force ou de la violence; & celui de Calmer, pour ce qui eft effet de trouble ou d'inquiétude. Une foumiffion nous apaife: une lueur d'ef pérance nous calme. (L'abbé GIRArd.) APARTÉ. f. m. (Belles-Lettres. Ce font les deux mots latins à parte (à part), réunis en un feul mot francifé fous cette forme. Ce mot eft affecté à la Poéfie dramatique. Un Aparté est ce qu'un acteur dit en particulier, ou plus tôt ce qu'il fe dit à lui-même, pour découvrir aux fpectateurs quelque fentiment dont ils ne feroient pas inftruits autrement, mais qui cependant eft préfumé fecret & inconnu pour tous les autres acteurs qui occupent alors la fcène. On en trouve des exemples dans les poètes tragiques & comiques. Les Critiques rigides condannent cette action théâtrale; & ce n'eft pas fans fondement, puifqu'elle eft manifeftement contraire aux règles de la vraifemblance, & qu'elle fuppofe une furdité abfolue dans les perfonnages introduits avec l'acteur qui fait cet Aparté, fi intelligiblement entendu de tous les fpectateurs: auffi n'en doit-on jamais faire ufage que dans une extrême néceffité, & c'eft une fituation que les bons auteurs ont foin d'éviter. (L'abbé MALlet.) C'est une des licences accordées à l'art dramatique. La vraisemblance en eft fondée fur cette fuppofition fans laquelle il n'y auroit nulle vraisemblance dans la représentation théâtrale, que le fpectateur n'y eft préfent qu'en efprit. Cela pofé, tout ce qu'on a dit contre l'Aparté tombe de lui-même. Il eft, fans doute, réellement impoffible que l'acteur qui fe fait entendre des fpectateurs, ne foit pas entendu des acteurs avec lesquels il eft en fcène: mais dans l'hypothèse tacitement convenue, les fpectateurs ne font point là, ils ne font point à telle distance, ils font phyfiquement abfents, leur préfence n'eft qu'idéale; car fi on les fuppofoit là, ils feroient vus, on n'agiroit point, on ne parleroit point en leur préfence; on parleroit d'eux, avec eux. Il y a donc dans cette hypothèse abfence réelle des témoins de l'action. Or le fpectateur préfent en efprit, eft cenfé entendre la voix de l'acteur, quelque foible & bas qu'en foit le fon, & lors même qu'elle n'eft pas entendue des perfonnages qui font en fcène. C'est cette hypothefe qu'on a perdue de vûe, lorfqu'en mefurant les diftances, on a regardé comme une invraisemblance théâtrale, qu'un acteur fût entendu de loin & ne le fût pas de plus près. Voyez UNITÉ. (M. MARMONTEL.) Au fujet des Aparté nous rapporterons une anecdote connue; elle pourra fournir une réflexion utile. Racine, Molière, & la Fontaine étoient amis, comme on fait: raffemblés un jour, la converfation tomba fur les Aparté. La Fontaine en foutenoit l'ufage abfurde & contraire à toute vraisemblance; Racine le défendoit: la difpute devint vive; un enfant, un homme naturel s'échauffe aisément. Molière, profitant de ce moment d'agitation de la Fontaine, cria à plufieurs reprises, La Fontaine eft un coquin, fans que celui-ci l'entendit. La Fontaine, ayant fu l'Aparté de Molière, fe confella vaincu. Cette anecdote prouve fans doute, que les Aparté font quelquefois dans la vraisemblance, même dans la nature; mais elle montre aufi, qu'on ne peut en faire usage avec fuccès que dans les moments où l'action, pleine de chaleur & de mouvement, entraîne également l'acteur & le fpectateur. Rien donc de plus faux & de plus ridicule que la manière ordinaire de rendre les Aparté fur la fcène, où l'acteur paroît toujours s'adreffer au fpectateur & lui parler confidemment; tandis qu'il ne devroit s'occuper ni du fpectateur, ni de foi, mais uniquement de l'objet qui le frape ou du fentiment qui l'émeut. Il est bien furprenant que les fifflets des fpectateurs n'ayent pas encore averti les acteurs de ce contre-fens abfurde. (ANONYME.) (N.) APHÉRÈSE, f. f. Efpèce de Métaplafme (voyez ce mot), qui change le matériel primitif d'un mot par