dit la Fontaine. On va plus loin; & on prétend que, plus le cœur est corrompu, & plus les oreilles sont chastes: mais ce n'est qu'une façon ingénieuse de faire la satyre des siècles polis. L'Innocence, il est vrai, n'entend malice à rien, & à ses yeux rien n'a besoin de voile: mais le Monde ne peut pas toujours être innocent & naif, comme dans son enfance; & les fiècles, comme les personnes, peuvent, en s'éclairant, devenir à la fois & plus décents dans le langage & plus sévères dans les mœurs. Quoi qu'il en soit, ce ne fut qu'à l'époque du Cid qu'on parut devenir délicat sur les Bienséances, lorsqu'on fit un crime à Corneille, d'avoir fait paroître Rodrigue dans la maison de Chimène après la mort du comte, & d'avoir fait dominer l'amour dans la conduite qu'elle tient. Ce furent les yeux de l'Envie qui les premiers s'ouvrirent sur cette faute, si c'en est une: ainsi, l'on dut peut-être alors à l'envieuse malignité la réforme de notre théâtre fur l'article des Bienséances, & cette sévérité de goût qui depuis en a fi fort épuré les mœurs. (М. MARMONTEL.) * BLANCS (VERS). Belles-Lettres, Poésie. Dans la Poésie moderne, on appelle Vers blancs des vers non rimés. Plusieurs poètes anglois & allemands se sont affranchis de la rime; mais les allemands ont prétendu y suppléer en coinposant des vers métriques à la manière des latins; les anglois se sont contentés de leur vers tlıythmique, qui est le même que celui des italiens. Le vers peut avoir trois fortes d'agréments qui le diftinguent de la Prose; une harmonie plus sensible, une difficulté de plus qu'on a le mérite de vaincre, & un moyen pour la mémoire de retenir plus aisément la penfee & les mots dont le vers est formé. Le Vers blanc peut être aussi harmonieux que le vers rimé, à la consonnance près, dont l'habitude a fait un plaisir pour l'oreille ; & fi dans les Vers blancs le poète a mis à profit la liberté qu'il s'est donnée pour en mieux assortir les nombres & les fons, le foible plaisir de la rime sera aisément compensé. Mais la difficulté vaincue, & la surprise agréable qu'elle nous cause, surtout lorfque la nécessité de la rime produit une pensée inattendue & heureusement amenée, une expression singulière & juste, & dans l'une ou dans l'autre un tour ingénieux; ce mérite de l'art, qui se renouvelle à chaque instant dans les vers rimés, & qui, par une alternative continuelle, excite & fatisfait la curiofité de l'esprit, & l'impatience de l'oreille, n'existe plus dans les Vers blancs. Ils n'ont pas non plus l'avantage de donner a la mémoire, dans l'unisson des désinences, des points d'appui, & comme des fignaux qui l'empêchent de s'égarer; & à ces deux égards les Vers blancs font inférieurs aux vers rimés. (J'ajoûterai que, dans toutes les langues, les vers les plus difficiles à bien faire-ont été les mieux faits. De tous les vers métriques, l'hexamètre eit celui qui admet le moins de licences; & c'est en hexamètres que sont écrits les plus beaux poèmes anciens. Notre vers de douze syllabes est le plus difficile des vers rhythmiques; & c'est en vers de douze fyllabes que nos plus beaux poèmes sont écrits. La contention de l'esprit en multiplie les forces, la nécessité en accroît les ressources; & le plus grand défaut dont il ait à se préserver, c'est la molleffe & la nonchalance. Or la difficulté de l'expreffion à vaincre à chaque instant, si elle n'est pas désespérante, & fi on a devant foi des hommes de génie qui l'ont vaincue avec grace & noblesse, est un aiguillon qui réveille à chaque instant l'émulation & qui excite la paresse. L'homme qui se sent du talent, preffé d'un côté par le défi que lui donnent l'art & l'exemple, & de l'autre côté par le goût, qui ne lui passe aucune incorrection de style, rien de lâche, rien de diffus, rien d'obscur, & rien de pénible, rassemblera tous les moyens; ceux de la mémoire, pour la recherche des mots & des tours de la langue; ceux de l'imagination, pour le choix des images; ceux de la pensée, pour l'invention de ces idées accessoires qui doivent enrichir le style, en même temps qu'elles viennent remplir les temps & les nombres du vers. Voilà