quoi cette fymmétrie vous paroît-elle néceffaire? Par la raison qu'elle plaît. Mais qui êtes-vous pour vous ériger en arbitre de ce qui doit plaire ou ne pas plaire aux hommes ? & d'où favez-vous que la fymmétrie nous plait? J'en fuis sûr, parce que les chofes ainfi difpofées ont de la décence, de la jufteffe, de la grâce; en un mot parce que cela eft beau. Fort bien mais dites-moi, cela eft - il beau parce qu'il plaît ? ou cela plait-il parce qu'il elt beau ? Sans difficulté cela plaît, parce qu'il eft beau. Je le crois comme vous: mais je vous demande encore pourquoi cela eft-il beau? & fi ma queftion vous embarraffe, parce qu'en effet les maîtres de votre art ne vont guère jufques-là, vous conviendrez du moins fans peine que la fimilitude, l'égalité, la convenance des parties de votre bâtiment, réduit tout à une espèce d'utilité qui contente la raison. C'est ce que je voulois dire. Oui: mais prenez-y garde; il n'y a point de vraie unité dans les corps, puifqu'ils font tous composés d'un nombre innombrable de parties, dont chacune eft composée d'une infinité d'autres. Où la voyez-vous donc, cette unité qui vous dirige dans la construction de votre deffein; cette unité que vous regardez dans votre art comme une loi inviolable; cette unité que votre édifice doit imiter pour être beau, mais que rien fur la terre ne peut imiter parfaitement, puifque rien fur la terre ne peut être parfaitement un? Or de là que s'enfuit-il ? ne faut-il pas reconnoître qu'il y a au deffus de nos efprits une certaine unité originale, fouveraine, éternelle, parfaite, qui eft la règle effencielle du Beau, & que vous cherchez dans la pratique de votre art? D'où S. Auguftin conclut, dans un autre ouvrage, que c'est l'unité qui conftitue, pour ainfi dire, la forme & l'efence du Beau en tout genre. Omnis porro Pulchritudinis forma, unitas eft. M. Wof dit, dans fa Pfychologie, qu'il y a des chofes qui nous plaifent, d'autres qui nous déplaifent ; & que cette différence eft ce qui conftitue le Beau &le Laid: que ce qui nous plaît s'appelle Beau, & que ce qui nous déplaît eft Laid. Il ajoûte que la Beauté confifte dans la perfection, de manière que, par la force de cette perfection, la chofe qui en eft revétue est propre à produire en nous du plaifir. 11 diftingue enfuite deux fortes de Beautés, la vraie & l'apparente: la vraie eft celle qui naît d'une perfection réelle ; & l'apparente, celle qui nait d'une perfection apparente. Il est évident que S. Auguftin avoit été beaucoup plus loin dans la recherche du Beau que le philofophe leibnitien: celui-ci femble prétendre d'abord qu'une chofe eft belle, parce qu'elle nous plait; au lieu qu'elle ne nous plaît que parce qu'elle est belle, comme Platon & S. Auguftin l'ont très-bien remarqué. Il est vrai qu'il fait enfuite entrer la perfection dans l'idée de la Beauté: mais qu'est-ce que la perfection? le Parfait eft-il plus clair & plus intelligi. ble que le Beau? Tous ceux qui, fe piquant de ne pas parler fimplement par coutume & fans réflexion, dit M. Crouzas, voudront defcendre dans eux-mêmes & faire attention à ce qui s'y paffe, à la manière dont ils penfent, & à ce qu'ils fentent lorfqu'ils s'écrient Cela eft beau, s'appercevront qu'ils expriment par ce terme un certain rapport d'un objet avec des fentiments agréables ou avec des idées d'approbation, & tomberont d'accord que dire Cela est beau, est dire, J'apperçois quelque chofe que j'approuve ou qui me fait plaifir. On comprend affez que cette définition de M. Crouzas n'eft point prife de la nature du Beau, mais de l'effet feulement qu'on éprouve à fa préfence: elle a le même défaut que celle de M. Wolf. C'eft ce que M. Crouzas a bien fenti; aufli s'occupe-t-il enfuite à fixer