UNIVERSELLE. LIVRE XVII. DIX-SEPTIÈME ÉPOQUE. SOMMAIRE. - Conséquences de la paix d'Utrecht; Philippe V. — La Régence. — L'Empire, Charles VI. Guerre de la succession d'Autriche; la Prusse; paix d'Aix·laChapelle. Frédéric 11, guerre de sept ans. - La France, la Corse, Louis XV. Mœurs. Littérature philosophique. — Sciences sociales, philanthropie, améliorations. - Destruction de l'ordre des jésuites. — La Turquie, la Perse.- La Russie.-La Pologne.-Catherine II.- La Suède. -Le Danemark. - La Grande-Bretagne. Colonnies auglo-américaines. L'Inde. Angleterre, littérature anglaise. Marie-Thérèse et Joseph II. Esprit et littérature en Allemagne. — Philosophie. Espagne. Portugal. -- 1 — États généraux. — République helvétique. — Italie. — Les réformes. Italie, derniers faits. — Littérature italienne. Érudition, archéologie, numismatique. — Beaux-arts. — Musique et pantomimique. — Sciences. Louis XVI. Préludes de la révolution française. CHAPITRE PREMIER CONSÉQUENCES de la paix d'utRECHT— PHILIPpe v. Le traité d'Utrecht n'introduisait dans le droit public aucun principe général; cependant tous les traités subséquents s'y référèrent, ceux auxquels il avait profité ayant intérêt à le maintenir, surtout l'Angleterre, dont il avait consolidé la grandeur, comme le traité de Westphalie avait consolidé celle de la France. La dynastie protestante, reconnue alors, regardait le traité d’Utrecht comme sa seule garantie, et fondait ses idées d'équilibre européen sur son alliance avec l'Autriche : c'était, disait-on alors, l'alliance du protestantisme le plus indépendant avec le catholicisme le plus légitime. L'Angleterre, que les stipulations de cette paix laissaient maîtresse de la mer, put donner carrière à cette ambition qui est pour elle une nécessité, contrainte qu'elle est de dominer sur l'Océan pour qu'on ne vienne pas la troubler chez elle. Gouvernée par des politiques illustres avec toute l'énergie de l'égoïsme national, elle vit son commerce et son industrie s'accroître sans mesure. Inaccessible à ses ennemis par sa position insulaire, forte de son esprit public développé par les lois et par la magie du crédit qu'elle fut la première à connaître, elle n'aspire pas à dominer sur le continent; mais elle s'oppose à quiconque prétend y agir en maître: si elle est menacée dans ses possessions transatlantiques, elle bouleverse l'Europe pour détourner l'attention; pendant ce temps elle assouvit sa soif de l'or dans l'Inde, qui la dédommagera un jour de la perte de ses colonies d'Amérique, destinées, après avoir secoué son joug, à devenir une nouvelle Angleterre. L'empereur, comme souverain des Pays-Bas, se vit contraint de demeurer uni à l'Angleterre; le Portugal, qui par nécessité avait réclamé son alliance pendant la guerre, voulut la conserver dans l'intérêt de son commerce; mais il se ruina, au contraire, au profit des Anglais par le traité de Méthuen (1703), en s'obligeant à recevoir leurs étoffes de laine, à la condition que son vin ne payerait chez ses alliés que le tiers du droit perçu sur celui de France. L'Angleterre pouvait aisément mettre de son côté la Savoie et les princes d'Allemagne au moyen des subsides qu'il lui était facile de leur procurer grâce au système des emprunts, déjà très-efficace malgré la nouveauté. La Hollande, que le patriotisme et la constance de ses habitants avaient créée et qui dans sa lutte pour briser le joug espagnol, puis pour résister à Louis XIV, avait pu rivaliser avec l'Angleterre, reconnut à ses dépens combien il est dangereux de se mêler aux querelles des grandes puissances. Après avoir prodigué son or et son sang pour enrichir l'Angleterre et pour accroître la puissance de l'Autriche, elle se trouvait désormais. asservie à la première par les alliances de famille, et elle signa à la paix sa propre décadence. En renonçant à entretenir des forces militaires respectables, elle descendit dans l'opinion, et elle en vint à cet état intermédiaire qui ne comporte ni assez de force pour commander ni assez d'obscurité pour désarmer l'envie. Elle avait, il est vrai, une ceinture de forteresses; mais à quoi pouvaient-elles servir avec des garnisons insuffi santes? Réduite à n'être plus que marchande, elle tâcha de se mettre en garde contre les surprises à force de vigilance et contre les inimitiés à force de soumission. L'Allemagne possède deux grands États guerriers; elle voit ses princes occuper plusieurs des trônes de l'Europe, et pourtant son importance ne s'accroît point, parce qu'il lui manque la communauté