une fouftraction faite au commencement. Αφαίρεσις, de ἀφαιρέω ( aufero ) ; RR. ἀπὸ ( d, ab changé en a, & aipiw (capio.) La langue latine, indulgente en faveur de l'harmonie, permettoit, furtout aux poètes, l'ufage de l'Aphérèse en bien des cas : & c'est à la faveur de cette licence, que Virgile, employant le fimple inufité temnere pour le compofé contemnere, a dit (En. VI. 620.): Difcite juftitiam moniti, & non temnere divos. Les grecs, plus amateurs encore que les latins des charmes de l'harmonie, ufoient de l'Aphérèse jufque dans la profe; & ils difoient pas pour le mot ordinaire open ( féle ), seрon au lieu de aspon (éclair). Le principal ufage de cette figure eft au paffage des mots d'une langue dans une autre. C'eft ainfi que les latins femblent avoir formé par Aphérèse les mots læna (forte de vêtement) de xhaiva, rura de άρθρα, mulgo de αμέλγω, τos de δρόσος, fillo de σφάλλω, norco de γνώσκω, fungus de σφίγγος, tego de siya, imitor de μunîès, d'où ils ont tiré mimus fans Aphérèse. Nous-mêmes nous paroiffons avoir formé par la même figure rogue de arrogans, oncle de avunculus, boffu de gibbofus, loir de gliris ( génitif de glis), &c. Au refte, rien n'eft plus aifé que de fe méprendre à cet égard; ces générations de mots fuppofant des emprunts, qui peuvent très-bien s'être faits dans un fens contraire à celui qu'on adopte. Par exemple, ceux qui font perfuadés que notre françois vient du latin, ne douteront pas que notre mot jeûne ne vienne de jejunium, en retranchant par Aphérèfe la première fyllabe je; mais d'autres peut-être croiront plus volontiers que jejunium eft tiré du celtique jun, qui a le meine : fens, qui ne diffère guères de jeune, & que nods confervons en nature dans la phrafe étre à jeun. Effectivement il n'y a rien de plus raifonnable, en fait d'étymologie, que de regarder, comme primitif & radical, le plus court de tous les mots qui femblent appartenir à une même famille le langage a dû naturellement commencer par des monofyllabes; on y a fait des additions, pour repréfenter des idées acceffoires; fi enfuite on a fouftrait quelque chofe de ces additions, il eft probable que ce n'a été d'abord que pour fupprimer l'idée acceffoire dont la partie retranchée étoit le fymbole, & que la fuppreffion purement euphonique 'a eu lieu depuis, que quand on a eu perdu de vûe la compofition analytique des mots : mais toutes ses métamorphofes ne détruifent point les droits des radicaux qui fubfiftent. (M. BEAUZEE. ) (N.) APOCOPE, f. f. Efpèce de Métaplafme (voyez ce mot), qui change le matériel primitif d'un mot par une fouftraction faite à la fin. A'zo'n (abfciffio); de añò ( à, ab ), & de xóa̸lw (feindo). C'est l'ufage qui a déterminé le fens à la fin du mot. de longus, vil de vilis: des noms formés de la même manière; dom de dominus, don de donum, fil de filum, mur de murus, porc de porcus, port de portus, ris de rifus, fang de fanguis, ton de tonus, &c. (M. BEAUZEE.) (N.) APOCRYPHE, SUPPOSÉ. Syn. Ce qui eft apocryphe n'eft ni prouvé ni authen tique. Ce qui eft fuppofé eft faux & controuvé. Les proteftants regardent comme apocryphes quelques-uns des livres que l'Églife romaine a mis dans fon canon comme divins & authentiques. L'hiftoire apocryphe de la papeffe Jeanne a été également réfutée & foutenue par des favants de l'une & de l'autre communion. La donation fuppofée de Constantin a été long temps un point d'Hif toire non contefté. Que de faits fuppofés, crus encore de notre temps, malgré nos prétendues lus mières. ( L'abbé GIRARD.) APODIOXIS, f. f. ( Rhétorique). C'eft un tour par lequel on rejette avec indignation un argument ou une objection comme abfurde. ( M. DıDEROT.) C'eft par Apocope que les latins ont fait leurs impératifs dic, duc, fac, fer, contre l'analogie APODOSE, f. f. Indépendamment du nombre qui demandoit dice, duce, face, fere; mais pour des membres