deux vers qui ont chacun le même fens, & qu'on ne fait lequel des deux est à préférer. Les variantes de la Henriade donneroient fouvent lieu à de pareils Anti-figma. (M. DU MARSAIS.) (N.) ANTISPASTE. f. m. Terme de la Poéfie grèque & latine, qui défigne un pied de quatre fyllabes, renfermant un ïambe & un trochée où chorée, c'est à dire, deux longues entre deux brèves; comme secundare, coronarë, recusare, &c. On a donné à ce pied le nom d'Antifpafte, en grec Αντίσπαςος, du verbe αντισπάται ( in contrarium trahi); parce que fa première moitié eft un iambe ayant une brève & une longue, & la feconde moitié eft un chorée ayant une longue & une brève, ce qui fait deux pieds fimples contraires entre eux. RR. avri (contra), & σxà∞ ( traho). Je dois obferver que dans l'Encyclopédie on appelle ce pied Antipaste en fupprimant la première s; & que ce n'eft pas une faute d'impreffion, puifqu'il eft dans le rang alphabétique que lui affigne cette orthographe. Mais l'étymologie qu'on vient de voir exige Antifpafte, & les grammairiens n'ont jamais dit autrement. (M. BEAUZÉE. ) (N.) ANTISTROPHE, f. f. Ce mot eft composé de av, qui marque ou oppofition ou alternative, & de spop (tour), qui vient de spia (je tourne). Selon cette étymologie, Antiftrophe fignifiedonc Tour contraire ou Tour alternatif'; deux fens très-différents, dans lesquels on a par le fait entendu ce terme. I.L'Antiftrophe, dans le fens de Tour contraire, eft une figure d'Elocution, qui répète dans un ordre renversé des mots corrélatifs, dont elle renverse de même la corrélation. » Par exemple, dit M. du » Marfais, fi, après avoir dit le valet d'un tel » maître, on ajoûte & le maître d'un tel valet, cette » dernière phrase eft une Antiftrophe, une phrase » tournée par rapport à la première «<. Ajoutons à cet exemple, affez peu utile, quelques mots de Cicéron, qui feront mieux connoître P'effence de cette figure & l'ufage qu'on peut en faire: Gratiam autem & qui refert, habet; & qui habet, in eo ipfo quod habet refert. (Pro Planc. xxviij. 68.) Dixifti enim non auxilium mihi, fed me auxilio defuiffe. (Ib. xxxv. 86.) Quant à la reconnoiffance, en remplir les devoirs, c'eft l'avoir dans le cœur ; & l'avoir dans le cœur, c'est par là même en remplir les devoirs. Car vous avez dit, que ce n'eft pas le fecours qui m'a manqué, mais que c'eft moi qui ai manqué au fecours. Velléius-Paterculus, parlant de ce Varus qui périt en Germanie avec fon armée par les rufes d'Arminius, s'exprime ainfi au fujet de fon avarice: Pecuniæ vero quam Combien peu il dédainon contemptor, Syria, gnoit l'argent, la Syrie, GRAMM, ET LITTERAT. Tome I. cui præfuerat, declaravit , quam pauper divitem ingreffus, dives pauperem reliquit. (Lib. II. vij. 117.) dont il avoit eu le commandement, l'a bien prouvé ; car étant entré pauvre dans cette province qui étoit riche, il en fortit riche & la laisla pauvre. Si on ne prend garde qu'au renversement des mots, il est évident que l'Antiftrophe n'eft autre chofe que Antimetabole; que, fi on envifage le renversement de la pensée, c'est l'Antimétalepfe; & que, fi on tient compte de l'un & de l'autre, c'eft l'Antimétathefe. Voyez ces mots.) 11 eft donc d'autant plus inutile de garder le terme d'Aniftrophe dans ce premier fens, qu'il en a un fecond, qui ne peut & ne doit être rendu par un autre mot. Avant d'y paffer, je remarquerai ce que dit M. du Marfais à la fin de cet, article de l'Encyclopédie. » On rapporte, dit-il, à cette figure ce paf»fage de S. Paul (II. Cor. xj. 22.): Hæræi » funt, & ego; ifraëlitæ funt, & ego; femen » Abrahæ funt, & ego «. On a tort de rapporter ici cet exemple; il appartient à l'espèce de Répétition qu'on appelle Converfion (voyez ce mot), fi l'on ne prend garde qu'aux mots; fi l'on a égard au tour de la pensée, c'est