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gement; et Frédéric n'eut plus contre lui que les Autrichiens, les Français, les Saxons et les Impériaux.

Alors s'ouvrit une nouvelle campagne, dont le fait le plus mémorable fut le siége de Schweidnitz. Pendant ce temps les Anglais enlevaient à l'Espagne Manille et les Philippines en Océanie, et en Amérique la Havane avec les trésors qui s'y trouvaient. Marie-Thérèse, qui s'était opposée fièrement à tout accord tant qu'elle avait vu les Russes essuyer les plus grands désastres et ses propres troupes épargnées, se résigna alors à proposer une paix que réclamaient hautement les princes de l'Empire, entraînés par elle dans une guerre opposée à leurs intérêts. Elle fut enfin signée à Paris.

1763

On convint d'abord de l'échange des prisonniers, dont vingt Paix de Paris mille Français se trouvaient encore au pouvoir de l'Angleterre, sur un bien plus grand nombre qui avaient péri par suite de mauvais traitements. La France renonça honteusement à toute prétention sur l'Acadie, le Canada, le cap Breton, ainsi qu'aux autres îles et côtes tant du fleuve que du golfe SaintLaurent. Ses sujets eurent la faculté de pêcher sur le banc de Terre-Neuve et dans le golfe Saint-Laurent, mais à trois lieues de distance des côtes anglaises et à quinze du cap Breton; et il lui fut interdit de fortifier les îles de Saint-Pierre et Miquelon, que lui céda l'Angleterre. En Amérique, Belle-Isle, la Martinique, la Guadeloupe, Marie-Galante, la Désirade, Cuba furent rendues à la France; à l'Angleterre, celles de la Grenade avec les Grenadines, Saint-Vincent, la Dominique et Tabago, la Floride, le fort Saint-Augustin, la baie de Pensacola et toutes les possessions à l'est et au sud du Mississipi, dont le cours devait être la limite entre les deux puissances, avec la liberté d'y naviguer. Il en fut de même du fleuve du Sénégal, où les Français furent réintégrés dans Gorée. Dans les Indes orientales, l'Angleterre restituait les forts et comptoirs de Coromandel, de Malabar, d'Orica, du Bengale, tels qu'ils étaient avant 1749; la France rendait Natal et Tabanonhy, dans l'île de Sumatra, en s'obligeant à ne pas tenir de troupes dans le Bengale et à renoncer à toute acquisition faite depuis la même époque. En Europe, Minorque et Saint-Philippe étaient recouvrés par l'Angleterre, de même que le Hanovre par le landgrave de Hesse et par le comte de Lippe les terres prises sur ce seigneur. Les possessions du Portugal, en Europe, furent évacuées, et on lui restituait les colonies qui lui appartenaient auparavant.

bertsbourg.

Paix de Hu- La paix fut aussi conclue à Hubertsbourg entre l'impératrice et le roi de Prusse. Marie-Thérèse renonça à toute prétention sur les États de Frédéric : elle s'engagea à lui faire restituer la ville et le comté de Glatz, ainsi que les forteresses de Wesel et de la Gueldre. Le roi promit secrètement son suffrage pour l'Empire à Joseph, fils de Marie-Thérèse, et à un autre archiduc, afin que ce dernier épousât l'héritière du duc de Modène.

Les dommages furent considérés comme compensés entre Frédéric et le roi de Pologne, électeur de Saxe; les prisonniers et les villes occupées furent restitués de part et d'autre.

Sept années de carnage laissèrent donc l'Europe dans le même état qu'auparavant (1), sauf que l'Angleterre, outre ses

(1) « Si nous examinons, dit Frédéric 11, dans l'Histoire de la guerre de Sept, Ans, les causes qui ont fait tourner les événements d'une manière si inattendue, nous trouverons que les raisons suivantes empêchèrent la perte des Prussiens le défaut d'accord et le manque d'harmonie entre les puissances de la grande alliance; leurs intérêts différents, qui ne leur permirent pas de convenir de certaines opérations; le peu d'union entre les généraux russes et autrichiens, qui les rendait circonspects lorsque l'occasion exigeait qu'ils agissent avec vigueur pour écraser la Prusse, comme ils l'auraient pu faire effectivement; la politique trop raffinée et quintessenciée de la cour de Vienne, dont les principes la conduisaient à charger ses alliés des entreprises les plus difficiles et les plus hasardeuses, pour conserver, à la fin de la guerre, son armée en meilleur état et plus complète que celles des autres puissances, d'où, à différentes reprises, il résulta que les généraux autrichiens, par une circonspection, outrée négligèrent de donner le coup de grâce aux Prussiens lorsque leurs affaires étaient dans un état désespéré; la mort de l'impératrice de Russie, avec laquelle l'alliance de l'Autriche fut ensevelie dans un même tombeau; la defection des Russes et l'alliance de Pierre III avec le roi de Prusse, et enfin les secours que cet empereur envoya en Silésie.

