effronté, et il embrassa systématiquement ce que la corruption d'alors avait de pire. Entouré d'une bande de débauchés de qualité, il renouvelait avec eux tout ce que les satires de l'antiquité rappellent de dégoûtant. Des femmes belles, gracieuses, remplies d'esprit prenaient part à des orgies où tout sentiment de religion et de piété domestique était foulé aux pieds. Là Philippe, pour mieux oublier son rang de prince, oubliait sa dignité d'homme. Il tenait encore plus à faire parade de débauches qu'à s'y livrer, ce qui lui en faisait inventer d'extravagantes. Les jours les plus saints étaient ceux qu'il choisissait pour faire les parties les plus scandaleuses et pour y réunir les personnes les plus diffamées. La duchesse de Berry, sa fille, poussa avec son père l'oubli de toutes convenances au point d'éveiller des soupçons d'inceste. Dans sa manie de nouveautés, le duc d'Orléans se prit de goût pour la peinture: il y travailla lui-même, et forma des collections précieuses. D'autres fois il se livrait à la chimie, dont il s'ingéniait à surprendre des secrets. Après avoir cherché à se persuader, par ses lectures et par ses discours, que Dieu n'existe pas, il lui prenait fantaisie de voir le diable et de le faire parler, et il passait des nuits entières dans les souterrains à faire des évocations; il interrogeait l'avenir dans un verre; tout cela par amour de l'étrangeté et du changement. Néanmoins il ne se laissait pas dominer par ses maîtresses. Quand madame de Tencin voulut mêler aux plaisirs des conseils de politique, elle n'en obtint qu'une réponse cynique. Il laissa parler la belle madame de Sabran; puis, l'ayant menée devant une glace, il lui dit : Croyez-vous qu'avec un visage pareil on puisse parler d'affaires si tristes et si sérieuses? Ce fut elle qui, dans un souper, dit ces mots devenus célèbres: Dieu, après avoir créé l'homme, prit un reste de fange pour en former l'âme des princes et des valets. L'exemple du chef de l'État fit que le dérèglement devint à la mode. Les moins passionnés même s'en donnaient l'air, et il se glissa dans la société un libertinage apprêté et systématique, où la vanité avait plus de part que les sens. Dubois, le complice de ces excès, montait en faveur; payé à la fois par la France et par ses ennemis (1), il accumulait les (1) Dubois, d'après les calculs de Saint-Simon, avait plus d'un million et demi de revenu, savoir : En bénéfices. 324,000 fr. emplois et les pensions. Cynique, méprisé et repoussant de manières, il osa demander l'archevêché de Cambrai, auquel se rattachait le titre de prince d'Empire et, qui plus est, le souvenir de Fénelon; et il l'obtint. Le régent lui demanda : Où trouveras-tu l'infâme qui consentira à te consacrer? Et pourtant la France dépensa, dit-on, huit millions pour obtenir à ce misérable le chapeau de cardinal, quand le pape, qui le lui accorda, aurait dû plutôt le chasser du sanctuaire. Le chancelier d'Aguesseau, élève de Port-Royal, aussi pauvre de génie que riche de vertus et de talents, moins toutefois l'habileté politique et l'énergie civile, s'opposa à l'admission de Dubois dans le conseil royal en qualité de cardinal, ce qui le fit exiler. Les ducs se retirèrent aussi comme lésés dans leurs droits. Il en résulta donc que Dubois resta premier ministre, chargé de toutes les affaires, dont le régent ne demandait pas pas mieux que de se débarrasser (1). Ce prince, placé entre une gloire éblouissante et de grands revers, a été jugé peut-être avec une sévérité excessive, et dénigré au delà de ce qu'il méritait personne ne saurait nier toutefois que son gouvernement n'ait été signalé par des désordres déplorables. Les finances se trouvaient épuisées à tel point qu'il manquait chaque année 77 millions pour faire face aux dépenses courantes, ce qui accumula une dette de 2 milliards 62 millions, équivalant à 33 milliards 786 millions d'aujourd'hui. Saint-Simon proposait une banqueroute; mais l'on n'osa la déclarer ouver tement (2), et l'on eut recours à un palliatif, en procédant à une révision qui réduisit la dette à 1,635 millions. Tous les billets furent ramenés à un seul et même taux. La monnaie fut refondue à un cinquième de valeur en plus; puis on établit, pour juger les prévarications, les concussions, les malversations des fermiers de l'État, une chambre ardente qui prononça contre eux des Comme ministre. Pour emplois. Pension de l'Angleterre. . (1) Voyez LEMONTEY, II, 97. 