je crois, ce qui se passe dans l'esprit du poète qui travaille sérieusement; & son secret, pour paroître avoir la plume abondante & facile, c'est de plier & de replier son expreffion dans tous les sens, d'en essayer toutes les formes, jusqu'à ce qu'il ait réuni la régularité, la précision, l'élégance, l'harmonie, & le coloris, & que dans les gênes du vers il ait acquis l'aisance de la Prose: c'est ce que Despréaux se vantoit d'avoir appris à Racine, & ce que Racine bien tot sut mieux que Despréaux lui-même; car il s'en faut bien que le travail se cache dans les vers de l'Art poétique, comme dans les vers d'Andromaque, de Bérénice & de Britannicus. Mais, dans ces vers, qui peut calculer toutes les beautés dont la Poésie est redevable à la contrainte de la mesure & de la rime? Dans les fables de la Fontaine, dont le genre a permis un style plus concis & moins artistement lié, c'est un plaifir de voir combien de vers heureux la rime semble avoir fait naître, & avec qu'elle facilité. Par exemple, dans ce récit: Un vieux renard, mais des plus fans, Grand croqueur de poulets, grand preneur de lapins,... Fut enfin au piège attrappé rien ne manquoit au sens; mais il falloit une rime à Queue, & cette rime étoit unique : l'amener étoit une chose très-difficile; & quand on lit le vers qui résout le problême, rien ne paroit plus naturel : Grand croqueur de poulets, grand preneur de lapins, Sentant fon renard d'une lieue.. Dans la fable du Loup berger, que le poète eût Il s'habille en berger, endosse un hoqueton, c'étoit assez: mais Rufe, qui venoit au bout d'un Sans oublier sa cornemuse. Il en est de même de l'hémistiche, comme aussi sa musette, que l'esprit ne demandoit pas, & que la nécessité de la rime & de la mesure a fait trouver : Son chien dormoit aussi, comme aussi sa musette. gêne, que ceux de Virgile ne se ressentent de la nécessité de finir par un dactyle & un spondée.) Au surplus, ce n'est pas pour se donner plus de peine qu'on a voulu se délivrer de la contrainte de la rime; & le soin qu'on auroit mis à la chercher, on ne l'a pas employé à rendre le Vers blanc plus énergique, plus élégant, ou plus harmonieux. Quelque foin même qu'on y employe, il est difficile que cette espèce de vers ait une harmonie afiez marquée, assez chère à l'oreille, aflez supérieure à celle de la bonne Prose, pour compenfer par cela seul le désagrément & la gêne d'une cadence uniforme, dont l'oreille doit se lasser lorfqu'il n'en résulte pour elle nulle autre espèce dé plaifir. La liberté de varier, au gré de la peníée, du sentiment, & de l'image, les nombres, la coupe & le tour périodique du discours, est une chose trop précieuse pour la sacrifier au pur caprice d'aligner les mots sur des mesures qui n'ont pas même le foible mérite d'être égales; & lorsqu'on n'écrit pas en Prose, il faut donner aux vers, en agrément ou en utilité, un avantage que la Prose n'ait De même, dans la fable du Chêne & du Roseau : pas. (M. MARMONTEL.) Tout vous est Aquilon, tout me semble Zéphyr. Dans celle de l'Aigle & de l'Escarbot: C'est mon voisin, c'est mon compère. Dans celle du Chat & du vieux Rat: Même il avoit perdu sa queue à la bataille. Dans celle du Lièvre & de la Perdrix : Miraut, fur leur odeur ayant philosophé. Dans celle des obséques de la Lionne : Les lions n'ont point d'autre temple. Dans celle de l'Ane & du Chien, après ce vers: Point de chardons pourtant: il s'en passa pour l'heure; cette réflexion si plaisante, Il ne faut pas toujours être si délicat. Dans celle de Jupiter & des tonnerres, ce vers de sentiment si simple & si sublime: Tout père frappe à côté. Tout cela, dis-je, peut avoir été inventé, comme le sont les plus grandes choses, par l'occasion & le besoin; & peut-être aucun de ces traits, ni mille autres semblables, ne seroient venus au poète, s'il eut écrit en Prose ou en Vers blancs. On nous dira que, si la rime a valu à la Poéfie quelques rencontres ingénieuses, elle lui a couté bien des sacrifices du côté de la précision & du naturel. J'en conviens, à l'égard des poètes qui ont écrit avec trop de précipitation ou de négligence; mais je répète