« Si nous examinons, d'un autre côté, les causes des pertes que les Français firent dans cette guerre, nous reconnaîtrons la faute qu'ils commirent de se mêler des troubles de l'Allemagne. L'espèce de guerre qu'ils faisaient aux Anglais était maritime; ils prirent le change, et négligèrent cet objet principal pour courir après un objet étranger, qui proprement ne les regardait point. Ils avaient eu jusqu'alors des avantages sur mer comme les Anglais; mais dès que leur attention fut distraite par la guerre de terre ferme, dès que les armées d'Allemagne absorbèrent tous les fonds qu'ils auraient dû employer à augmenter leurs flottes, leur marine vint à manquer des choses nécessaires, et les Anglais gagnèrent un ascendant qui les rendit vainqueurs dans les quatre parties du monde. D'ailleurs, les sommes excessives que Louis XV payait en subsides et celles que coûtait l'entretien des armées d'Allemagne sortaient du royaume; ce qui diminua de la moitié la quantité des espèces qui étaient en circulation tant à Paris que dans les provinces; et, pour comble d'humiliation, les généraux dont la cour fit choix pour commander ses armées et qui se croyaient des Turennes firent des fautes très-grossières. »

acquisitions en Amérique, avait atteint le but qu'elle s'était proposé, d'affaiblir la France. Cette puissance, si forte par elle-même et par ses nombreuses alliances, perdit le continent américain, et signa la paix la plus humiliante. La Prusse, qui semblait devoir succomber sous les coups de l'Europe conjurée, n'eut pas à regretter un pouce de terre; et, grandie dans l'opinion, elle prit rang parmi les puissances principales, qui désormais furent au nombre de cinq. L'Autriche, qui voulait recouvrer la Silésie, n'y put parvenir.

L'humanité cite tous ces princes à son tribunal, et leur demande compte de la perte de huit cent quatre-vingt-dix-neuf mille hommes (1), chiffre auquel il faudrait peut-être même ajouter encore.

A partir de ce moment, Frédéric observa d'un œil défiant l'Angleterre, qui, n'étant plus unie avec l'Autriche, mit moins d'activité dans ses intrigues sur le continent, mais déploya son orgueil sur les mers, et prétendit y exercer ce droit de visite dont nous avons indiqué ailleurs les vicissitudes.

Lorsque Frédéric, de retour à Berlin, entendit les applaudissements du peuple, il en fut touché, et s'écria: Vivent mes enfants! vive mon cher peuple! Mais la ville avait été plusieurs fois mise à sac; la jeunesse avait péri; les ennemis avaient pillé pour cinq cent millions de valeurs et en avaient levé autant en contributions. Il n'y avait plus dans les campagnes désolées ni chevaux ni bœufs. La population se trouvait décimée dans certaines provinces on ne voyait plus que des femmes labourer; dans d'autres personne ne restait pour travailler à la terre. L'argent avait disparu; les lois étaient oubliées; l'armée res

:

(1) Ce calcul est de Frédéric 11, qui l'établit ainsi :
Russes, en quatre batailles et dans les marches. . . .
Autrichiens, en quatre batailles rangées, sans compter les gar-
nisons de Breslau et Schweidnitz.

140,000

140,000

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Prussiens, en seize batailles, sans compter les petits combats. 180,000 Hommes qui périrent en Prusse à la suite des excursions des

Russes...

20,000

Id. dans la Poméranie, dans la Nouvelle-Marche et dans l'élec

torat de Bandebourg.

6,000

899,000

tait sans officiers, et l'on y admettait quiconque se présentait, larrons, déserteurs, contumaces.

Le roi s'appliqua à cicatriser ces plaies et à prévenir le retour de pareils maux. Il indemnisa par des dons les pays qui avaient le plus souffert; et de 1763 à 1786 il affecta à cet usage vingt-quatre millions d'écus de Prusse, équivalant à cent quatre millions de francs par an. Lors du sac de Berlin, le riche négociant Gotskowski avait déployé un zèle et une charité extrêmes le roi lui fit don, en conséquence, de cent cinquante mille rixdalers; cet industriel les employa à établir une manufacture de porcelaine qui fut ensuite achetée par le roi et devint l'une des plus renommées du pays.