une Subjection ( voyez ce mot). M. du Marfais n'auroit pas dû traduire Aniftrophe par Converfion; & cette traduction même ne devoit pas le tromper fur la nature de la chofe, après le premier exemple qu'il en avoit donné. II. L'Antiftrophe, dans le fens de Tour alternatif, eft un terme de l'ancienne Poéfie lyrique des grecs. On diftinguoit alors dans l'Ode trois parties; la Strophe, l'Antiftrophe, & l'Épode; & l'on donnoit à la réunion des trois le nom de Période ce que nous pourrions appeler Couplet & trois ftances. M. de la Motte, dans fa fable des dieux d'Égypte, paroît en donner la même idée : Strophe, Antiftrophe, Épode, harmonieux ramas. La Strophe & l'Antiftrophe contenoient le même nombre de vers, & de vers de pareille mefure; & elles pouvoient fe chanter fur le même air : l'Épode étoit en vers d'une autre mefure,en avoit quelquefois moins,& fe chantoit conféquemment fur un autre air. L'Antiftrophe étoit comme une réponse à la Strophe; l'Épode étoit comme la conclufion & le complément des deux ; les trois ensemble formoient la Période. Une feule Période pouvoit faire une Ode; mais, fouvent une Ode étoit compofe de plufieurs Périodes confécutives. Prefque toutes les Odes de Pindare font de ce genre. (M. BEAUZEE.) * ANTITHÈSE, f. f. ( Bell. Lettres.) Figure qui confifte à oppofer des pensées les unes aux autres, pour leur donner plus de jour. » Les Antithefes bien ménagées, dit le Père Bou» hours, plaisent infiniment dans les ouvrages d'ef prit; elles y font à peu près le même effet que » dans la Peinture les ombres & les jours, qu'un » bon peintre a l'art de difpenfer à propos, ou dans Cc » la Mufique les voix hautes & les voix baffes, qu'un maître habile fait méler enfemble «. On en rencontre quelquefois dans Cicéron; par exemple, dans l'oraifon pour Cluentius, Vici pudorem libido, timorem audacia, rationem amentia; & dans celle pour Muréna, Odit populus romanus privatam luxuriam, publicam magnificentiam diligit. Telle est encore cette penfée d'Augufte parlant à quelques jeunes téditieux: Audite, Juvenes, fenem quem juvenem fenes audiére. Junon, dans Virgile, réfolue de perdre les troyens, s'écrie: Fledere fi nequeo fuperos, acheronta movebo. Quelque brillante au refte que foit cette figure, les grands orateurs, les excellents poètes de l'antiquite ne l'ont pas employée fans réferve, ni femée, pour ainfi dire, à pleines mains, comme ont fait Sénèque, Pline le jeune ; & parmi les Pères de l'Eglife, S. Auguftin, Salvien, & quelques autres. Il s'en trouve à la vérité quelquefois de fort belles dans Sénèque, telle que celle-ci, Curæ leves loquuntur, ingentes ftupent ; mais pour une de cette efpèce, combien y rencontre-t on de miférables pointes & de jeux de mots que lui a arrachés l'affectation de vouloir faire régner partout des oppofitions de paroles ou de penfees? Perfe frondoit déja de fon temps les déclamateurs qui s'amufoient à peigner & à ajufter des Antithefes en traitant les fujets les plus graves : Crimina rafis Librat in Antithetis dodus pofuiffe figuras. Parmi nos orateurs, M. Fléchier a fait de l'Antithefe fa figure favorite, & fi fréquente qu'elle lui donne partout un air maniéré. Il plairoit davantage, s'il en eût été moins prodigue. Certains critiques auftères opinent à la bannir entièrement des discours, parce qu'ils la regardent comme un vernis éblouiffant, à la faveur duquel on fait paffer des pensées fauffes, ou qui altère celles qui font vraies. Peutêtre les fujets extrêmement férieux ne la comportent-ils pas; mais pourquoi l'exclure du ftyle orné & des difcours d'appareil, tels que les compliments académiques, les panégyriques, l'oraison funèbre, pourvu qu'on l'y employe fobrement, & d'ailleurs qu'elle ne roule que fur les chofes, & jamais fur les mots? (L'abbé