les caractères du Beau : il en compte cinq, la variété, l'unité, la régularité, l'ordre, la proportion. D'où il s'enfuit, ou que la définition de S. Auguftin eft incomplette, ou que celle de M. Crouzas eft redondante. Si l'idée d'unité ne renferme pas les idées de variété, de régularité, d'ordre, & de proportion, & fi ces qualités font effencielles au Beau; S. Auguflin n'a pas dû les omettre: fi l'idée d'unité les renferme, M. Crouzas n'a pas dû les ajouter. M. Crouzas ne définit point ce qu'il entend par variété; il femble entendre par unité, la relation de toutes les parties à un feul but; il fait confifter la régularité dans la pofition femblable des parties entre elles; il défigne par ordre une certaine dégradation de parties, qu'il faut obferver dans le paflage des unes aux autres ; & il définit la proportion, Vanité affaifonnée de variété, de régularité, d'ordre dans chaque partie. & Je n'attaquerai point cette définition du Beau par les chofes vagues qu'elle contient; je me contenterai feulement d'obferver ici qu'elle eft particulière, & qu'elle n'eft applicable qu'à l'Architecture, ou tout au plus à de grands Touts dans les autres genres, à une pièce d'Eloquence, à un drame, &c. mais non pas à un mot, à une penfée, à une portion d'objet. M. Hutchefon, célèbre profeffeur de Philofophie morale dans l'univerfité de Glafcou, s'eft fait un fyfteme particulier : il fe réduit à penfer qu'il ne faut pas plus demander Qu'est-ce que le Beau, que demander Qu'est ce que le Pifible. On entend par Vifible, ce qui eft fait pour être apperçu par l'œil; & M. Hutchefon entend par Beau, ce qui eft fait pour être faifi par le fens interne du Beau. Son lens interne du Beau eft une faculté par laquelle nous dif tinguons les belles chofes, comme le fens de la vue eft une faculté par laquelle nous recevons la notion des couleurs & des figures. Cet auteur & les fectateurs mettent tout en œuvre pour démontrer la réalité & la néceffité de ce fixième fens; & voici comment ils s'y prennent. 1. Notre ame, difent-ils, eft paffive dans le plaifir & dans le déplaifir. Les objets ne nous affectent pas précisément comme nous le fouhaiterions; les uns font fur notre ame une impreffion néceffaire de plaifir; d'autres nous déplaifent néceffairement: tout le pouvoir de notre volonté se réduit à recherchier la première forte d'objet, & à fuir l'autre : c'eft la conftitution même de notre nature, quelquefois individuelle, qui nous rend les uns agréables & les autres délagréables. 2°. Il n'est peut-être aucun objet qui puiffe affecter notre ame, fans lui ètre plus ou moins une occafion néceflaire de plaifir ou de déplaifir. Une figure, un ouvrage d'Architecture ou de Peinture, une compofition de Mufique, une action, un fentiment, un caractère, une expreffion, un difcours; toutes ces chofes nous plaifent ou nous déplaifent de quelque manière. Nous fentons que le plaifir ou le déplaifir s'excite néceffairement par la contemplation de l'idée qui fe préfente alors à notre efprit avec toutes fes circonftances. Cette impreffion fe fait, quoiqu'il n'y ait rien dans quelques-unes de ces idées de ce qu'on appelle ordinairement perceptions fenfibles; & dans celles qui viennent des fens, le plaifir ou le déplaifir qui les accompagne, nait de l'ordre ou du délordre, de l'arrangement ou du défaut de fymmétrie, de l'imitation ou de la bizarrerie qu'on remarque dans les objets ; & non des idées fimples de la couleur, du fon, & de l'étendue, confidérées folitaire ment. 3°. Cela pofé, j'appelle, dit M. Hutcheson, du nom de fens internes, ces déterminations de l'ame à fe plaire ou à fe déplaire à certaines formes ou à certaines idées, quand elle les confidère : & pour diftinguer les fens internes des facultés corporelles connues fous ce nom, j'appelle fens interne du Beau, la faculté qui difcerne le Beau dans la régularité, l'ordre, & l'harmonie ; & fens interne du Bon, celle qui approuve les affections, les actions, les caractères des agents raisonnables & vertueux. 