dont une Période peut être compoéviter fans doute l'équivoque des ablatifs dice, duce, fée, elle peut & doit toujours le divifer en deux face des noms dix, dux, fax, & celle de l'ad-parties générales, qui préfentent deux fens partiels, verbe feré, ils ont mieux aimé fupprimer la voyelle finale des impératifs. Ils retranchent fouvent l'e final de l'enclitique ne; quin pour qui-ne : & quand le mot qui précède T'enclitique eft un verbe à la feconde perfonne terminée par s, ils font une double Apocope, celle de s au verbe, & celle de e à l'enclitique; ain' pour aïs-ne, audin' pour audis-ne, viden' pour vides-ne. Il est bien vraisemblable que leurs noms neutres en al, au moins pour la plupart, ne font ainfi terminés que par Apocope, & que ce font originairement des adjectifs neutres terminés en ale: animal pour ens animale; cervical pour cervicale, qui fe trouve même dans Juvénal; toral pour linteum torale; vectigal pour as vectigale, &c. Il pourroit bien en être de même de quelques noms neutres en ar calcar pour inftrumentum calcare (èperon, inftrument pour piquer); pulvinar pour pulvinare dont on connoît le mafculin pulvinaris & le radical pulvinus. Ils ont latinifé par Apocope plufieurs mots empruntés du grec: Plato de λátor, leo de xéwv, draco de δράκων, mel de μέλι, &c. Nous avons auffi en françois plufieurs noms formés par Apocope du génitif latin; art d'artis, part de partis gland de glandis, front de frontis, mort de mortis, fort de fortis: plufieurs adjectifs formés par Apocope de la terminaison du nominatif; bel de bellus, bon de bonus, dur de durus, fort de fortis, grand de grandis, long & dont la réunion forme le fens total. Les rhéteurs donnent, à la première de ces deux parties, le nom de Protafe ( voyez ce mot); & à la feconde le nom d'Apodofe RR. a (rurfum, re), & Joris (donatio); d'où A'zodoris (Redditio). On donne ce nom à la feconde partie intégrante de la Période, parce qu'elle rend, à la première, ce qui lui manquoit pour la plénitude du fens total, & fouvent ce qu'elle réclamoit par une conjonction propre à tenir l'efprit en fufpens. Voyez PÉ RIODE. Il ne faut pas confondre les deux termes d' podofe & d'Antapodofe. Voyez ANTAPODOse. (M. BEAUZÉE.) APOGRAPHE, f. m. ( Grammaire). Ce mot vient de ano, prépofition grèque qui répond à la prépofition latine à ou de, qui marque dérivation, & de reuoa, fcribo. Ainfi, Apographe eft un écrit tiré d'un autre ; c'eft la copie d'un original. Apographe eft oppofé à Autographe. (M. DU MARSAIS.) APOLOGUE, f. m. ( Belles-Lettres ). Fable morale, ou espèce de fiction, dont le but eft de corriger les mœurs des hommes. Jules Scaliger fait venir ce mot d'améλoyos, ou difcours qui contient quelque chofe de plus que ce qu'il préfente d'abord. Telles font les fables d'Elope: auffi donne-t-on communément l'épithète d'afopica aux fables morales. Le P. de Colonia prétend qu'il eft effenciel à la table morale ou à l'Apologue, d'être fondé fur ce qui fe paffe entre les animaux ; & voici la diftinction qu'il met entre l'Apologue & la Parabole. Ce font deux fictions, dont l'une peut être vraie, & l'autre eft néceffairement fauffe; car les bêtes ne parlent point. Cependant prefque tous les auteurs ne mettent aucune distinction entre l'Apologue & la fable, & plufieurs fables ne font que des paraboles. Feu M. de la Barre, de l'Académie des BellesLettres, a été encore plus loin que le P. de Colonia, en foutenant que non feulement il n'y avoit nulle verité, mais encore nulle vraisemblance dans la plupart des Apologues. « J'entends, dit-il, par » Apologue, cette forte de fables où l'on fait » parler & agir des animaux, des plantes, &c. » Or il est vrai de dire que cet Apologue n'a ni > poffibilité, ni ce qu'on nomme proprement vraifemblance. Je n'ignore pas, ajoûte-t-il, qu'on demande communément une forte de vraifemblance: on n'y doit pas fuppofer