MALLET.) * Le Père Bouhours compare l'Antithefe au méfange des ombres & des jours dans la Peinture, & à celui des voix hautes & baffes dans la Mufique. Nulle jufteffe dans cette comparaison. Il y a dans le ftyle des oppofitions de couleurs, de lumière, & d'ombres, & des diverfités de tons fans aucune Antithefe ; & fouvent il y a Antitheje, fans ce mélange de couleurs & de tons. L'Antithefe exprime un rapport d'oppofition entre des objets différents; ou, dans un méme objet, entré fes qualités, ou fes façons d'être ou d'agir: ainfi, tantôt elle réunit les contraires fous un rapport commun; tantôt elle présente la même chofe fous deux rapports contraires. Cette fentence d'Ariftote, Pour fe paffer de fociété, il faut être un dieu ou une bete brute; ce mot de Phocion à Antipater, Tu ne faurois avoir Phocion pour ami & pour flatteur en même temps; & celui-ci, Pendant la paix, les enfants enfeveliffent leurs pères; & pendant la guerre les pères enfeveliffent leurs enfants: voilà des modèles de l'Antithefe. L'on a dit que peut-être les fujets extrêmement férieux ne la comportent pas. On a voulu parler, fans doute, de l'Antithefe trop foutenue, trop étudiée, trop artiftement arrangée; mais l'Antithefe pallagère & fans affectation, eft un tour d'efprit & d'expreffion auffi naturel, auffi noble, aufli férieux qu'un autre, & convient à tous les sujets. Quoi de plus noble & de plus naturel que cet éloge de Rofcius dans la bouche de Cicéron? Il est st excellent acteur, que vous diriez qu'ileft le feul qui ait dû monter fur le théâtre ; il eft fi honnéte homme que vous diriez qu'il n'y auroit jamais dû monter. La plupart des grandes penfees prennent le tour de l'Antithefe, foit pour marquer plus vivement les rapports de différence & d'oppofition, foit pour rapprocher les extrêmes. Caton difoit, J'aime mieux ceux qui rougiffene que ceux qui pâliffent : cette fentence profonde feroit certainement placée dans le difcours le plus éloquent. Ecoutez, vous autres Jeunes gens, diloit Augufte, un vieillard, que les vieillards ont bien voulu écouter quand il étoit jeune : cette Antithefe manqueroit-elle de gravité dans la bouche mème de Neftor? Et cette penfée fi jufte & fi morale, La Jeuneffe vit d'espérance, la Vieilleffe vit de fouvenir; & ce mot d'Agéfilas, tant de fois répèté, Ce ne font pas les places qui honorent les hommes, mais les hommes qui honorent les places; & celui de Dion à Denis, qui parloit mal de Gélon, Respectez la mémoire de ce grand p.ince: nous nous fommes fiés à vous à caufe de lui; mais à caufe de vous, nous ne nous fierons à perfonne; & ce mot d'Agis, en parlant de fes envieux, Ils auront à fouffrir des maux qui leur arrivent, & des biens qui m'arriveront ; & celui d'Henri IV à un ambaffadeur d'Espagne, Monfieur l'Ambaffadeur, voilà Biron, je le prejente volontiers à mes amis & à mes ennemis ; & celui de Voiture, C'est le deftin de la France, de gagner des batailles & de perdre des armées; feroient-ils indignes de la majefté de la Tribune ou du Théâtre ? L'abbé Mallet renvoie l'Antithefe aux harangues, aux oraifons funèbres, aux difcours académiques; comme fi l'Antithefe n'étoit jamais qu'un ornement frivole; & comme fi, dans une oraison funèbre dans une harangue, dans un difcours académique, le faux bel-efprit n'étoit pas auffi déplacé que partout ailleurs. L'affectation n'eft bonne que dans la bouche d'un pédant, d'une précieufe, ou d'un fat. L'Antithefe eft fouvent un trait de délicateffe ou de fineffe épigrammatique : cette réponse d'un homme à fa maitreffe, qui faifoit femblant d'être jaloufe d'une honnête femme, Aimable vice, ref pectez la vertu ; & celle de Phocion à Démadès, qui lui difoit, Les athéniens te tueront s'ils entrent en fureur : & toi, s'ils rentrent dans leur bon fens; & ce mot