4°. Comme les déterminations de l'ame à fe plaire ́ou à fe déplaire à certaines formes ou à certaines idées, quand elle les confidère, s'obfervent dans tous les hommes, à moins qu'ils ne foient ftupides; fans rechercher encore ce que c'est que le Beau, il eft conftant qu'il y a dans tous les hommes un fens naturel & propre pour cet objet; qu'ils s'accordent à trouver de la Beauté dans les figures, au ralement qu'à éprouver de la douleur à l'approche d'un trop grand feu, ou du plaifir à manger quand ils font preffés par l'appétit, quoiqu'il y ait entre eux une diverfité de goûts infirie. géné 5o. Auffi tôt que nous naiffons, nos fens externes commencent à s'exercer & à nous tranfmettre des perceptions des objets fenfibles; & c'eft là fans doute. ce qui nous perfuade qu'ils font naturels. Mais les objets de ce que j'appelle des fens internes, les fens du Bau & du Bon, ne fe préfentent pas tôt à notre efprit. Il fe paffe du temps avant que les enfants réfléchiffent, ou du moins qu'ils donnent des indices de réflexion fur les proportions, reffem ou fi blances, & fymmétries, sur ses affections & fes carac= tères ils ne connoiflent qu'un peu tard les choses qui excitent le goût ou la répugnance intérieure ; & ceft la ce qui fait imaginer que ces facultés que j'appelle les Jens internes du Beau & du Bon, viennent uniquement de l'instruction & de l'éducation. Mais quelque notion qu'on ait de la Vertu & de la Beauté, un objet vertueux ou bon eft une occafion d'approbation & de plaifir, auffi naturellement que des mets font les objets de notre appétit. Et qu'importe que les premiers objets fe foient préfentés tôt ou tard? fi les fens ne le développoient en nous que peu à peu & les uns après les autres, en feroientils moins des fens & des facultés ? & ferions - nous bien venus à prétendre, qu'il n'y a vraiment dans les objets vifibies, ni couleurs, ni figures, parce que nous aurions eu befoin de temps & d'instructions pour les y appercevoir, & qu'il n'y auroit pas, entre nous tous, deux perfonnes qui les y appercevroient de la même manière ? 6o. On appelle Senfations, les perceptions qui s'excitent dans notre ame à la préfence des objets extérieurs, & par l'impreffion qu'ils font fur nos organes. Et lorfque deux perceptions diffèrent entièrement l'une de l'autre, & qu'elles n'ont de commun que le nom gérérique de Senfation, les facultés par lefquelles nous recevons ces différentes perceptions, s'appellent des Jens différents. La vûe & l'ouie, par exemple, défignent des facultés différentes, dont l'une nous donne des idées de couleur, & l'autre les idées du fon : mais quelque différence que les fons ayent entre eux, & les couleurs entre elles, on rapporte à un méme fens toutes les couleurs, & à un autre fens tous les fons ; & il paroit que nos fens ont chacun leur organe. Or fi vous appliquez l'obfervation précédente au Bon & au Beau, vous verrez qu'ils font exactement dans ce cas. 7°. Les défenfeurs du fens interne entendent par Beau, l'idée que certains objets excitent dans notre ame; & par le fens interne du Beau, la faculté que nous avons de recevoir cette idée : & ils obfervent que les animaux ont des facultés femblables à nos fens extérieurs, & qu'ils les ont méme quelquefois dans un degré fupérieur à nous; mais qu'il n'y en a pas un qui donne un figne de ce qu'on entend ici par fens interne. Un être, continuent-ils, peut donc avoir en entier la méme fenfation extérieure que rous éprouvons, fans obferver, entre les oies les reffemblances & les rapports; il peut même difcerner ces relemblances & ces rapports, fans en refentir beaucoup de plaifir; d'ailleurs les idées feules de la figure & des formes, &c. font quelque chofe de diftinct du plaifir. Le plaifir peu e trouver où les proportions ne font ni confidérées ni connues; il peut manquer, malgré toute l'attention qu'on donne à l'ordre & aux proportions. Comment nommerons-nous donc cette faculté qui agit en nous, fans que nous fachions bien pourquoi? Sens interne. 