que le chêne » foit plus petit que l'hyffope, ni le gland plus gros que la citrouille, & l'on fe moqueroit avec raifon d'un fabulifte qui donneroit au lion la » timidité en partage, la douceur au loup, la ftupidité au renard, la valeur ou la férocité à l'a» gneau. Mais ce n'eft point affez que les fables »ne choquent point la vraisemblance en certaines chofes, pour assurer qu'elles font vraisemblables; » elles ne le font pas, puifqu'on donne aux ani» maux & aux plantes des vertus & des vices, » dont ils n'ont pas même toujours le dehors. » Quand on n'y feroit que préter la parole à des » êtres qui ne l'ont pas, c'en feroit affez: or on » ne fe contente pas de les faire parler fur ce qu'on » suppose qui s'eft paffé entre eux ; on les fait agir n quelquefois en conféquence des difcours qu'ils fe » font tenus les uns aux autres. Et ce qu'il y a de » remarquable, on eft fi peu attaché à la première » forte de vraisemblance, on l'exige avec fi peu » de rigueur, que l'on y voit manquer à certain » point fans en être touché, comme dans la fable » où l'on représente le lion faifant une fociété de chaffe avec trois animaux, qui ne fe trouvent jamais volontiers dans fa compagnie, & qui ne font ni carnaffiers ni chaffeurs. Vacca, & capella, & patiens ovis injuria, &c. > De forte qu'on pourroit dire qu'on n'y de» mande proprement qu'une autre espèce de vrai» femblance, qui, par exemple, dans la fable du » loup & de l'agneau, confifte en ce qu'on leur » fait dire ce que diroient ceux dont ils ne font » que les images. Car il eft vrai que celle-ci n'y > fauroit jamais manquer, mais il eft également » vrai qu'elle n'appartient pas à l'Apologue con» fidéré feul & de fa nature : c'eft le rapport de > la fable avec une chofe vraie & poffible qui lui » donne cette vraisemblance, ou bien, elle eft vrai» femblable comme image fans l'être en elle-même ». Mém. de l'Acad, tom. IX. Ces raifons paroiffent démonftratives: mais la dernière juftifie le plaifir qu'on prend à la lecture des Apologues; quoiqu'on les fache dénués de poffibilité & fouvent de vraisemblance, ils plaisent au moins comme images & comme imitations. (L'abbé MALLET.) Dans cet article, on n'exige de cette efpèce de fable d'autre vraisemblance que la juftefle de l'allufion avec les objets dont elle eft l'image; & la preuve qu'elle peut fe paffer, dit-on, de la vraifemblance des mœurs, c'eft qu'on y voit, fans en étre touché, le lion faifant une fociété de chaffe avec trois animaux qui ne fe trouvent jamais dāns fa compagnie, & qui ne font ni carnaffiers ni chaffeurs: Vacca, & capella, & patiens ovis injuria, &c. C'est l'idée de feu M. de la Barre, à laquelle l'abbe Mallet a pleinement accédé. Il est bien étrange que, parce que Phèdre & Ia Fontaine, après lui, auront manqué une fois d'ob◄ ferver dans l'Apologue la convenance des mœurs, on faffe une règle de cette faute, & qu'on la donne pour le caractère du genre, tandis que cent autres fables prouvent l'attention & le foin que Phèdre & la Fontaine ont mis à obferver les mœurs réelles ou idéales des animaux, & que cette vérité naïve fait pour tous les efprits le plus grand charme de leurs peintures. Les animaux parlent dans l'Apologue, voilà co qui eft donné à la fiction; ils parlent felon leur caractère connu ou fuppofé, voilà la vérité relative ou la vraisemblance; & toutes les fois qu'on y manquera, on s'éloignera de la nature & des vrais principes de l'art, dont l'illufion eft le moyen. principes de l'art Voyez FABLE. (M. MARMON TEL.) APOPHTHEGME. (. m. C'est une sentence cour→ te, énergique, & inftructive, prononcée par quelque homme de poids & de confidération, ou faite à fon imitation. Tels font les Apophthegmes de Plutarque, ou ceux des anciens rassemblés par Lycofthènes. Ce mot eft dérivé du grec aliyrouai, parler, l'Apophthegme étant une parole remarquable. Cependant parmi