d'intérêts et une forte constitution. L'Autriche s'était étendue en Italie; mais les accroissements de territoire ne sont avantageux que quand l'administration est bonne autrement ils ne font qu'offrir un champ plus vaste aux agressions. Après avoir perdu l'alliance de famille qui l'unissait à l'Espagne, elle demeura toujours moins active que passive, tendant à conserver, et épiant sans cesse les occasions de s'agrandir. De même qu'on avait élevé la Savoie pour tenir tête à la France, on érigea en royaume, contre l'Autriche, la Prusse, dont une suite de princes illustres augmenta la grandeur artificielle, et suppléa, grâce à lå force morale et intellectuelle, à ce qui manquait au pays en force numérique et compacte. C'était aussi pour l'Autriche un sujet d'inquiétude que de voir le Holstein donné à la Russie, qui acquit ainsi le droit de suffrage dans l'Empire. Ce vaste pays, ayant, comme l'Angleterre, accompli sa révolution dans le siècle précédent, se trouva en mesure de s'occuper de ce que faisaient les autres États; il accepta la civilisation du dehors au détriment de son développement original, et sa puissance intérieure s'accrut ainsi que son influence. La France, qui jusque-là avait dirigé fièrement la politique européenne, se trouve réduite au second rang, bien que dominant encore des deux côtés des Pyrénées. Mais le progrès intellectuel vient lui prêter une influence nouvelle; et si, dans le siècle précédent, elle avait produit des ouvrages dont la perfection exquise rappelait les temps de Périclès et d'Auguste, elle répand dans celui-ci ses idées par toute l'Europe, et les proclame sur les places publiques. Mais à cette diffusion de doctrine s'associe la dépravation morale: les classes moyennes sont saines, mais les hautes classes sont corrompues : la raison populaire devance de beaucoup celle du gouvernement; de là entre les pouvoirs des démarcations indéterminées, une administration vacillante au dedans, une politique sans énergie au dehors. La Suède, création improvisée d'un grand roi, gît épuisée par suite des folies audacieuses d'un autre prince, et reste comme la proie désignée d'un voisin dont naguère le nom n'était même pas prononcé en Europe. Derrière ces grandes puissances la Pologne s'obtine à ne pas avancer, c'est-à-dire à ne pas se transformer; puis enfin le moment viendra où elle se verra conquise sans avoir combattu. La Suisse conserve l'esprit militaire, mais pour le service d'autrui; elle gagne ainsi de l'argent, et perd de son influence. En Italie les étrangers ne règnent plus que sur la Lombardie, et ils travaillent à régénérer cette belle province. Quarante-huit années de paix permettent aux habitants d'acquérir du savoir et des richesses; mais, comme ils ne nourrissent ni craintes, niespérances, ni grandes passions, ils s'amollissent, et les princes y montrent plus de bonne volonté que d'aptitude à donner au pays des institutions sérieuses et stables. En somme, la tendance au positif se remarque de plus en plus; la Prusse l'emporte, avec sa discipline militaire, sur la monarchie autrichienne, composée d'éléments hétérogènes; l'industrie et le bon sens pratique des Anglais, sur l'insouciance espagnole et sur la mobilité française; le despotisme russe, sur la turbulente aristocratie polonaise. Partout les monarchies se consolident en renversant les obstacles qui restent encore du moyen âge et en poursuivant l'unité administrative. En Angleterre seulement la monarchie s'était alliée de plus en plus avec l'aristocratie; mais dans les autres pays elle tendait à abattre tous les autres pouvoirs. La puissance royale était considérée généralement comme une providence, ce qui faisait qu'au lieu d'en examiner les actes on s'inclinait devant elle. Louis XIV, dont la puissance avait été longue et imposante, avait habitué les esprits au despotisme; et cette forme de gouvernement sembla nécessaire pour extirper ce qui restait du moyen âge, ne servant plus qu'à entraver le progrès et l'égalité civile. Les classes privilégiées, les droits seigneuriaux, les immunités du clergé et des corporations, les prétentions de Rome, les parlements furent tour à tour battus en brèche : c'était rendre les gouvernement absolus, et les affranchir de toutes conditions; mais on les mit ainsi en présence des peuples, qui apprirent à connaître leurs droits, en attendant le moment de les réclamer. Dans la politique extérieure, la morale fut effrontément foulée aux pieds: on ne tient compte ni des nationalités ni des anciennes |