que, lorsque des hommes de génie & de goût ont écrit avec soin, ils ont parfaitement rempli le précepte de Despréaux; La Rime est une esclave, & ne doit qu'obéir. Les vers de Racine ne se ressentent pas plus de cette BONHEUR, CHANCE. Synonymes. Termes relatifs aux évènements ou aux circonstances qui ont rendu & qui rendent un homme content de son existence. Mais Bonheurest plus général que Chance; il embrasse presque tous ces évènements. Chance n'a guère de rapport qu'à ceux qui dépendent du hasard pur; ou dont la cause, étant tout à fait indépendante de nous, a pu & peut agir tout autrement que nous ne le défirons, sans que nous ayons aucun sujet de nous en plaindre. On peut nuire ou contribuer à son Bonheur : la Chance est hors de notre portée; on ne se rend point chanceux, on l'est ou on ne l'est pas. Un homme qui jouissoit d'une fortune honnête, a pu jouer ou ne pas jouer à pair ou non; mais toutes ses qualités personnelles ne pouvoient pas augmenter sa Chance. (M. DIDEROT.) (N.) BONHEUR, FÉLICITÉ, BÉATITUDE. Synonymes. Ces mots fignifient également un état avantageux & une situation gracieuse. Mais celui de Bonheur marque proprement l'état de la fortune, capable de fournir la matière des plaisirs & de mettre à portée de les prendre. Celui de Félicité exprime particulièrement l'état du cœur, disposé à goûter le plaifir & à le trouver dans ce qu'on possede. Celui de Béatitude, qui est du style mystique, désigne l'état de l'imagination, prèvenue & pleinement fatisfaite des lumières qu'on croit avoir & du genre de vie qu'on a embraffé. Notre Bonheurbrille aux yeux du Public & nous expose souvent à l'envie. Notre Felicité se fait sentir à nous seuls, & nous donne toujours de la fatisfaction. L'idée de la Béatitude s'étend & se perfectionne. au dela de la vie temporelle. ce qui est bon pour le plus grand nombre, est pref que toujours mauvais pour quelqu'un; la disette est le bon temps de l'usurier, dont les greniers sont On est quelquefois dans un état de Bonheur, fans être dans un état de Félicité: la poffession des biens, des honneurs, des amis, & de la fanté, fait le Bonheur de la vie; mais ce qui en fait la Félicité, c'est l'u- | pleins; la bonne année des médecins est une année sage, la jouissance, le sentiment, & le goût de toutes ces choses. Quant à la Béatitude, elle est le partage des dévots: elle dépend, dans chaque religion, de la perfuafion de l'esprit; sans qu'il foit néanmoins besoin, pour cet effet, d'en avoir ni d'en faire usage. Les choses étrangères servent au Bonheur de l'homme; mais il faut qu'il fasse lui-même sa Félicité, & qu'il demande à Dieu la Béatitude. Le premier est pour les riches; la seconde, pour les sages; & la troisième, pour les pauvres d'esprit & les autres à qui elle est promise dans le célèbre sermon sur la montagne. Voyez l'art. précédent & le suivant; & en outre PLAISIR, BONHEUR, FÉLICITÉ. Syn. & FÉLICITÉ, BONHEUR, PROSPÉRITÉ. Syn. (L'abbé GIRARD.) * BONHEUR, PROSPERITE. Syn. Le Bonheur est l'effet du hasard; il arrive inopinément. La Profpérité est le succès de la conduite; elle vient par degrés. Les fous ont quelquefois du Bonheur, les sages ne profpèrent pas toujours. On dit du Bonheur, qu'il est grand; & de la Profpérité qu'elle est rapide. Le premier de ces mots se dit également pour le mal qu'on évite, comme pour le bien qui survient; mais le second n'est d'usage qu'à l'égard du bien que les soins procurent. Le Capitole sauvé de la surprise des gaulois par le chant des oies facrées, & non par la vigilance des sentinelles, est un trait d'histoire plus propre à nontrer le Bonheur des romains qu'à faire honneur à leur commandement militaire en cette occafion; quoique, dans toutes les autres, la sagesse de la conduite ait autant contribué à leur Prospérité que la valeur du soldat. (L'abbé GIRARD.) BONTÉ, f. f. Belles-Lettres, Philof. Il n'y a proprement dans la nature ni dans les arts d'autre Bonté qu'une Bonte' relative, de la cause à l'effet, & de l'effet lui-même à une fin ultérieure, qui eft l'intention, l'utilité, ou l'agrément d'un étre doué de volonté ou capable de jouissance. Quand la Bonté