d'Hamilton, Dans ce temps-là de grands hommes commandoient de petites armées, & ces armées faifoient de grandes chofes; font des exemples de ce genre. Mais fouvent auffi l'Antithefe prend le ton le plus haut; & l'Eloquence, la Poéfie héroïque, la Tragédie elle même, peuvent l'admettre fans s'avilir. Ce vers de Racine, imité de Sapho, Je fentis tout mon corps & tranfir & brûler; ce vers de Corneille, 'Et monté fur le faîte, il afpire à defcendre ; ce vers de la Henriade, Trifte amante des morts, elle hait les vivants; ce vers de Crébillon, La crainte fit les dieux, l'audace a fait les rois; ces paroles de Junon dans l'Énéide, Fledere fi nequeo fuperos, acheronta movebo; & celles de Brutus dans la Pharfale, Minimas rerum Difcordia turbat; Pacem fumma tenent. & ces mots de Sénèque, en parlant de l'être fuprême & de fes immuables lois, Semper paret, femel juffit; ne font-ils pas du ftyle le plus grave? & cette conclufion de l'apologie de Socrate, en parlant à fes juges, Il eft temps de nous en aller moi pour mourir, & vous pour vivre, eft-elle du faux belefprit? Il en eft de l'Antithefe, comme de toutes les figures de Rhétorique : lorfque la circonftance les amène & que le fentiment les place, elles donnent au ftyle plus de grâce & plus de beauté. Il faut prendre garde feulement que l'efprit ne se fasse pas une habitude de certains tours de penfee & d'expreffion, qui, trop fréquents, cefferoient d'être naturels. C'est ainsi que l'antithefe, trop familière à Pline le jeune & à Fléchier, paroît, dans leur éloquence, une figure étudiée, quoique peut-être elle leur foit venue fans étude & fans réflexion. Voyez MANIÈRE. (M. MARMONTEL.) (L'Antithefe eft une figure de penfée par combinaifon, qui, dans la même période ou dans la même tirade, met en oppofition des chofes contraires, foit par le fonds des penfées, soit par le tour de l'expreffion. 1. Ici l'Antithefe n'eft qu'entre deux idées fimples ou deux mots: On a des témoins fidèles de votre infidélité. On ne voit que trop fouvent le Vice obtenir les récompenfes qui ne font dues qu'à la Vertu 2. Là elle est entre deux idées complexes, énoncées chacune par plufieurs mots : Des occafions funeftes amenées & préparées de loin par le Vice, qui veille tandis que l'Innocence dort fans foupçons & fans crainte. (Egarem. de la Kaiton. Lett. xl.) 3. Quelquefois plufieurs idées fimples font mifes fucceffivement en oppofition avec plufieurs autres de méme efpèce. Ecoutons Cicéron Ex hac enim parte pudor pugnat, illinc petulantia; hinc pudicitia, illinc ftuprum; hinc fides, illine fraudatio; hinc pietas, illinc fcelus; hinc conftantia, illinc furor; hine honeftas, illinc turpitudo; hinc continentia, illinc libido: denique æquitas, temperantia fortitudo, prudentia, virtutes omnes, certant cum iniquitate, cum luxuriâ, cum ignavia, cum temeritate cum vitiis omnibus ; poftremo, copia cum egeftate, bona ratio cum perditd, mens fana cum amentiá, bona denique fpes cum omnium rerum defperatione confligit. In hujufmodi certamine ac prælio, nonne, etiamfi hominum ftudia deficiant, dii ipfi immor- tales cogent ab his præclariffimis virtutibus tot & tanta vitia fuperari? (II. Catil. xj.25.) Car nous avons à oppofer la modeftie, à l'infolence; la pudicité, à la débauche; la droiture, à la mauvaise foi; la piété, au crime; la fermeté, à la fureur; l'honneur, l'infamie; la modération, à la cupidité : enfin l'équité, la tempérance, le courage, la prudence, toutes les vertus, nous défendert contre l'iniquité, contre la luxure, contre la lâcheté, contre la témérité, contre tous les vices; & pour tout dire, nous avons pour nous l'abondance contre la difette, les lumières de la raifon contre l'aveuglement du délire, le bon fens contre la folie, & l'efpérance la mieux fondée contre le plus entier défelpoir. Dans une oppofition fi frappante, dans un contrafte fi marqué, quand les hommes manqueroient de zèle, les dieux immortels eux-mêmes ne feront-ils pas triompher ces vertus fi éclatantes de tant de vices fi affreux ? 