8. Cette dénomination eft fondée fur le rapport de la faculté qu'elle défigne avec les autres facultés. Ce rapport confifte principalement en ce que le plaifir que le fens interne nous fait éprouver, eft différent de la connoiffance des principes, La connoiffance des principes peut l'accroitre ou le diminuer: mais cette connoiffance n'eft pas lui ni fa caufe. Ce fens a des plaifirs néceffaires, car la Beauté & la Laideur d'un objet est toujours la même pour nous, quelque deffein que nous puiffions former d'en juger autrement. Un objet défagréable, pour être utile, ne nous en paroît pas plus beau; un bel objet, pour être nuifible, ne nous paroît pas plus laid. Propofeznous le monde entier, pour nous contraindre par la récompenfe à trouver belle la Laideur, & laide la Beauté; ajoutez à ce prix les plus terribles menaces: vous n'apporterez aucun changement à nos perceptions & au jugement du fens interne ; notre bouche louera ou blâmera à votre gré, mais le fens interne restera incorruptible. 9°. Il paroît de là, continuent les mêmes fyftématiques, que certains objets font, immédiatement & par eux-mêmes, les occafions du plaifir que donne la Beauté, que nous avons un fens propre à le goûter; que ce plaifir eft individuel, & qu'il n'a rien de commun avec l'intérêt. En effet, n'arrivet-il pas en cent occafions qu'on abandonne l'utile pour le Beau? cette généreule préférence ne se remarque-t-elle pas quelquefois dans les conditions les plus méprifées ? Un honnête artifan fe livrera à la fatisfaction de faire un chef-d'oeuvre qui le ruine, plus tôt qu'à l'avantage de faire un ouvrage qui l'enrichiroit. 10. Si on ne joignoit pas à la confidération de l'utile, quelque fentiment particulier, quelque effet fubtil d'une faculté différente de l'entendement & de la volonté; on n'eftimeroit une maifon que pour son utilité, un jardin que pour la fertilité, un habillement que pour fa commodité. Or cette eftimation étroite des chofes n'existe pas même dans les enfants & dans les fauvages. Abandonnez la nature à elle-même, & le fens interne exercera fon empire: peut-être le trompera-t-il dans fon objet, mais la fenfation de plaifir n'en fera pas moins réelle. Une Philofophie auftère, ennemie du luxe, brifera les ftatues, renverfera les obélifques, transformera nos palais en cabanes, & nos jardins en forêts: mais elle n'en fentira pas moins la Beauté réelle de ces objets; be fens interne fe révoltera entre elle, & elle fera réduite à fe faire un mérite de fon courage, corporels un Beau abfolu & un Beau relatif. Ils n'en tendent point par un Beau abfolu, une qualité tellement inhérente dans l'objet, qu'elle le rend beau par lui-même, fans aucun rapport à l'ame qui le voit & qui en juge. Le terme Beau, femblable aux autres noms des idées fenfioles, défigne proprement, felon eux, la perception d'un efprit; comme le froid & le chaud, le doux & l'amer, font des fenfations de notre ame, quoique fans doute il n'y ait rien qui reffemble à ces fenfations dans les objets qui les excitent, malgré la prévention populaire qui en juge autrement. Un ne voit pas, difent-ils, comment les objets pourroient étre appellés beaux, s'il n'y avoit