les Apophthegmes qu'on a recueillis des anciens, tous, pour avoir la brièveté des fentences, n'en ont pas toujours le poids. (L'abbé MALLET.) (N.) APORIE. f. f. Ce mot eft grec; opía (inopia confilii), de l'adjectif &opos (invius): RR. & privatif, & opes (meatus). L'Aporie, chez certains rhéteurs, n'eft rien autre chofe que la figure à laquelle nous donnons plus communément le nom de Dubitation; & en effet un hommme qui doute femble ne trouver aucune voie pour le tirer de l'incertitude où il eft. Ce mot a l'air plus favant; mais par là même il est moins clair que celui de Dubitation, qui ap➡ proche plus de notre langage. Foyez DUBITATION (M. BEAUZLE.) (N.) APOSTROPHE. f. f. Figure de pensée ou de ftyle par mouvement efpèce de Profopopée, (Voyez ce mot), par laquelle on paroît perdre de vue ceux à qui l'on parle, pour adreffer tout à coup la parole à Dieu, aux efprits céleftes ou infernaux, à la terre, à des perfonnes abfentes, aux morts, à des êtres inanimés, ou même à des etres métaphyfiques. A'ospoon (averfio, détour); de año (à, ab), & de spiow (verto.) Dans l'Oraifon funèbre de la ducheffe d'Orléans, Boffuet adreffe tout à coup la parole à cette illuftre morte, puis à Dieu & aux anges. «< Princeffe, dont » la deftinée eft fi grande & fi glorieufe, faut-il » que vous naiffiez en la puiffance des ennemis de » votre maison? O Éternel! veillez fur elle. Anges » faints! rangez à l'entour vos escadrons invifibles, » & faites la garde autour du berceau d'une prin» ceffe fi grande & fi délaiffée. » Cette Apoftrophe a un effet admirable pour exciter l'inquiétude & la compaffion des auditeurs en faveur de la princeffe, l'orateur montrant qu'il en eft lui-même si pénétré, qu'il croit devoir lui chercher du fecours jufques dans le ciel. Voici une belle Apostrophe, fuggérée au Pfalmifte par une jufte indignation, & en même temps par un zèle éclairé (P. xciij. 3-9.); le Prophète parle directement à Dieu, puis il adreffe fubitement la parole aux impies dont il fe plaint: tes in populo; & ftulti aliquando fapite: fubftituez enfin des idées Qui plantavit aurem, non audiet? aut qui finxit oculum, non confiderat? heureux; qui n'êtes connus du peuple que par vos erreurs ; & à votre folie plus fages. Quoi! celui qui a fait l'oreille, n'entendra ? pas ou celui qui a formé l'œil, ne voit pas ? Cette Apoftrophe est tout à la fois vive & fublime, raifonnable & digne dans tous les temps de la plus férieufe attention. Phèdre dans la belle tragédie de fon nom (IV. vj), tourmentée par fon amour inceftueux pour Hippolyte, animée par la vengeance contre Aricie fa rivale, déchirée par les remords, & en proie à la honte de fes défordres, oublie qu'elle eft devant Oénone fa confidente, & le fait à ellemême les reproches les plus fanglants au moment même qu'elle vient de projeter de nouveaux crimes: Que fais-je? où ma raison se va-t-elle égarer? Ici Phèdre, pleine de cette dernière idée, oublie tout, s'oublie en quelque forte elle-même, & ne voit plus que le redoutable Minos, à qui elle adresse la parole; & c'eft alors que commence l'Apoftrophe: Que diras tu, mon Père, à ce fpectacle horrible? Eft-il poffible de faire une peinture plus intéreflante & plus fublime des remords déchirants d'un cœur criminel? C'eft l'Apostrophe furtout qui en décide l'énergie. Mais paffors à des exemples où l'on porte la parole à des êtres infenfibles. Dans l'Oraifon furèbre de Turenne, Fléchier donne tout à coup à fon difcours une dignité, une nobleffe furprenante par les Apoftrophes accumulées que l'on va voir: « Villes, que nos ennemis s'étoient déja par» tagées, vous êtes encore dans l'enceinte de notre >> Empire. Provinces, qu'ils avoient déja ravagées » dans le défir & dans la penfée, vous avez encore >> recueilli vos moissons. Vous durez encore, Places » que l'art & la nature ont fortifiées, & qu'ils » avoient deffein de