n'est relative qu'à l'intention, ce mot n'est pris que dans un sens impropre, & Bon se trouve quelquefois le synonyme de Mauvais: c'est ainsi qu'une Politique pernicieuse, une Ambition funeste, une Eloquence corruptrice emploie de bons moyens, c'est à dire, des moyens propres à réussir dans les desseins qu'elle se propose. De même, par rapport à l'agrément & à l'utilité, une chose est bonne ou mauvaise, selon les goûts, les intérêts, les fantaisies, les caprices; & dans ce sens, presque tout est bon, les calamités même & les Héaux ont leur Bonté particulière: & au contraire d'épidémie, & vice versa La Bonté, dans un iens plus étroit, est la faculté de produire un effet défirable; & une cause eft plus ou moins généralement bonne, à mesure que son effet est plus ou moins généralement à défirer. Le meme vent qui est bon pour ceux qui voguent du Levant au Couchant, est mauvais pour ceux qui voguent en sens contraire; mais un air pur & fain est ban pour tout le monde. Un être n'est bon en lui-même, que dans ses rapports avec lui-même, & qu'autant qu'il est tel que ton bonheur l'exige; en forte que, s'il n'a pas la faculté de s'appercevoir, & de jouir ou de souffrir de son existence, il n'est en lui-même ni bon ni mauvais. Par la même raison, entre les parties d'un Tout, fi les unes sont douées d'intelligence & de sensibilité & les autres non, celles-ci ne sont bien ou mal, que dans leur rapport avec celleslà; il en est ainsi des parties purement matérielles de l'univers, relativement à ses parties intelligentes & sensibles: ce qui réduit la question de l'optimisme à une grande fimplicité. Dans les arts, on a souvent dit: Tout ce qui plait est bon. Cela est vrai dans un sens étendu, comme on vient de le voir; & dans ce sens-là tous les vins sont bons, celui dont le manant s'enivre, comme celui que savoure l'homme voluptueux, le gourmet délicat. Mais dans un sens plus rigoureux cela seul est réellement bon, qui cause un plaisir salutaire, ou du moins innocent, à l'homme dont l'organe est doué d'une sensibilité fine & juste: je dis un plaisir falutaire ou innocent; car dans le physique ce qui est bon pour l'agrément, peut être mauvais pour la santé; & dans le moral ce qui est bon pour l'esprit, peut être mauvais pour le cœur. Dans la nature, la même cause peut être mauvaise dans son effet immédiat, & excellente dans son effet éloigné, comme une potion amère, une amputation douloureuse. Il n'en est pas de même dans les arts d'agrément: leur effet le plus effenciel est de plaire, & ce n'est que par là qu'ils se rendent utiles; car toute leur puissance est fondée fur leur charme & fur leur attrait. , L'objet immédiat des arts est donc une jouïffance agréable, ou par les commodités de la vie ou par les impressions que reçoivent les sens, ou par les plaisirs de l'esprit & de l'ame; & c'est ici le genre de Bonté qui caractérise les beaux arts. Mais les plaisirs de l'esprit & de l'ame peuvent être trompeurs, comme celui que fait un poison agréable. C'est donc l'innocence de ces plaisirs & plus encore leur utilité, ou, s'il m'est permis de le dire, leur falubrité, qui donne aux moyens de l'art une Bonté réelle. Le plaifir est sans doute une excellente chose; mais le plaisir ne peut être pour l'homme ua un état habituel & constant. Le bonheur, c'est à dire, un état doux & calme, la paix & la tranquillité avec foi-meme & avec les autres, voilà le but universel où doit tendre un être sensible & raisonnable. Les ennemis de ce repos sont les passions & les vices; ses deux génies tutélaires font l'innocence & la vertu: ainfi, le plaisir ne doit être lui-même pour les beaux arts qu'un moyen, & leur fin ultérieure doit être le bonheur de l'homme ; c'est ainsi que la bonté de la Comédie consiste à corriger les vices, & celle de la Tragédie, à intimider les passions & à les réprimer par des exemples effrayants. Voyez MaURS. Ce qu'on doit entendre par la Bonté poétique se trouve par là décidé. Ce qui produit l'effet immédiat que le poète se propose, est poétiquement bon; & toutes les règles de l'art se réduisent à bien choisir & à bien employer les moyens