me la laiffe conter le plus longuement qu'il me fera poffible, pour prolonger mon plaifir. Si je ne cherchois que le vôtre, je pourrois chofir celle du derriere de Mlle. Lambercier, qui, par une malheureuse culbute au bas du pré, fut étalé tout en plein devant le Roi de Sardaigne à fon passage; mais celle du noyer de la terrasse est plus amufante pour moi qui fus acteur au lieu que je ne fus que fpectateur de la culbute, & j'avoue que je ne trouvai pas le moindre mot pour rire à un accident qui, bien que comique en lui-même, m'alarmoit pour une perfonne que j'aimois comme une mere, & peut être peut-être plus. O vous, lecteurs curieux de la grande histoire du noyer de la terrasse, écoutezen l'horrible tragédie, & vous abstenez de frémir fi vous pouvez. Il y avoit hors la porte de la cour une terraffe à gauche en entrant, fur laquelle on alloit fouvent s'affeoir l'après-midi mais qui n'avoit point d'ombre. Pour lui en donner M. Lambercier y fit planter un noyer. La plantation de cet arbre fe fit avec folemnité. Les deux penfionnaires en furent les parrains, & tandis qu'on combloit le creux, nous tenions l'arbre chacun d'une main, avec des chants de triomphe. On fit pour l'arrofer une efpece de baffin tout autour du pied. Chaque jour, ardens fpectateurs de cet arrofement, nous nous confirmions mon coufin & moi, dans l'idée très-naturelle qu'il étoit plus beau de planter un arbre fur la terraffe qu'un drapeau fur la brêche ; & nous réfolûmes de nous procurer cette gloire, fans la partager avec qui que ce fût. ; Pour cela, nous allâmes couper une bouture d'un jeune faule, & nous la plantâmes fur la terraffe, à huit ou dix pieds de l'augufte noyer. Nous n'oubliâmes pas de faire auffi un creux autour de notre arbre : la difficulté étoit d'avoir de quoi le remplir; car l'eau venoit d'affez loin & on ne nous laiffoit pas courir pour en aller prendre. Cependant il en falloit abfolument pour notre faule. Nous employâmes toutes fortes de rufes pour lui en fournir durant quelques jours, & cela nous réuffit fi bien que nous le vîmes bourgeonner & pouffer de petites feuilles dont nous mefurions l'accroiffement d'heure en heure; perfuadés, quoiqu'il ne fût pas à un pied de terre, qu'il ne tarderoit pas à nous ombrager. Comme notre arbre, nous occupant tout entiers, nous rendoit incapables de toute application, de toute étude, que nous étions comme en délire, & que ne fachant à qui nous en avions, on nous tenoit de plus court qu'auparavant; nous vîmes l'inftant fatal où l'eau nous alloit manquer, & nous nous défolions dans l'attente de voir notre arbre périr de féchereffe. Enfin la néceffité, mere de l'induftrie, nous fuggéra une invention pour garantir l'arbre & nous d'une mort certaine ce fut de faire par deffous terre une rigole qui conduisît fecrétement au faule une partie de l'eau dont on arrosoit le noyer. Cette entreprise, exécutée avec ardeur ne réuffit pourtant pas d'abord. Nous avions fi mal pris la pente que l'eau ne couloit point. La terre s'ébouloit & bouchoit la rigole; l'entrée se remplissoit d'ordures; tout alloit de travers. Rien ne nous rebuta. Omnia vincit labor improbus, Nous creufâmes davantage la terre & notre baffin pour donner à l'eau fon écoulement; nous coupâmes des fonds de boîtes en petites planches étroites, dont les unes mifes de plat à la file, & d'autres pofées en angle des deux côtés fur celles-là nous firent un canal triangulaire pour notre conduit. Nous plantâmes à l'entrée de petits bouts de bois minces & à claire-voie qui, faifant une efpece de grillage ou de crapaudine retenoient le limon & les pierres, fans boucher le paffage à l'eau. Nous recouvrîmes foigneufement notre ouvrage de terre bien foulée, & le jour où tout fut fait, nous attendîmes dans des tranfes d'efpérance & de crainte l'heure de l'arrofement. Après des fiecles d'attente cette heure vint enfin: M. Lambercier vint auffi à fon ordinaire affifter à l'opération, durant laquelle nous nous tenions tous deux derriere lui pour cacher notre arbre, auquel très-heureufement il tournoit le dos. pre A peine achevoit-on de verfer le mier fceau d'eau que nous commençâmes d'en voir couler dans notre baffin. A cet afpect la prudence nous abandonna; nous nous mîmes à pouffer des cris de joie qui firent retourner M. Lambercier, & ce fut dommage car il prenoit grand plaifir à voir comment la terre du noyer étoit bonne & buvoit avidement fon eau. Frappé de la voir fe partager entre deux baffins, il s'écrie à fon tour, regarde, apperçoit la friponnerie, fe fait brufquement apporter une pioche, donne un coup, fait voler deux ou trois éclats de nos planches, & criant à pleine tête: un aqueduc, un aqueduc! il frappe de toutes parts des coups impitoyables, dont chacun portoit au milieu de nos cœurs. En un moment les planches, le conduit, le baffin, le faule, tout fut détruit, tout fut labouré; fans qu'il y eût durant cette expédition terrible, nul autre mot prononcé, finon l'exclamation qu'il répétoit fans ceffe. Un aqueduc, s'écrioit-il en brisant tout, un.aqueduc, un aqueduc! On croira que l'aventure finit mal pour les petits architectes. On fe trompera: tout fut fini. M. Lambercier ne nous dit pas un mot de reproche, ne nous fit pas plus mauvais visage, & ne nous en parla plus; nous P'entendîmes même un peu après rire |