démolir; & vous n'avez trem» blé que fous des projets frivoles d'un vainqueur » en idée, qui comptoit le nombre de nos fol» dats, & qui ne fongeoit pas à la fageffe de leur >> capitaine. >> Égine avertit Clytemnestre, que c'est Ériphile qui a dénoncé fa fuite aux grecs; ce qui met le comble au défefpoir de cette princeffe, déja outrée de douleur de ce qu'on va immoler fa fille: dans fa fureur elle s'adreffe, par une fuite d'Apoftrophes, à tout ce qu'elle croit pouvoir venger ou même arréter la confommation du facrifice qu'elle détefte (Iphigénie. V. 4): O Monftre, que Mégère en fes flancs a porté ! Les vents, les mêmes vents, fi long temps accufés, Tend la gorge aux couteaux par fon père apprétés : L'Apoftrophe, fur tout quand elle s'adreffe aux êtres infenfibles & inanimés, eft un tour fpécialement propre à la plus fublime Éloquence: parce que, pour oublier en quelque forte l'auditeur, il faut que l'orateur foit comme emporté hors de luimême par la violence de quelque paffion; & qu'il ne doit jamais parler que le langage de la raifon, à moins que la raifon elle-même ne foit fondée à fe paffionner. De là vient que l'Éloquence des magiftrats qui font la fonction de partie publique, eft fans paffions & dénuée de tout mouvement; leur devoir eft d'apprécier le pour & le contre au poids du fanctuaire, & de ne mettre de la force que dans leur raifonnement. Le champ du prédicateur eft plus vafte; il traite des plus grands intérêts, des intérêts de l'éternité : encore doit-il être bien circonfpect dans l'ufage des grandes figures. L'Apoftrophe, par exemple, doit être préparée par des émotions plus douces ; & ce n'eft que quand l'auditeur a pu s'appercevoir qu'il cédoit à une pente, qu'on peut accélérer fon mouvement & l'entrainer avec violence. Au refte, l'ufage de cette figure & de toutes celles du même genre doitêtre peu fréquent: de grandes fecouffes trop répétées fatigueroient enfin; & quant à l'Apoftrophe, l'auditeur n'aimeroit pas qu'on le perdit trop fouvent de vûe, & qu'on parût ou l'oublier ou le dédaigner. ( M. BEAUZÉE.) (N.) Rien de plus commun, dans les livres que l'on nous donne pour claffiques, que le manque d'exactitude dans les définitions & de juftefle dans les exemples. Longin, en citant de Démosthène un mouvement oratoire vraiment fublime, a dit : Par cette forme de ferment, que j'appellerai ici Apoftrophe, il defie, &c. Longin ne penfoit pas alors à définir rigoureufement l'Apoftrophe: le fublime étoit fon objet. Il ne falloit donc pas, fur la foi de Longin, donner pour Apoftrophe ce qui n'en eft pas une. Et qui ne fait que cette figure, ou ce mouvement oratoire, confifte à détourner tout à coup la parole, & à l'adreffer, non plus à l'auditoire ou à l'interlocuteur, mais aux abfents, aux morts, aux êtres invifibles ou inanimés, & le plus fouvent à quelqu'un ou à quelques-uns des affiftants. Or dans le ferment de Démosthène il n'y a rien de détourné: il s'adreffe aux athéniens. » Non, non, leur dit-il, en vous chargeant du » péril, ( de la guerre contre Philippe ) pour la » liberté univerfelle & pour le falut commun » vous n'avez point failli. Non! j'en jure par » ceux de vos ancêtres qui bravèrent les ha»zards à Marathon ; & par ceux qui foutinrent le » choc à la bataille de Platée, & par ceux qui fur » mer livrèrent les combats de Salamine & d'Arté» mife, & par un grand nombre d'autres qui repo» fent dans les tombeaux publics >> Si dans ce moment Démosthène eût employé l'Apostrophe, il auroit dit: Je vous en attefte ou J'en jure par vous, illuftres Morts, &c. Mais ce tour, plus artificiel & plus commun, auroit été moins beau. Et en effet, ce n'eft pas dans le fort d'une argumentation auffi ferrée que l'eft celle de Démosthène dans cet endroit de fon apologie, ce n'eft point là que l'orateur doit lâcher prife & fe deffaiur de fes juges pour s'adreffer aux absents ou |