propres à cette fin. Le premier de ces moyens est l'illufion, & par conféquent la vraisemblance; le second est l'attrait, & par conféquent le choix de ce qui peut le mieux intéreffer, attacher, émouvoir, captiver l'esprit, gagner l'ame, dominer l'imagination, produire enfin la forte d'émotion & de délectation que la Poésie a dessein de causer. Dans le gracieux, choisissez ce que la nature a de plus riant; dans le naif, ce qu'elle a de plus simple; dans le pathétique, ce qu'elle a de plus terrible & de plus touchant. Voilà ce qu'on appelle la Bonté poétique. Ainsi, ce qui seroit excellent à sa place, devient mauvais quand il est déplacé. Mais la Bonté morale doit se concilier avec la Bonté poétique; & la Bonté morale n'est pas la Bonté des mœurs qu'on se propose d'imiter. La peinture des plus mauvaises mœurs peut avoir sa Bonté morale, si elle attache à ces mœurs la honte, l'averfion, & le mépris. De même l'imitation des mœurs les plus innocentes & les plus vertueuses seroit mauvaise, si on y jetoit du ridicule, & fi en les aviliffant on vouloit nous en dégoûter. La Boncé morale en Poésie est dans l'utilité attachée à l'imitation; comme dans l'Eloquence elle est dans la juftice de la cause que l'on embrasse, & dans la légitimité des moyens qu'on emploie à perfuader. Ainsi, quand on parle des mœurs théâtrales, par exemple, on ne doit pas confondre les mœurs bonnes en elles-mêmes, & les mœurs bonnes dans leur rapport avec l'effet salutaire qu'on veut produire. Narciffe & Mahomet sont des personnages aussi utilement employés que Burrhus & Zopire, par la raison qu'ils contribuent de même à l'impression salutaire qui résulte de l'action à laquelle ils ont concouru. Tout ce qu'on doit exiger du poète pour que l'imitation ait sa Bonté morale, c'est qu'il fasse craindre de ressembler aux méchants qu'il met sur la scène, & souhaiter de ressembler aux gens de bien qu'il oppose aux méchants. Il y a cependant certains vices qu'il n'est pas permis d'exposer sur le théâtre, parce que leur image blesseroit la pudeur; mais en cela même il GRAMM. ET LITTÉRAT. Tome I. me semble qu'on est devenu trop sévère. En prenant soin de voiler ces vices avec toute la décence convenable, peut-être seroit-il possible de rendre utile, & non dangereux, l'exemple des égarements & des malheurs dont ils font la cause ; & entre l'excès où donnent nos voisins à cet égard & l'excès oppoté, il y auroit un milieu à prendre, qui rendroit la peinture de nos mœurs plus utile, en conservant à la scène françoise sa décence & sa pureté. Voyez DéCENCE, MOURS, & MORALITÉ. (M. MARMONTEL.) * BOUQUET, f. m. Belles-Lettres, Poésie. On nomme ainsi une petite pièce de vers adressée à une personne, le jour de sa fête. C'est le plus souvent un madrigal ou une chanson. Le caractère de cette forte de Poésie est la délicateffe ou la gaieté. La fadeur en est le défaut le plus ordinaire, comme de toute espèce de louange. Les anciens, en célébrant la fête de leurs amis, avoient un avantage que nous n'avons pas : ce jour étoit l'anniversaire de la naissance, & l'on sent bien que c'étoit un beau jour pour l'amour & pour l'amitié; au lieu que parmi nous c'est la fête du faint dont on porte le nom, & il estrare de trouver d'heureux rapports entre le faint & la personne. Cette relation fortuïte, & souvent bizarre, n'a pas laissé de donner lieu, par sa fingularité même, à des comparaisons & à des allusions ingénieuses & piquantes. (Lespersonnages les plus pittoresques font communément les plus poétiques; & sous ces deux rapports Antoine & Madelaine, sont ce que le calendrier a de mieux. Antoine, parmi les poètes, a trouvé un Calot. Madelaine n'a pas trouvé un Le Brun. Elle étoit digne d'occuper la dévotion de Racine. L'imagination grotesque du père Le Moine a dénaturé ce tableau. La grâce & la noblesse dont il étoit susceptible sont indiquées dans ce Bouquet de M. de Voltaire à Mde. L. D. D. B. Votre patrone, au milieu des apôtres, Et faint Jean même en eût été jaloux.) Mais dans un Bouquet on n'est point assujetti à ces fortes de parallèles, & communément on se donne la liberté de louer la personne sans