150,000 100,000 960,000 (2) « A notre avénement à la couronne, il n'y avait pas les moindres fonds... Au milieu d'une situation si violente, nous n'avons pas laissé de rejeter la proposition qui nous a été faite de ne point reconnaître des engagements que nous n'avions pas conctractés. » Déclaration royale du 7 décembre 1717. C'est le plus beau commentaire du règne du grand roi. Après sa mort, on liquida une dette de 2,062,138,000, portant intérêt de 89,143,153. Law. peines atroces, la mort, les galères, le pilori. Les serviteurs étaient admis à déposer contre leurs maîtres; on offrait un appât aux dénonciateurs en leur accordant un tiers des amendes et confiscations, ainsi que la protection royale contre les poursuites des créanciers. C'était par de tels moyens que l'on voulait arriver à éteindre la dette publique, et ce n'était pas tant un crime d'être concussionnaire que d'être riche. Quatre mille quatre cent soixante-dix chefs de famille furent atteints par cette proscription nouvelle, et obligés de se tenir renfermés dans les magnifiques demeures qu'ils s'étaient données. Quelques-uns s'enfuirent; d'autres se donnèrent la mort; plusieurs achetèrent leur grâce des favoris, et l'indulgence devint ainsi un trafic. Les restitutions décrétées devaient s'élever à trois cents millions; mais l'intrigue ou la faveur les réduisit à quinze à peine mince résultat en regard de l'exécration publique, qui s'accroissait à l'aspect de tant de gens ruinés, tandis que d'autres s'engraissaient de leurs dépouilles. Enfin la Chambre ardente tomba sous la malédiction universelle. Dubois, trouvant insuffisants à beaucoup près les remèdes financiers du duc de Noailles, placé à la tête des finances, présenta au régent un homme qui promettait d'amortir la dette du royaume, d'augmenter les revenus et de diminuer l'impôt en créant une valeur fictive équivalant à une valeur réelle. Système de C'était l'Écossais John Law, qui se vantait d'être le disciple de Locke et de Newton. Les gouvernements s'étaient tellement grevés de dettes dans le siècle précédent qu'il fallait trouver moyen de marcher sans nouveaux impôts. Les combinaisons du change n'étaient point encore connues. Il y avait plusieurs banques instituées en Europe; mais la banque d'Angleterre seule était régie d'après des principes rationnels. Law, qui les avait étudiés, en conçut des idées beaucoup plus nettes qu'aucun de ses contemporains (1); et, voyant que le crédit avait fait prospérer la Hollande, tandis que les autres nations luttaient contre la misère, il s'exagéra la puissance de cet élément de richesse et l'activité de la circulation. (1) M. Thiers, dans l'Encyclopédie progressive, art. Law, et M. BLANQUI, Hist. de l'économie politique, parlent de lui avec admiration, tandis que STORK, Cours d'économie politique, et Rossi le condamnent. Voy, aussi Eugène Dairie, Notice historique sur Law, en tête des ouvrages de ce financier célèbre. Faites abonder l'argent, disait-il, et vous verrez l'industrie, la prospérité de la nation s'accroître; car avec l'argent vous pouvez commander le travail. On arrive à ce résultat moyennant des banques de circulation, qui permettent de faire autant d'argent qu'on en veut. Or, toute matière quelconque apte à représenter des valeurs peut devenir argent, et le papier est plus approprié à cet usage que les métaux. Le crédit individuel, c'est-à-dire celui des banquiers et des autres marchands d'argent, est funeste à l'industrie, attendu que les prêteurs avides traitent en despotes les travailleurs qui ont besoin de capitaux. « Il faut substituer à la commandite du crédit individuel celle du crédit de l'État; le souverain doit donner le crédit, et non le recevoir.» Paroles remarquables; il disait aussi qu'un artisan qui gagne vingt sous est plus précieux qu'un terrain qui rapporte vingt-cinq mille