pas un elprit doué du fens de la Beauté pour leur rendre hommage. Ainfi, par le Beau abfolu, ils n'entendent que celui qu'on reconnoit en quelques objets, fans les comparer à aucune chofe extérieure dont ces objets foient l'imitation & la peinture; telle eft, difent-ils, la Beauté que nous appercevons dans les ouvrages de la nature, dans certaines formes artificielles, & dans les figures, les folides, les furfaces: & par Beau relatif, ils entendent celui qu'on apperçoit dans des objets confidérés communément comme des imitations & des images de quelques autres. Ainfi, leur divifion a plus tôt fon fondement dans les différentes fources du plaifir que le Beau nous caufe, que dans des objets : car il eft conftant que le Beau abfolu a, pour ainfi dire, un Beau relaiif; & le Beau relatif, un Beau abfolu. Du Beau abfolu, felon Hutchefon & fes fectateurs. Nous avons fait fentir, difent-ils, la néceffité d'un fens propre qui nous avertit par le plaifir de la préfence du Beau; voyons maintenant quelles doivent être les qualités d'un objet pour émouvoir ce fens. Il ne faut pas oublier, ajoûtent-ils, qu'il ne s'agit ici de ces qualités que relativement à l'homme; car il y a certainement bien des objets qui font fur eux l'impreffion de Beauté, & qui déplaifent à d'autres animaux. Ceux-ci, ayant des fers & des organes autrement conformés que les nôtres, s'ils étoient juges du Beau, en attacheroient des idées à des formes toutes différentes. L'ours peut trouver fa caverne commode; mais il ne la trouve ni belle ni laide; peut-être, s'il avoit le fens interne du Beau, la regarderoit-il comme une retraite délicieuse. Remarquez en paffant, qu'un être bien malheureux, ce feroit celui qui auroit le fens interne du Beau, & qui ne reconnoitroit jamais le Beau que dans les objets qui lui feroient nuifibles: la providence y a pourvu par rapport à nous; & une chofe vraiment belle eft affez ordinairement une chofe bonne. Pour découvrir l'occafion générale des idées du Beau parmi les hommes, les fectateurs d'Hutche fon C'est ainsi, dis je, que Hutchefon & fes fectateurs s'efforcent d'établir la néceffité du fens interne du Beau: mais ils ne parviennent qu'à démontrer qu'il y a quelque chofe d'obfcur & d'impénétrable dans le plaifir que le Beau nous caufe; que ce plai-examinent les êtres les plus fimples, par exemple, fir femble indépendant de la connoillance des rapports & des perceptions; que la vûe de l'utile n'y entre pour rien; & qu'il fait des enthoufiaftes, que ni les récompenfes ni les menaces ne peuvent ébranler. Du refte, ces philofophes diftinguent dans les êtres les figures; & ils trouvent qu'entre les figures, cel les que nous nommons belles, offrent à nos fens l'uniformité dans la variété. Ils affurent qu'un triangle équilatéral eft moins beau qu'un quarré, un pentagone moins beau qu'un hexagone, & ainfi de fuite; parce que les objets également uniformes font d'au tant plus beaux, qu'ils font plus variés, & ils font d'autant plus variés, qu'ils ont plus de côtés comparables. Il eft vrai, difent-ils, qu'en augmentant beaucoup le nombre des côtés, on perd de vûe les rapports qu'ils ont entre eux & avec le rayon; d'où il s'enfuit que la Beauté de ces figures n'augmente pas toujours comme le nombre des côtés. Ils le font cette objection, mais ils ne fe foucient guère d'y répondre. Ils remarquent feulement que le défaut du parallélifine, dans les côtés des heptagones & des autres polygones impairs, en diminue la Beauté: mais ils foutiennent toujours que, tout étant égal d'ailleurs, une figure régulière à vingt cótés furpaffe en Beauté celle qui n' n'en a que douze; que celle-ci l'emporte fur celle qui n'en a que huit; & cette dernière, fur le quarré. Ils font le