4. Quelquefois une idée complexe, une pensée une propofition entière, eft mise en oppofition avec une autre idée, une autre penfée, une autre propofition toute femblable. Cicéron dit du comédien Rofcius ( vj. 17.) Qui ita digniffimus eft fcená propter artificium, ut digniffimus fit curia propter abflinen tiam. S'il eft bien digne par fon talent de monter fur le théâtre, il eft bien digne auffi par fon défintéreffement de prendre place au fénat. Dans l'Héraclius de P. Corneille (IV. iij.) Phocas, voyant Héraclius & Martian refufer également d'être fon fils & fe difputer le titre de fils de Maurice, s'écrie avec douleur: O malheureux Phocas! ô trop heureux Maurice! 5. Très-fouvent l'Antithefe le préfente fous toutes les formes à la fois. En voici quelques exemples, dont le premier fera le fameux fonnet de l'Avorton par Hénault. Toi qui meurs avant que de naître, Affemblage confus de l'être & du néant, Trifte Avorton, informe Enfant, Rebut du néant & de l'être ; Toi, que l'amour fit par un crime, Et que l'honneur défait par un crime à fon tour; De l'honneur funefte victime! Laiffe moi calmer mon ennui: Et du fond du néant où tu rentre * aujourdhui, Ne trouble point l'horreur dont ma faute est suivie. Deux tyrans oppofés ont décidé ton fort: L'Amour, malgré l'Honneur, te fit donner la vie ; L'Honneur, malgré l'Amour, te fit donner la mort. On ne fera peut être pas fâché de voir ce fonnet rendu prefque littéralement en vers latins: Tu, qui, nec dum ortus, cadis ipfo in limine vita, Mixta gerens nihili & naturæ infignia Moles, Informis trifti Fatus fuccifus abortu, Natura & nihili fatis malè creditus Infans; Tu, quem infanus amor furtivo crimine finxit, Quem pudor infanus furtivo crimine maat; Væ! nimium infani funeftum pignus amoris, Vidima, va! nimium infani funefta pudoris! Temperet à meritis fine mens fibi conscia pœnis ; È nihilique finu, quo te fcelerata recondo, Et fcelera & fcelerum horrorem non ingere matri. Fata per adverfos tua funt diftracta tyrannos : Te vitâ donavit Amor, nolente Pudore; Te vitâ, nolente, Pudor fpoliavit, Amore. «On voit dans le monde, dit Bourdaloue, des » hommes d'un mérite diftingué, mais d'un mérite »borné; des hommes braves, mais dont les autres » qualités ne répondent pas à la valeur ; de grands » capitaines, mais hors de là de petits génies: on » y voit des efprits élevés, mais en même temps des ames baffes; de bornes têtes, mais de mé>>chants cœurs. (Oraif. fun. de Condé ). » Les hommes, dit Maffillon, parlent tous les » jours, fur le néant des chofes humaines, le lan» gage de la foi & de la vérité ; & ils n'en fuivent » pas moins les voies de la vanité & du menfonge: » nous disons fans ceffe que le monde n'est rien, » & nous ne vivons que pour le monde. Sages feu >>lement dans les difcours, infenfés dans les œu»vres; philofophes dans l'inutilité des converfa» tions, peuple dans tout le cours de notre con»duite; toujours éloquents à décrier le monde, » toujours plus vifs à l'aimer; nous fléchiffons le » genou, avec la multitude, devant l'idole que » nous venons de fouler aux pieds; & à nos mé» pris fuccèdent bientôt de nouveaux hommages ». (Oraif. fun. de Conti.) «M. de Turenne, vainqueur des ennemis de » l'État, dit Mascaron, ne caufa jamais à la France » une joie fi univerfelle & fi fenfible, que M. de » Turenne, vaincu par la vérité & foumis au joug » de la foi. Rome profane lui eût dreffé des ftatues » fous l'empire des Céfars, & Rome fainte trouve » de quoi l'admirer fous les pontifes de la religion » de j. C. » (Oraif. fun. de