& fort au-deffus pour la connoiffance des Anciens, & le goût de la faine littérature. Cette révolution, qui ne remonte pas plus haut que trente ans, eft abfolument ignorée de la plupart des gens de lettres qui écrivent aujourd'hui. Tous à l'envi les uns des autres, s'épuifent à crier contre les abus de l'ancienne Univerfité, dont il ne refle plus aujourd'hui la moindre trace; ils s'efcriment contre une ombre, s'embarraffant fort peu que leurs déclamations foient juftes, pourvu qu'elles en impofent au vulgaire ignorant: mais tandis que des Auteurs charlatans fe déchaînent contre la rudeffe & la grof fiéreté de l'enfeignement public, de très-bons efprits, dans le fein même de l'Univerfité, fe plaignent, avec raifon, de cette politeffe moderne, qui menace d'anéantir dans fon der nier afyle, la fimplicité antique, la véritable érudition & le goût de la bonne latinité. Revenons à M. Chivot: élevé dans le fein de l'Univerfité au Collége des Graffins, diftingué dans fes premières études par les fuccès les plus brillans, perfectionné enfuite par la contempla tion affidue des meilleurs modèles de l'antiquité, & fortifiant chaque jour fes difpofitions naturelles par un travail opiniâtre, il annonçoit à la nation un homme capable de faire époque dans ce fiècle de corruption, par cette alliance fi rare & fi précieuse, du talent & du goût. La mort l'a furpris à l'entrée de la carrière: la terre cachoit encore les fondemens de l'édi fice qu'il alloit élever & dont il avoit raffemblé tous les matériaux : mais l'obfcurité même où il eft resté femble imposer à tous fes amis l'obligation de le venger des injuftices du fort: les hommes illuftres qui ont affez vécu pour leur gloire, & qui ont laiffé des monumens de leur génie, ont en quelque forte moins de droit en mourant à nos éloges & à nos regrets : ils font affez loués par leurs Ouvrages; la meilleure partie d'eux-mêmes nous refte, nous ne perdons que leur dépouille mortelle : mais un jeune homme ravi à la gloire & aux lettres au moment même où il alloit jouir avec le public du fruit de fes veilles, meurt tout entier pour lui & pour nous: fes Connoiffances, fes talens, tout ce que de longues & pénibles études lui ont acquis s'enfevelit avec lui dans le même tombeau; il s'éteint avant d'avoir obtenu les faveurs de cette renommée idole de fon cœur, à laquelle il a facrifié tous les inftans d'une courte & pénible vie: que fes mânes du moins foient confolés par les hommages & les louanges de tous ceux qui l'ont connu ; que, les confidents de fon mérite s'empreffent d'apprendre à la Nation ce qu'il eût été, & que la poftérité lui tienne compte de ce qu'il auroit fait pour elle. Le Difcours eft divifé en deux parties: la première nous retrace les talens, & la feconde les vertus de M. Chivot: cette divifion eft jufte, bien remplie, & la feconde partie eft encore plus inté reffante que la première; il y a bien peu de gens de lettres aujourd'hui dont Péloge pût être ainfi diftribué. Tel héros de notre littérature fourniroit beaucoup au chapitre des talens; mais Le chapitre des vertus feroit bien court; ou fi l'orateur vouloit être vrai, féloge fe changeroit en fatyre. Les ouvrages que M. Chivot nous a laiffés, fe téduifent à quelques pièces grecques & latines, où l'on reconnoît ce-ton tout-à-la-fois naturel & fublime, & cette févérité de goût qui caractérife les plus beaux fiècles de l'ancienne littérature. C'étoit autrefois un ufage folemnel dans l'Univerfité, de célébrer les évènements publics par de petits poëmes écrits dans la langue d'Homere & de Virgile depuis que ces langues ne trouvent plus de lecteurs, & que le goût de l'antiquité s'eft affoibli, les Maîtres de l'Univerfité ont été un peu découragés par l'efpèce de difcrédit où la poefie latine eft tombée, & par les plaifanteries philofophiques de quelques beaux efprits ignorans. II s'en faut bien que la compofition des vers grecs & latins, foit un travail auffi inutile, auffi ridicule qu'on voudroit nous le perfuader: Elle orne & nourrit l'imagination, elle la familiarife avec toutes les richeffes des deux plus belles langues que les hommes ayent jamais parlées, langues beaucoup plus harmonieufes, beaucoup plus poëtiques que la nôtre : quand on ne retireroit de cette occupation d'autre fruit que de mieux fentir les beautés des Poëtes grecs & latins, ce ne feroit pas un médiocre avantage. M. Chivot ne fit point affez effrayé de la frivolité & de l'ignorance du frècle, pour défefpérer de trouver des lecteurs même en faifant des vers grecs. Le fuffrage de quelques fçavans étoit plus précieux pour lui, que l'admiration aveugle de la multitude; il s'annonça d'une manière brillante par une ingénieufe allégorie fur le voyage de l'Empereur en France: il fuppofe que Jupiter a dépofé la foudre, & dépouillé de la majefté qui l'accompagne dans 'Olympe, parcourt la terre fous les traits d'un fimple mortel, tandis que Paigle inquiet, cherche par tout fon maître. Allufion délicate & piquante à la fimplicité dont l'illuftre voyageur fe plaifoit à couvrir l'éclat de fon rang. Quand le petit - neveu de Pierrele-Grand vint, à l'exemple de fon ayeul, étudier nos Etabliffemens admirer nos Sciences & nos Arts, & nous offrir lui-même un plus digne objet d'admiration, M. Chivot nous fit entendre Orphée déplorant l'abfence de ce jeune Héros, & annonçant fes glorieufes deftinées. |