même raisonnement fur les furfaces & fur les folides. De tous les folides réguliers, celui qui a le plus grand nombre de furfaces eft pour eux le plus beau, & ils perfent que la Beauté de ces corps va toujours en décroiffant jufqu'à la pyramide régulière. Mais entre les objets également uniformes, les plus variés font les plus beaux, felon eux; réciproquement entre les objets également variés, les plus beaux feront les plus uniformes: ainfi, le triangle équilatéral, ou meme ifocèle, eft plus beau que le fcalene; le quarré, plus beau que le rhombe ou lofange. C'est le même raifonnement pour les corps folides réguliers, & en général pour tous ceux qui ont quelque uniformité, comme les cylindres, les prifines, les obélifques, &c; & il faut convenir avec eux, que ces corps plaifent certainement plus à la vûe que des figu res groffières, où l'on n'apperçoit ni uniformité, ni fymmétrie, ni unité. Pour avoir des raifons composées du rapport de l'uniformité & de la variété, ils comparent les cercles & les fphères avec les ellipfes & les fphéroïdes peu excentriques ; & ils prétendent que la parfaite uniformité des uns eft composée par la variété des autres, & que leur Beauté eft à peu près égale. la nature entière & dans chacune de fes parties, l'uniformité dans la variété, & la Beauté toujours en raifon compofée de ces deux qualités. Ils traitent enfuite de la Beauté des arts, dont on ne peut regarder les productions comme une véritable imitation, telle que l'Architecture, les arts méchaniques, & l'harmonie naturelle; ils font tous leurs efforts pour les affujettir à leur loi de l'uniformité dans la variété: & fi leur preuve pèche, ce n'eft pas par le défaut de l'énumération; ils defcendent depuis le palais le plus magnifique jufqu'au plus petit édifice, depuis l'ouvrage le plus précieux jufqu'aux bagatelles, montrant le caprice partout où manque l'uniformité, & l'infipidité où manque la variété. Mais il est une claffe d'êtres fort différents des précédents, dont les fectateurs d'Hutcheson font fort embarraflés; car on y reconnoît de la Beauté, & cependant la règle de l'uniformité dans la variété ne leur eft pas applicable: ce font les démonftrations des vérités abftraites & univerfelles. Si un théorème contient une infinité de vérités particulières qui n'en font que le développement, ce théorème n'est proprement que le corollaire d'un axiome d'où découle une infinité d'autres théorèmes; cependant on dit Voilà un beau théorème, & l'on ne dit pas Voilà un bel axiome. Nous donnerons plus bas la folution de cette difficulté dans d'autres principes. Paffons à l'examen du Beau relatif, de ce Beau qu'on apperçoit dans un objet confidéré comme l'imitation d'un original, felon ceux de Hutchefon & de fes lectateurs. Cette partie de fon fyftême n'a rien de particulier. Selon cet auteur, & felon tout le monde, ce Beau ne peut confifter que dans la conformité qui se trouve entre le modèle & la copie. D'où il s'enfuit que, pour le Beau relatif, il n'eft pas néceffaire qu'il y ait aucune Beauté dans l'original. Les forêts, les montagnes, les précipices, les chaos, les rides de la vieilleffe, la pâleur de la mort les effets de la maladie plaifent en Peinture ; ils plais fent auffi en Poéfie : ce qu'Ariftote appelle un caractère moral, n'eft point celui d'un homme vertueux; & ce qu'on entend par fabula bene morata, n'est autre chofe qu'un poème épique ou dramatique, où les actions, les fentiments, & les difcours font d'accord avec les caractères bons ou mauvais. Le Beau, dans les ouvrages de la nature, a le même fondement felon eux. Soit que vous envifagiez, difent ils, les formes des corps célestes leurs révolutions, leurs aspects; foit que vous def cendiez des cieux