l'existence des indigents. Le vol domestique, quelque minime qu'il fût, entraîna la peine de mort ce qui assura l'impunité, attendu que personne ne dénonça plus les coupables. En 1724, le garde des sceaux d'Armenonville promulgua le Code Noir, espèce de législation appliquée au traitement des nègres dans les colonies. Celui que Louis XIV avait promulgué conservait l'atrocité romaine, et l'esclave y était une chose, comme dans les Douze Tables: l'indulgence chrétienne se fit sentir dans le nouveau; mais l'avidité en tira parti pour éluder les restrictions et étendre les concessions. Louis XIV avait promulgué cinquante et une lois contre les protestants avant de révoquer l'édit de Nantes. Après sa mort beaucoup revinrent, et demandèrent à reprendre leurs assemblées; mais beaucoup de magistrats s'armaient contre eux de l'ancienne intolérance, et prétendaient leur enlever leurs enfants pour les élever dans la foi catholique. Un édit renouvela les rigueurs dont ils étaient l'objet : tout autre culte que le culte catholique fut interdit sous peine des galères pour les hommes, de l'emprisonnement perpétuel pour les femmes et de la confiscation pour tous. Beaucoup d'entre eux émigrèrent, surtout en Suisse ; et comme on reconnut à de pareils résultats les inconvénients de la loi, on la laissa tomber dans l'oubli; mais elle attira sur le molinisme de la cour et sur le jansénisme des parlements la haine d'abord, puis le mépris. On voulut plus tard la remettre en vigueur, alors que l'incrédulité publique la rendait encore moins excusable; deux procès fameux vinrent émouvoir le public à cette époque. Un certain Jean Fabre passa sept ans aux galères en place de son père, condamné à subir cette peine pour avoir assisté aux prêches. Jean Calas, accusé d'avoir tué son fils parce qu'il avait du penchant pour le catholicisme, fut condamné à mort, sur des preuves absurdes, par le parlement de Toulouse. Voltaire se fit l'interprète de l'indignation publique.. Deux mesures financières vinrent s'ajouter à la série de celles qui excitaient la haine sans même inspirer la crainte. La première consistait à lever, pendant douze ans, le cinquantième du produit de toutes les terres, et l'autre obligeait quiconque possédait une concession royale à en obtenir la confirmation du nouveau roi à prix d'argent; ce que l'on appelait joyeux avénement. On se procura ainsi quarante-huit millions, dont la moitié à peine arriva au trésor. Louis XV était un des plus beaux hommes de son royaume. 1762. 1725. Il était d'un esprit vif, d'un jugement droit, mais faible et craintif, résultat de son enfance maladive et de son éducation de cour (1). Son intelligence ayant été peu cultivée, il se trouvait mal à l'aise avec les personnes instruites dans un temps où l'instruction était devenue générale; aussi préférait-il s'entourer de jeunes gens. Les exemples de la régence avaient preverti cette génération, et ce fut à peine si l'influence du cardinal ministre empêcha d'afficher le libertinage. Entraîné, dès ses premières années, par la passion de la chasse, le roi y passait toutes ses journées et les terminait par des soupers d'une profusion ruineuse. On lui fit épouser Marie Leczinska, fille du roi de Pologne détrôné, qui se consolait dans l'infortune à l'aide de la philosophie, qui enseigne à la braver, et de la religion, qui porte même à la bénir. Marie, qui avait grandi au milieu des vertus domestiques, était un ange de bonté. Par sa condescendance, sa douceur, sa vertu et sa fécondité elle conserva l'estime et les égards de son mari; mais elle expia par vingt-deux années de peines l'honneur de porter une couronne (2). Dans les premiers temps de leur union, Louis ne faisait nulle attention aux autres femmes; et lorsqu'on faisait devant lui l'éloge de quelque beauté célèbre il demandait : Est-elle plus belle que la reine? Les courtisans travallaient cependant à lui donner une maîtresse dans l'espoir de devenir les maîtres par le vice, comme Fleury l'était par la vertu; et ils mirent en œuvre les séductions les plus adroites pour arracher le monarque à ses devoirs. Une fois qu'il eut goûté à cette coupe, il s'y enivra. Ses liaisons successives et presque