Turenne.) On recommande furtout d'éviter l'Antithefe dans les endroits qui demandent du mouvement, de la gravité de l'élévation: l'apprêt de l'Antithefe, dit-on, fe fait trop fentir; & l'apprêt, qui fuppofe du fang froid, feroit en contradiction avec le mouvement des paffions, avec le respect qu'impriment les vérités les plus fublimes & les plus impor tantes. Ce principe peut être vrai des Antithefes qui ne rouleroient que fur les mots, ou fur des idées acceffoires prefque étrangères à l'objet principal: mais faut-il dire la même chofe fans restriction des idées effencielles & principales? « Quand les chofes qu'on dit font naturellement oppofées les unes » aux autres dit Fénélon ( ÎÎ. Dialog. fur » l'Éloq.), il faut en marquer l'oppofition: ces » Antithefes-là font naturelles, & font fans doute >> une beauté folide; alors c'est la manière la » plus courte & la plus fimple d'exprimer les >> chofes ». L'exclamation fi pathétique de Phocas, citée cideffas, renferme une Antithefe qui eft la chofe même: & loin de nuire à l'énergie du mouvement, elle en eft la fource & le principe. Zénobie, parlant de Rhadamifte fon époux s'écrie: Ai-je affez de vertu pour lui trouver des crimes! C'est encore une Antithefe très-naturelle : cette prin ceffe oppose, aux crimes de fon mari contre la famille & contre lui-même, l'amour qu'elle avoit conçu pour Arfame depuis qu'elle fut perfuadée de la mort de Rhadamifte; c'eft un trait d'une grande délicatesse de vertu, qui fuppofe une grande fenfibilité dans l'ame qui en eft capable, & par conféquent une vive émotion à l'inftant même où elle parle. Quelques-uns prétendent bannir encore l'Antithefe du ftyle fimple, comme contraire à la naiveté qui en fait le mérite. «La naïveté, dit le P. » Bouhours (II. Dial. Man. de bien penfer), n'eft >> pas ennemie d'une certaine espèce d'Antithefes >> qui ont de la fimplicité, & qui plaisent même d'autant plus qu'elles font plus fimples: elle ne hait que les Antithefes brillantes >>. Les ennemis du pape Alexandre VII, choqués de la magnificence qu'il affectoit dans les habits, fes meubles, & fes équipages, & de fa foibleffe ainfi que de fa mefquinerie dans les grandes affaires, difoient de lui, qu'il étoit minimus in maximis, maximus in minimis. Une pareille Antithefe, en fuppofant la vérité des faits qui la fondent, eft l'expreffion tout à la fois la plus vraie & la plus fimple du caractère de ce pape. Boileau (Sat. viij.) avoit à peindre les contradictions perpétuelles du cœur de l'homme : qu'y avoit il de plus naturel & de plus fimple, de plus naïf même, que de le faire par des Antithefes? Cette figure à la vérité eft éclatante, à cause du contrafte des oppofitions; cet éclat y rend l'art fenfible, ou le fait foupçonner: on en conclut naturellement qu'il faut l'employer avec réserve & en éviter le trop fréquent ufage. On reproche cet abus de l'Antithefe au philofophe Sénèque & à Pline le jeune ; & on a raifon : avec beaucoup d'efprit, ils fe firent une manière d'écrire tout à fait éloignée du goût auftère qui avoit pris heureufement le deffus depuis un fiècle; le brillant de leur style séduifit la Jeunesse romaine, on voulut les imiter fans avoir leurs talents, & tout fut perdu. S. Auguftin, Salvien, & quelques autres Pères, à qui on reproche auffi d'avoir abuse de l'Antithefe, font véritablement répréhenfibles à cet égard, mais bien plus excufables que Pline & Séneque quoiqu'il ne faille pas plus imiter les uns que les autres. Ceux-ci, par vanité, & pour ne pas fuivre ceux qui les avoient précédés & qui devoient leur fervir de modèles, dans la vûe de devenir euxmêmes modèles & originaux, affectèrent d'abandonner les routes battues, de femer de fleurs les routes nouvelles qu'ils ouvrirent, & de mettre partout en faillie l'efprit