fur la terre, & que vous confidériez les plantes qui la couvrent, les couleurs dont les fleurs font peintes, la structure des animaux, leurs efpèces, leurs mouvements, la proportion de leurs parties, le rapport de leur méchanifme à leur bien-être; foit que vous vous élanciez dans les airs, & que vous examiniez les oifeaux & les météores; ou que vous vous plongiez dans les eaux, & que vous compariez entre eux les poiffons; vous rencontrerez partout l'uniformité dans la variété, partout vous verrez ces qualités compenfées dans les êtres également beaux, & la raifon compofée des deux, incgale dans les étres de Beauté inégale; en un mot, s'il eft permis de parler encore la langue des géc-point fans défaut. mètres, vous verrez dans les entrailles de la terre au fond des mers, au haut de l'athmofphère, dans Cependant on ne peut nier que la peinture d'un objet qui aura quelque Beauté abfolue, ne plaise ordinairement plus que celle d'un objet qui n'aura point ce Beau. La feule exception qu'il y ait peutêtre à cette règle, ç'eft le cas où, la conformité de la peinture avec l'état du fpectateur gagnant tout ce qu'on ôte à la Beauté abfolue du modele, la peinture en devient d'autant plus intéreffante; cet intérêt qui nait de l'imperfection, eft la raison pour laquelle on a voulu que le héros d'un poème épique ne fût La plupart des autres Beautés de la Poéfie & de l'Eloquence fuivent la loi du Beau relatif. La con formité formité avec le vrai rend les comparaisons, les métaphores, & les allégories belles, lors même qu'il n'y a aucune Beauté abfolue dans les objets qu'elles repréfentent. Hutchefon infifte ici fur le penchant que nous avons à la comparaifon. Voici, felon lui, quelle en eft l'origine. Les paffions produifent prefque toujours dans les animaux les memes mouvements qu'en nous; & les objets inanimés de la nature, ont fouvent des pofitions qui reifemblent aux attitudes du corps humain dans certains états de l'ame: il n'en a pas fallu davantage, ajoûte l'auteur que nous analyfons, pour rendre le lion le fymbole de la fureur, le tigre, celui de la cruauté; un chêne droit, & dont la cime orgueilleufe s'élève jufques dans la nue, l'emblême de l'audace; les mouvements d'une mer agitée, la peinture des agitations de la colère; & la moleffe de la tige d'un pavot, dont quelques gouttes de pluie ont fait pencher la tête, l'image d'un moribond. que Tel est le fyftême de Hutchefon, qui paroitra fans doute plus fingulier que vrai. Nous ne pouvons cependant trop recommander la lecture de fon ouvrage, urtout dans l'original; on y trouvera un grand nombre d'observations délicates fur la manière d'atteindre la perfection dans la pratique des beaux arts. Nous allons maintenant expofer les idées du P. André jéfuite. Son Effai fur le Beau eft le fyfteme le plus fuivi, le plus étendu, & le mieux lié je connoiffe. J'oferois affûrer qu'il eft dans fon genre ce qu'eft dans le fien le traité des Beaux Arts reduits à un feul principe. Ce font deux bons ouvrages auxquels il n'a manqué qu'un chapitre pour Être excellents; & il en faut favoir d'autant plus mauvais gré à ces deux auteurs de l'avoir omis. M. l'abbé Batteux rappelle tous les principes des beaux arts à l'imitation de la belle nature, mais il ne nous apprend point ce que c'est que la belle nature. Le P. André diftribue avec beaucoup de fagacité & de philofophie le Beau en général dans fes différentes efpèces; il les définit toutes avec précision on ne trouve la définition du genre, celle du Beau en général, dans aucun endroit de fon livre, à moins qu'il ne le faffe confifter dans l'unité, comme S. Auguftin. Il parle fans ceffe d'ordre, de proportion, d'harmonie, &c. mais il ne dit pas un mot de l'origine de ces