simultanées avec cinq sœurs de la maison de Nesle scandalisèrent un monde corrompu, et firent mépriser celui qu'on avait déjà cessé d'estimer. (1) Madame Campan dit dans ses Mémoires : « Il était fort'adroit à faire certaines petites choses futiles, sur lesquelles l'attention ne s'arrête que faute de mieux. Par exemple, il faisait sauter très-bien le haut de la coque d'un œuf d'un seul coup de revers de sa fourchette: aussi en mangeait-il toujours à son grand couvert; et les badauds qui venaient le dimanche y assister retournaient chez eux moins enchantés de la belle figure du roi que de l'adresse avec laquelle il ouvrait les œufs. >> (2) L'Abbé Proyart a recueilli plusieurs mots heureux de Marie Leczinska : Tirer vanité de son rang, c'est avertir qu'on est au-dessous. La miséricorde des rois est de rendre la justice, et la justice des reines c'est d'exercer la miséricorde. Les courtisans nous crient: Donnez-nous sans compter; et le peuple: Comptez ce que nous donnons ! L'influence des femmes anéantit celle du cardinal de Fleury. Quand il mourut, le roi ne voulut pas nommer d'autre ministre ; le gouvernement passa dans les mains de la duchesse de Châteauroux, alors maîtresse en titre. Toutefois elle sut lui inspirer quelques sentiments virils, et elle le poussa à se mettre à la tête de l'armée de Flandre. Mais autant le peuple s'applaudit de retrouver un roi guerrier, autant il fut scandalisé de voir au camp cette maîtresse toute-puissante, qui se vantait de faire de lui ce que Blanche de Castille faisait de saint Louis. Mais le roi tombe tout à coup malade: les prêtres lui reprochent le scandale de ce double adultère, lui montrent combien il serait déplorable que le petit-fils de saint Louis mourût dans les bras d'une courtisane, et l'amènent ainsi à congédier la favorite et à recevoir la reine, qui vola au chevet de son époux repentant. Louis guérit, et le peuple, qui le croyait aussi revenu de ses erreurs, le surnomma le Bien-Aimé. Mais bientôt il se replongea dans ses scandaleux amours. La duchesse, qui ne lui avait pardonné son renvoi qu'à la condition qu'il punirait ceux dont elle avait eu à se plaindre, mourut subitement; mais elle fut bientôt remplacée par la marquise de Pompadour, femme aimable et corrompue, dont l'empire survécut à l'amour. Sans être capable de combinaisons fortes et puissantes, son art était de tous les moments. Elle arrachait Louis à ses deux maux ordinaires, l'ennui et les affaires; elle voulait tout connaître pour avoir sujet de raconter, de rire, d'élever ou de rabaisser les auteurs, les magistrats, les diplomates. Éprise des arts et de tout ce qui pouvait charmer ou distraire le roi et séduire la France, elle comprit qu'il lui fallait s'entourer de gens de mérite et qui lui fussent dévoués. Elle réunit une bibliothèque choisie, fit établir la manufacture de tapis de la Savonnerie, augmenter la galerie du Louvre, acheter de Picot le secret de transporter la peinture d'une toile sur une autre. embellir Versailles dans le goût auquel elle a donné son nom; et elle posa elle-même plus d'une fois comme modèle devant les artistes qui ornaient la demeure royale de tableaux et de statues. Ferme dans ses résolutions, douée d'un coup d'œil juste, elle se mêlait de la politique tant intérieure qu'extérieure, et elle dirigea les ministres et les généraux pendant les vingt années qu'elle régna. Elle disposait du trésor moyennant de simples billets payables sur la seule signature du roi, sans avoir à rendre compte de l'emploi (1). Elle s'en servit pour favoriser le mérite naissant, pour souteuir des talents médiocres, fiers d'une protection que les hommes de génie dédaignaient; pour secourir les pauvres et les orphelins, à l'édification des philosophes et des philanthropes. Lors des couches de la dauphine, elle suggéra au roi de doter six cents jeunes filles au lieu de dépenser cet argent en fêtes. Elle en mariait elle-même un grand nombre sur ses terres, et les courtisans faisaient aussi des mariages par imitation. Cette courtisane titrée était l'âme d'un gouvernement dont l'incapacité et la faiblesse apparaissaient de plus en plus. Nous avons vu l'impératrice Marie-Thérèse lui écrire