livres. Un honnête négociant, ajoutait Law, fait des affaires pour le décuple de ce qu'il possède, et en retire un avantage décuple: si l'Etat attire à lui tout l'argent, quel bénéfice ne fera-t-il past Mais Law se trompait ici en ne calculant pas l'assistance vigilante de l'homme privé et sa bonne foi; il errait en attribuant au crédit des effets dont il n'est que la conséquence. Law ne s'aperçut pas non plus que l'argent en circulation doit être proportionné aux valeurs qui circulent par le change; autrement son accroissement renchérit les prix, et n'augmente pas la richesse. Il se trompa plus déplorablement encore lorsqu'il crut que l'on pouvait donner au papier une valeur forcée. Dès 1705, l'Angleterre se trouvant à court de numéraire, Law lui avait proposé la fondation d'une banque qui aurait émis des billets jusqu'à la valeur de toutes les terres du royaume. N'ayant pas été écouté, il proposa son plan à Victor-Amédée, qui répondit n'être pas assez puissant pour se ruiner. Il l'offrit également à Louis XIV en déclarant qu'il était prêt à perdre cinq cent mille francs au cas où ses promesses ne se réaliseraient pas, et il ne fut pas plus heureux. Enfin, il fut accueilli par le régent, à qui il proposa de créer une banque d'escompte, moyennant laquelle le gouvernement s'assurerait le bénéfice de tous les monopoles, faciliterait toutes les opérations de finance, et se procurerait assez d'argent pour subvenir à ses besoins démesurés. Il aurait fallu, pour remplir son but, une banque générale et nationale appelée à percevoir tous les revenus publics et à exploiter tous les priviléges que le gouvernement aurait voulu 1717. lui accorder; mais il ne put obtenir que l'autorisation d'établir une banque de circulation, avec ses propres fonds et à ses risques et périls: c'est ce qu'il fit avec un capital de six millions, augmenté d'actions de cinq mille francs, que l'on achetait en payant un quart en argent et le reste en billets de l'État, dont le taux était alors très-bas. L'édit ajoutait que cette banque offrait l'avantage de changer l'argent à gros intérêt contre du papier que l'on pourrait réaliser d'un instant à l'autre. Pour commencer ses opérations, la banque de Law et compagnie obtint la ferme des monnaies, puis celle de tous les revenus publics, moyennant 52 millions par an, à la condition de prêter au roi 1,200 millions à trois pour cent, pour le remboursement des rentes perpétuelles. La banque fut étendue à toute la France, et l'engouement fut tel que la somme émise fut bientôt de 12 milions. Jusque-là tout allait pour le mieux : la banque ne compliquait point ses opérations de prêts ni d'affaires de commerce; elle correspondait dans les provinces avec les directeurs des monnaies; elle avait dans ses mains les caisses des particuliers, escomptait, recevait des dépôts, émettait des billets payables à vue et en monnaie inaltérable. La banque d'escompte raviva instantanément le commerce, restreignit l'usure, fixa le taux de l'argent, renoua les relations avec l'étranger: les richesses se trouvant multipliées par le crédit et le commerce par la circulation, la fortune publique et privée se rétablit. Seize cents séquestres furent levés dans la généralité de Paris; les manufactures s'accrurent de trois cinquièmes; une affluence énorme d'étrangers augmenta la consommation; on rechercha les jouissances et le luxe; et en même temps que les particuliers se procuraient des carrosses, des vêtements de prix, des boissons glacées, les impôts sur les comestibles furent abolis, l'enseignement de l'université fut rendu gratuit et des travaux publics furent entrepris. Law proposa alors de réduire tous les impôts à un seul, et il persuada aisément ceux qu'il avait habitués à des prodiges. Il offrait tout ce qui peut séduire : une théorie nouvelle exposée avec clarté, des idées hardies émises avec assurance, un système complet qui dispensait de toute autre étude, enfin une perspective illimitée de richesses et de jouissances. Des gens enrichis par le vol et les concussions n'entendaient rien au crédit, aux banques, aux théories de l'argent. Les courtisans poursuivis par |