idées. mais Le P. André diftingue les notions générales de l'efprit pur, qui nous donnent des règles éternelles du Beau; les jugements naturels de l'ame, où le fentiment le mêle avec les idées purement fpirituelles, mais fans les détruire; & les préjugés de l'éducation & de la coutume, qui femblent quelquefois les renverser les uns & les autres. Il diftribue fon ouvrage en quatre chapitres Le premier eft du Beau vifible; le fecond, du Beau dans les maurs; le troifième, du Beau dans les ouvrages d'efprit; & le quatrième, du Beau mufical. Il agite trois questions fur chacun de ces objets; il prétend qu'on y découvre un Beau effenciel, abfolu, GRAMM. ET LITTÉRAT. Tome I. indépendant de toute inftitution, même divine; un Beau naturel, dépendant de l'institution du créateur, mais indépendant de nos goûts; un Beau artificiel & en quelque forte arbitraire, mais toujours avec quelque dépendance des lois éternelles. Il fait confifter le Beau effenciel, dans la régularité, l'ordre, la proportion, la fymmétrie en gé néral; le Beau naturel, dans la régularité, l'ordre, les proportions, la fymmétrie obfervées dans les êtres de la nature; le Beau artificiel, dans la régularité, l'ordre, la fymmétrie, les proportions obfervées dans nos productions méchaniques, nos parures, nos bâtiments, nos jardins. Il remarque que ce dernier Beau eft mélé d'arbitraire & d'abfolu. En Architecture, par exemple, il apperçoit deux fortes de règles: les unes qui découlent de la notion, indépendante de nous, du Beau original & effenciel, & qui exige indifpenfablement la perpendicularité des colonnes, le parallélifme des étages, la fymmétrie des membres, le dégagement & l'élégance du deffin, & l'unité dans le Tout : les autres qui font fondées fur des obfervations particulières, que les maitres ont faites en divers temps, & par lesquelles ils ont déterminé les proportions des parties dans les cinq ordres d'Architecture. C'eft en conséquence de ces règles, que dans le tofcan la hauteur de la colonne contient fept fois le diamètre de fa bafe, dans le dorique huit fois, neuf dans l'ionique, dix dans le corinthien & dans le compofite autant; que les colonnes ont un renflement depuis leur naiffance jufqu'au tiers du fût; que dans les deux autres tiers, elles diminuent peu à peu en fuyant le chapiteau; que les entrecolonnements font au plus de huit modules, & au moins de trois; que la hauteur des portiques, des arcades, des portes, & des fenêtres eft double de leur largeur. Ces règles, n'étant fondées que fur des obfervations à l'œil & fur des exemples équivoques, font toujours un peu incertaines, & ne font pas tout à fait indifpenfables. Auffi voyons-nous quelquefois que les grands architectes fe mettent au deffus d'elles, y ajoûtent, en rabattent, & en imaginent de nouvelles felon les circonftances. Voilà donc dans les productions des arts, un Beau effenciel, un Beau de création humaine, & un Beau de fyfteme: un Beau effenciel, qui confifte dans l'ordre; un Beau de création humaine, qui confifte dans l'application libre & dépendante de l'artiste des lois de l'ordre, ou pour parler plus clairement, dans le choix de tel ordre: un Beau de fyftême, qui nait des obfervations, & qui donne des variétés même, entre les plus favants artiftes; mais jamais au préjudice du Beau effenciel, qui eft une barrière qu'on ne doit jamais franchir. Hic murus aheneus efto. S'il eft arrivé quelquefois aux grands maîtres de fe laiffer emporter par leur génie au dela de cette barrière, c'est dans les occafions rares où ils ont prévu que cet écart ajoûteroit plus à la Beauté qu'il ne lui ôteroit; mais ils n'en ont pas moins fait une faute qu'on peut leur reprocher. Le Beau arbitraire fe fubdivife, felon le même |