familièrement ; aussi, flattée de cette démarche non moins que blessée des épigrammes de Frédéric II, madame de Pompadour conclutelle avec l'Autriche, par le traité de Versailles, une alliance absurde, détestée par la nation. Pour signer ce traité, elle fit nommer l'abbé de Bernis ministre des affaires étrangères; mais celui-ci, quoique sa créature, la détournant d'une guerre contraire aux intérêts de la Francé, elle lui substitua le duc de Choiseul, et mit Fouquet au ministère de la guerre. Grâce à leur concours, elle parvint à resserrer l'alliance avec l'impératrice, au grand détriment du royaume; car la France perdit ainsi, après d'immenses sacrifices, le Canada, le cap Breton et la Louisiane, à l'est du Mississipi; et il lui fallut céder à l'Espagne le reste de cette contrée, avec la Nouvelle-Orléans, pour l'indemniser de la perte de la Floride. Lorsque la marquise sentit que le prestige de ses charmes s'évanouissait, elle s'arrangea pour procurer au roi, dont elle aimait le pouvoir et non la personne, des amours pas sagères en prenant soin de diriger elle-même sa lubricité. Le parc aux Cerfs était une enceinte qui renfermait plusieurs habitations élégantes, peuplées de jeunes filles destinées aux plaisirs du maitre. Pour l'approvisionner, on porta le trouble dans les familles les plus vertueuses, on prépara pendant des années entières des séductions à l'innocence et à la fidélité; on y éleva jusqu'à des petites filles, pour y être livrées, dans la fleur de l'âge, à l'impudicité. Quelques-unes eurent le malheur de se prendre de passion pour ce débauché sans entrailles. Toutes (1) Sous Louis XIV les acquits de comptant montèrent à 10 millions par an; sous Louis XIV ils s'élevèrent dans une seule année jusqu'à 180 millions. sortaient de ce sérail enrichies, mais dépravées; en cas de grossesse, on leur trouvait un mari. Il n'était pas rare non plus qu'une maîtresse du roi passât de sa couche dans un lieu de prostitution, qu'un de ses fils allât figurer sur les tréteaux ou périr dans un hôpital. Ce harem d'un roi très-chrétien, qui sut être scandaleux même après les soupers du régent, coûta cent millions à la France. Les courtisans se livraient à l'envi aux déportements du vice et à un jeu frénétique. La disposition d'une fête donnée par madame de Pompadour; l'inconvenance commise par le roi, qui faisait dîner en tiers entre elle et lui le frère de sa maîtresse; la chronique lubrique des nouvelles victimes royales, tels étaient les graves intérêts dont s'occupait la cour. Louis XV pensait que tous ses désordres lui seraient pardonnés du moment où il se faisait la champion de la religion catholique; et il fut amené à s'allier avec l'Autriche par l'espérance de détruire le protestantisme avec la monarchie prussienne. Il croyait, avec son aïeul, que les rois étaient quelque chose de supérieur, même aux yeux de Dieu. Ayant une fois menacé Choiseul de l'enfer, celui-ci lui répondit qu'il courait les mêmes risques: Pour moi, reprit-il, c'est autre chose! je suis l'oint du Seigneur. Blasé à trente ans, il ne recherchait les plaisirs que pour échapper à l'ennui. Incapable de manier le pouvoir avec suite, une autorité absolue lui paraissait nécessaire, et il en affichait les formes quand la ferme volonté lui manquait. Parfois il se passa de ministres, et toujours il entretint une correspondance secrète avec ses ambassadeurs près des cours étangères, où il envoyait même des agents particuliers et des espions. Les uns et les autres devaient lui faire des rapports rédigés avec plus de franchise qu'on n'en met d'ordinaire dans la correspondance officielle. A cette manière peu digne de surprendre la vérité il joignait la faiblesse de ne pas savoir en profiter, et laissait son conseil prendre des mesures que la connaissance des faits aurait dù lui faire rejeter. L'incrédulité s'enhardissait au milieu des désordres intérieurs, et se décorait du nom de liberté de penser. On pouvait déjà apercevoir ses tendances dans quelques actes du gouvernement. En même temps que les philosophes proclamaient que tous les citoyens doivent contribuer également aux charges publiques, les dettes de l'État conseillaient d'abolir les couvents pour |