le tenir les belles promesses qu'ils vous ont Saites, que c'est modestie à eux de ne promettre pas encore plus largement. Il est vieux et usé ( 1 ), dit un grand, il s'est crevé à me suivre ; qu'en faire? Un autre plus jeune enlève ses espérances, et obtient le poste qu'on ne refuse, à ce malheureux que parcequ'il l'a trop mérité. Je ne sais, dites-vous avec un air froid et dédaigneux: Philante a du mérite, de l'esprit, de l'agrément, de l'exactitude sur son devoir, de la fidélité et de l'attachement pour son maître, et il en est médiocrement considéré, il ne plaît pas, il n'est pas goûté: expliquez-vous, est-ce Philante, ou le grand qu'il sert, que vous condamnez? Il est souvent plus utile de quitter les grands que de s'en plaindre. Qui peut dire pourquoi quelques-uns ont le gros lot, ou quelques autres la faveur des grands? Les grands sont si heureux qu'ils n'essuient pas même, dans toute leur vie, l'inconvénient de regretter la perte de leurs meilleurs serviteurs, ou des personnes illustres (2) dans leur (1) De Saint-Pouange. (2) De Louvois. genre, et dont ils ont tiré le plus de plaisir et le plus d'utilité. La première chose que la flatterie sait faire après la mort de ces hommes uniques, et qui ne se réparent point, est de leur supdes endroits faibles, dont elle prétend que poser ceux qui leur succèdent (1) sont très-exempts: elle assure que l'un avec toute la capacité et toutes les lumières de l'autre dont il prend la place, n'en a point les défauts, et ce style sert aux princes à se consoler du grand et de l'excellent par le médiocre. Les grands dédaignent les gens d'esprit qui n'ont que de l'esprit : les gens d'esprit méprisent les grands qui n'ont que de la grandeur: les gens de bien plaignent les uns et les autres, qui ont ou de la grandeur ou de l'esprit, sans nulle vertu. Quand je vois d'une part auprès des grands, à leur table, et queiquefois dans leur familiarité, de ces hommes alertes, empressés, intrigants, aventuriers, esprits dangereux et nuisibles, et que je considère d'autre part quelle peine ont les personnes de mérite à en approcher, je ne suis pas toujours disposé à croire que les méchants soient soufferts par intérêt, ou que les gens de bien soient regardés comme inutiles ; je trouve plus mon compte à me confirmer dans (1) De Pontchartrain. ette pensée, que grandeur et discernement sont feux choses différentes, et l'amour pour la vertu et pour les vertueux, une troisième chose. Lucile aime mieux user sa vie à se faire supporter de quelques grands que d'être réduit à vivre familièrement avec ses égaux. La règle de voir de plus grands que soi doit avoir ses restrictions: il faut quelquefois d'étranges talents pour la réduire en pratique. Quelle est l'incurable maladie de Théophile(1)? elle lui dure depuis plus de trente années; il ne guérit point: il a voulu, il veut, et il voudra, gouverner les grands; la mort seule lui ôtera avec la vie cette soif d'empire et d'ascendant sur les esprits: est-ce en lui zèle du prochain? est-ce habitude? est-ce une excessive opinion de soi-même ? Il n'y a point de palais où il ne s' s'insinue: : ce n'est pas au milieu d'une chambre qu'il s'arrête, il passe à une embrasure ou au cabinet: on attend qu'il ait parlé, et longtemps, et avec action, pour avoir audience, pour être vu. Il entre dans le secret des familles, il est de quelque chose dans tout ce qui leur arrive de triste ou d'avantageux : il prévient, il s'offre, il se fait de fête, il faut l'admettre. Ce n'est pas assez, pour remplir son temps ou son (1) De Roquette, évêque d'Autun. il ambition, que le soin de dix mille ames dont il répond à Dieu comme de la sienne propre ; en a d'un plus haut rang et d'une plus grande distinction, dont il ne doit aucun compte, et dont il se charge plus volontiers. Il écoute, il veille sur tout ce qui peut servir de pâture â son esprit d'intrigue, de médiation, ou de manége: à peine un grand est-il débarqué(1), qu'il l'empoigne et s'en saisit: on entend plutôt dire à Théophile, qu'il le gouverne, qu'on n'a pu soupçonner qu'il pensait à le gouverner. Une froideur ou une incivilité qui vient de ceux qui sont au-dessus de nous nous les fait hair, mais un salut ou un sourire nous les réconcilie. Il y a des hommes superbes que l'élévation de leurs rivaux humilie et apprivoise; ils en viennent par cette disgrace jusqu'à rendre le salut : mais le temps, qui adoucit toutes choses, lcs remet enfin dans leur naturel. Le mépris que les grands ont pour le peuple les rend indifférents sur les flatteries ou sur les louanges qu'ils en reçoivent, et tempère leur vanité. De même les princes loués sans fin et sans relâche des grands ou des courtisans en sc (1) Le roi Jacques II, auprès duquel il voulut s'insinuer. raient plus vains, s'ils estimaient davantage ceux qui les louent. Les grands croient être seuls parfaits, n'admettent qu'à peine dans les autres hommes la droiture d'esprit, l'habileté, la délicatesse, et s'emparent de ces riches talents comme de choses dues à leur naissance. C'est cependant en eux une erreur grossière de se nourrir de si fausses préventions: ce qu'il y a jamais eu de mieux pensé, de mieux dit, de mieux écrit, et peutêtre d'une conduite plus délicate, ne nous est pas toujours venu de leur fonds. Ils ont de grands domaines, et une longue suite d'ancêtres, cela ne leur peut être contesté. Avez-vous de l'esprit (1), de la grandeur, de l'habileté, du goût, du discernement? en croirai-je la prévention et la flatterie qui publient hardiment votré mérite? elles me sont suspectes, et je les récuse. Me laisserai-je éblouir par un air de capacité ou de hauteur qui vous met audessus de tout ce qui se fait, de ce qui se dit, et de ce qui s'écrit; qui vous rend sec sur les louanges, et empêche qu'on ne puisse arracher de vous la moindre approbation? Je conclus de là, plus naturellement, que vous avez de la sadu crédit et de grandes richesses. Quel veur, (1) De la Feuillade. |