dont la nature les avoit pourvus: ceux-là, fans autre intérêt que celui de plaire afin de perfuader, prirent fimplement le ton de leur fiècle, infpirés peut-être par le même Efprit, qui fit parler les prophêtes dans leur temps d'une manière conforme aux idées populaires. Mais on reproche de nos jours à Fléchier, d'avoir trop émaillé fes difcours des fleurs de l'Antithefe; fleurs inodores, fi elles parent de petits objets; fleurs bientôt dédaignées, fi elles font répandues avec trop de profufion; fleurs enfin rebutées, fi elles fatiguent par leur éclat. M. Langlet, avocat (Idée des Oraif. fun. pag. 84 & fuiv.) s'eft chargé à cet égard de l'apologie de l'illuftre évêque de Nîmes. Le goût univerfel, qui place ce prélat parmi nos premiers orateurs, le juftifie affez fans doute: mais les raisons de fon défenfeur, en juftifiant l'opinion générale, peuvent fervir à éclairer, à diriger ceux qu'une noble émulation conduira fur les traces de l'éloquent panégyrifte. Quelque raisonnable & quelque folide que foit la jukification de Fléchier à laquelle je renvoie, je fens bien qu'elle n'amènera pas tout le monde à lui rendre la justice qui lui eft due. Il n'y a que trop de ces cenfeurs prèvenus & obftinés, qui, plus tôt que de facrifier leur opinion, aimeroient mieux abandonner les principes les plus folides, les plus lumineux, les plus autorités. Eh! ne s'en trouve-t-il pas qui profcrivent absolument l'Antithefe, & la regardent comme un vice plus tôt que comme un ornement? Ils attribuent à la chofe ce qui les a choqués dans l'abus ; & cet abus, que leur prévention trouve aifément dans les beautés naturelles du ftyle orné, les porte à bannir impitoyablement l'Antithefe de tout ouvrage férieux. M, l'abbé d'Olivet auroit-il eu quelque chofe de cette fingulière prévention? On va en juger, quand j'aurai mis fous les yeux un paffage de Cicéron: Hoc vero quis ferre poffit, inertes homines fortiffimis viris infidiari, fultiffimos prudentiffimis, ebriofos fobriis, dormientes vigilantibus? (II. Catil. v. 10.) Mais qui pourra voir patiemment des lâches dreffer des embûches aux hommes les plus courageux; les plus infenfés aux hommes les plus fages; des crapuleux, à ceux qui font fobres; des affougens pis dans l'oifiveté, à ceux qui veillent pour la patrie? M. l'abbé d'Olivet le traduit ainfi : « Mais fouf» frira-t-on que des miférables, abrutis par la cra» pule, dreffent perpétuellement des embuches >> aux plus gens d'honneur? » Lui-même a fenti l'infidélité de fa traduction, & il veut la juftifier dans une note, qu'il eft bon de rapporter. « Que » des lâches dreffent des embûches à des hommes » très-courageux, des infenfés à des hommes très» fages, des ivrognes à des gens fobres, ceux » qui dorment à ceux qui veillent? Voilà le texte » rendu littéralement. Mais des figures trep mar» quées ne réuffiffent pas toujours en françois. » Jamais le traducteur ne fe trouve dans cet em» barras avec Démosthène, à ce qu'il me femble. » Quelque admirable que foit un auteur, il ne doit » être imité qu'avec précaution & suivant le génie » de notre langue ». Il s'agit ici de traduction, & non d'imitation. J'avoue que l'imitation eft très-libre, & n'a pas befoin d'apologie à l'égard de la littéralité la traduction au contraire ne doit s'écarter du littéral que le moins qu'il eft poffible & autant que l'exige le génie de la langue dans laquelle on transporte l'original; une littéralité trop fervile pourroit devenir choquante, & celle que M. d'Olivet a affectée dans fa note en eft la preuve. J'ofe croire que ma traduction a confervé le fens littéral, fans préfenter dans notre langue des idées auxquelles elle ne fe prête pas; je l'ai voulu du moins, & j'ai dû le vouloir: l'Antithefe particulièrement ne m'y paroît pas plus offenfante que |