faire mention du saint. Voici, dans ce genre, un foible hommage offert aux grâces, aux talents, & à la beauté. Bouquet présenté à Madame la C. de S. le jour de fainte Adélaïde: Adélaïde Paroît faite exprès pour charmer 5 Adélaïde. ※ Tt D'Adélaïde Ah! que l'empire semble doux! Qu'on me donne un nouvel Alcide, Je gage qu'il file aux genoux D'Adélaïde. D'Adélaïde Fuyez le dangereux accueil: Tous les enchantements d'Armide Sont moins à craindre qu'un coup d'œil D'Adélaïde. ※ Qu'Adélaïde Met d'ame & de goût dans son chant! Aux accents de la voix timide, Chacun dit, Rien n'est si touchant Qu'Adélaïde ※ D'Adélaïde Quand l'Amour eut formé les traits, Ma foi, dit-il, la Cour de Gnide N'a rien de pareil aux attraits D'Adélaïde. Adélaïde, Lui dit-il, ne nous quittons pas: (M. MARMONTEL.) * BOUT, EXTRÉMITÉ, FIN. Synonymes. Ils fignifient toutes trois la dernière des parties qui constituent la chose: avec cette différence, que le mot de Bout, supposant une longueur & une continuïté, représente cette dernière partie comme celle jusqu'où la chose s'étend; que celui d'Extrémité, supposant une situation & un arrangement, l'indique comme celle qui est la plus reculée dans la chose; & que le mot de Fin, supposant un ordre & une suite, la désigne comme celle où la chose cesse. Le Bout répond à un autre Bout; l'Extrémité au centre; & la fin, au commencement. Ainsi, l'on dit le Bout de l'allée, l'Extrémité du royaume, la Fin de la vie. On parcourt une chose d'un Bout à l'autre. On pénètre de ses Extrémités jusques dans son centre. On la suit depuis son origine jusqu'à la Fin. (L'abbé GIRARD.) (N.) BRACHYCATALECTE, BRACHYCA TALECTIQUE. adj. C'est un terme propre à la 1 Poésie grèque & latine. Le mot est composé de βραγὶς, Brevis, & de καλαλεκτίκοs, malè definens; il Ggnifie donc littéralement, termine trop brièvement. Voyez CATALFCTE. On appelloit ainsi les vers auxquels il manquoit un pied, selon les règles ordinaires de la versification métrique. (M. BEAUZÉE.) (N.) BRACHYCHORÉE, adj. mas. pris substant. Il est composé de βρακὺς, brevis, & de χορεῖως (chorée). C'est, dans la Poésiegrèque & latine, le nom d'un pied composé d'une brève & d'un chorée : on le nomme aufli amphibraque. Voyez ce mot (M. BEAUZÉE.) BRACHYGRAPHIE, f. f. Art d'écrire par abréviations. Ce mot est composé de βραχὺς, brevis, & de γράφω, Scribo. Ces abréviations étoient appelées note; & ceux qui en faifoient profeffion, notarii. Gruter nous en a confervé un recueil, qu'il a fait graver à la fin du second tome de ses Inscriptions, Note Tironis ac Seneca. Ce Tiron étoit un affranchi de Cicéron, dont il écrivit l'histoire; il étoit très-habile à écrire en abrégé. Cet art est très-ancien : ces scribes écrivoient plus vite que l'orateur ne parloit; & c'est ce qui a fait dire à David, (Pf xljv.) Lingua mea calamus fcribæ velociter fcribentis; « Ma langue est >> comme la plume d'un écrivain qui écrit vite ». Quelque vite que les paroles soient prononcées, dit Martial, la main de ces scribes sera encore plus prompte; à peine votre langue finit-elle de parler, que leur main a déja tout écrit: Currant verba licet, manus est velocior illis; Vix dum lingua, tuum dextra peregit opus. Manilius, parlant des enfants qui viennent au monde sous le signe de la Vierge, dit: (Aftron. IV. 197.) Hic eft; fcriptor erit velox, cui littera verbum eft, C'est par de semblables expédients, que certains scribes que nous avons eus à Paris, suivoient en écrivant nos plus habiles prédicateurs; & ce fut par ce moyen que parut la première édition des sermons de Maffillon. (M. DU MARSAIS.) (N.) BRACHYLOGIE. f. f. Vice d'élocution, opposé à la perfpicuité, & qui consiste dans une brièveté excessive, où les sousentendus ne sont pas aifés à suppléer: Perse peut en fournir des exemples. Une Élocution concise rejette tout ce qui est superflu, évite les circonlocutions inutiles, & ne fait usage que des termes les plus propres & les plus énergiques: si l'on y ajoûte, on devient diffus; fr l'on en retranche, on tombe dans la Brachylogie: la brièveté laconique alloit souvent jusque là. Brachylogie veut dire discours bref; de βραχὺς |