ouvrier.

Capys (1), qui s'érige en juge du beau style, et qui croit écrire comme Bouhours et Rabutin, résiste à la voix du peuple, et dit tout seul que Damis (2) n'est pas un bon auteur. Damis cède à la multitude, et dit ingénuement avec le public que Capy's est un froid écrivain.

(a) Cette pièce excita la jalousie du cardinal de Richelieu, qui obligea l'Académie française à la critiquer.

(1) Boursault, auteur de la comédie d'Ésope, et de quelques autres ouvrages.

(2) Boileau.

Le devoir du nouvelliste est de dire: Il y a un tel livre qui court, et qui est imprimé chez Cramoisy, en tel caractère ; il est bien relié et en beau papier; il se vend tant: il doit savoir jusques à l'enseigne du libraire qui le débite sa folie est d'en vouloir faire la critique.

Le sublime du nouvelliste est le raisonnement creux sur la politique.

Le nouvelliste se couche le soir tranquillement sur une nouvelle qui se corrompt la nuit, et qu'il est obligé d'abandonner le matin à son réveil.

Le philosophe consume (1) sa vie à observer les hommes, et il use ses esprits à en démêler les vices et le ridicule: s'il donne quelque tour à ses pensées, c'est moins par une vanité d'auteur, que pour mettre une vérité qu'il a trouvée dans tout le jour nécessaire pour faire l'impression qui doit servir à son dessein. Quelques lecteurs croient néanmoins le payer avec usure, s'ils disent magistralement qu'ils ont lu son livre, et qu'il y a de l'esprit; mais il leur renvoie tous leurs éloges, qu'il n'a pas cherchés par son travail et par ses veilles. Il porte plus haut ses projets, et agit pour une fin plus relevée : il demande des hommes un plus grand et un plus

(1) La Bruyère, auteur du présent livre.

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rare succès que les louanges, et même que les récompenses, qui est de les rendre meilleurs.

Les sots lisent un livre, et ne l'entendent point les esprits médiocres croient l'entendre parfaitement; les grands esprits ne l'entendent quelquefois pas tout entier : ils trouvent obscur ce qui est obscur, comme ils trouvent clair ce qui est clair. Les beaux esprits veulent trouver obscur ce qui ne l'est point, et ne pas entendre ce qui est fort intelligible.

Un auteur cherche vainement à se faire admirer par son ouvrage. Les sots admirent quelquefois, mais ce sont des sots. Les personnes d'esprit ont en eux les semences de toutes les vérités et de tous les sentiments; rien ne leur est nouveau; ils admirent peu, ils approuvent.

Je ne sais si l'on pourra jamais mettre dans des lettres plus d'esprit, plus de tour, plus d'agrément, et plus de style que l'on en voit dans celles de Balzac et de Voiture. Elles sont vides de sentiments, qui n'ont régné que depuis leur temps, et qui doivent aux femmes leur naissance. Ce sexe va plus loin que le nôtre dans ce genre d'écrire. Elles trouvent sous leur plume des tours et des expressions qui souvent en nous ne sont l'effet que d'un long travail et d'une pénible recherche : elles sont heureuses dans le choix des termes qu'elles placent si juste, que,

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