Frédéric mit en état de défense les forts de la Silésie; ouvrit le port de Stettin et le canal de la Swina, au bord duquel s'éleva une ville. Il abrégea, au moyen du canal de Plauen, la communication entre l'Elbe et l'Oder; un autre canal allant de Custrin à Wrietzen lui servir à dessécher, le long de l'Oder, de vastes terrains qui se peuplèrent de deux mille familles.

Il introduisit le mûrier et les fabriques d'étoffes de soie, tira des mérinos de l'Espagne pour améliorer les troupeaux, et appela dans ses États des ouvriers en laine, opérations contre nature, où se montrait une bonne intention à côté d'un mauvais calcul. Il établit des forges dans les lieux où se trouvait du minerai. Dans les onze années qui suivirent 1747, le nombre des villages s'accrut de deux cent quatre-vingts, et en quarante ans la population augmenta d'un million cent vingt mille âmes, c'est-à-dire d'un tiers. On aime à voir ces améliorations racontées par Frédéric avec non moins de complaisance que d'autres et lui-même racontent les meurtres et les fourberies des rois.

La jurisprudence avait été jusque-là un mélange de droit romain et canonique, de coutumes saxonnes et germaniques; et de là résultait le manque de principes généraux et l'incertitude. des applications. Afin d'y remédier, on multipliait les édits, qui ne produisaient qu'embarras et contradictions. Frédéric fit paraître d'abord un projet de code de procédure, sur lequel les meilleurs jurisconsultes durent donner leur avis après une année de pratique. Il fut suivi du projet du Corpus juris Fridericiani, fondé sur le droit romain. Tous deux étaient l'ouvrage du grand chancelier Samuel Coccéius, qui introduisit l'ordre et la régularité dans les procédures, supprima plusieurs abus

honteux, hâta la décision des affaires et ordonna tous les trois ans une visite des cours de justice pour châtier les prévarications. Sa mort interrompit la tàche qu'il avait entreprise; puis Cramer et Suarez réformèrent le code d'après l'avis des légistes les plus habiles; mais des inconvénients nombreux obligèrent à le laisser de côté. L'atrocité des peines y était mitigée; mais ce fut une nouvelle manière de les aggraver que d'interdire au condamné l'assistance d'un prêtre et les secours de la religion. Le ministère des avocats s'y trouvait aboli, et les parties étaient obligées de plaider en personne. La procédure inquisitoriale était conservée; mais Frédéric se réservait le droit de réformer les sentences.

Cette réserve suffirait pour révéler ses intentions despotiques. Du reste, il n'entendait rien à la légalité ni aux formalités juridiques. Il traitait les juges d'ânes, et les déposait; il envoyait des officiers examiner des procès à la connaissance desquels ils étaient étrangers; et, voyant les objections des jurisconsultes, leurs lenteurs, il supposa une conjuration organisée entre eux, et les prit en exécration. Un meunier, nommé Arnold, lui présente une réclamation contre une sentence qu'il prétendait injuste, et il condamne les juges à la prison. Mais lorsqu'après le procès qui leur est intenté ils sont déclarés innocents, il n'en reste que plus persuadé de l'existence d'une conjuration générale, et il fait arrêter d'autres magistrats, jusqu'à ce qu'il en vienne à toucher du doigt l'erreur où il est tombé.

Il en revint alors à la pensée d'un code en allemand, que Cramer fut chargé de rédiger avec un règlement de procédure expéditive, et il promit des récompenses à ceux qui lui suggéreraient quelques améliorations. Cramer visait à l'unité; mais il reconnut que l'abolition subite des coutumes était une faute (1). On ordonna donc de les recueillir, afin de faire un choix parmi les meilleures et de laisser subsister celles-ci à titre de code provincial, par exception à la loi générale. Frédéric ne vit pas l'œuvre accomplie le code ne fut mis en vigueur qu'en 1795;

(1) Mirabeau s'exprime amsi dans son Histoire de la Monarchie prussienne : « Le code Frédéric est une analyse des lois romaines, appropriées aux coutumes prussiennes par un jurisconsulte qui, prenant l'érudition pour la science, comme tant d'autres, et les lois positives pour la sagesse, avait établi dans un gros livre qu'il ne peut y avoir de droit naturel bien fondé sans puiser au droit civil romain. Il en résulta un amas inextricable de diffi cultés et d'incertitudes, qui obligèrent Frédéric à le laisser oublier. »

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