Images de page
PDF
ePub

proposition semblable, il appelle les éléments particuliers, variables et accidentels, la matière (Materic) de la connaissance, et il a donné le nom de forme (Forme) à l'élément général et fondamental.

Ainsi, il y a dans la connaissance un élément emprunté aux circonstances, et un autre qui n'y est pas emprunté, mais qui s'y ajoute pour fonder la connaissance. La matière de la connaissance nous est fournie par le dehors et par les objets extérieurs; la forme vient de l'intérieur, du sujet même capable de connaître. D'où il suit que la connaissance, qui se distingue en matière et en forme, peut se distinguer aussi en subjective (subject, subjectiv, subjectivitat) et en objective (object, objectiv, objectivitat); connaissance subjective, c'est-àdire qui vient du sujet, de la forme qu'il imprime à la connaissance par le seul fait de son intervention dans la connaissance; et connaissance objective, c'est-à-dire qui vient de l'extérieur, du rapport inévitable du sujet à ses objets.

Dans cette proposition: il faut une cause à l'univers ; il faut une cause, voilà la partie subjective, la forme de la connaissance; l'univers, voilà la partie objective, la matière de la connaissance. La conséquence de cette distinction est de la plus haute importance.

Comme la matière de la connaissance n'entre dans la counaissance réelle que par la forme, de même l'objectif ne nous est connu que dans et par le subjectif : on ne prouve point le principe par l'objet auquel il s'applique; on ne part pas de Dieu, par exemple, pour arriver au principe que tout phénomène a nécessairement une cause:

c'est au contraire le principe de causalité qui nous fait parvenir à l'idée de la cause du monde; d'où il suit que, pour procéder logiquement, il faut partir de la pensée, de la forme, du subjectif, et non de l'objectif et de l'être. Par là se trouve changée la face de la métaphysique, et deux écoles rivales sont à la fois frappées du même coup et convaincues d'un procédé également vicieux, d'un point de départ également hypothétique. Quand on dit qu'il faut partir du monde extérieur pour arriver à l'homme, des sens pour arriver à l'intelligence, ou bien lorsqu'on pose tout d'abord l'existence de Dieu et qu'on en déduit l'homme et le monde, des deux côtés égale erreur. Ni la thèse du sensualisme ni la thèse de la théologie ordinaire ne peuvent se soutenir; car l'une et l'autre vont de la matière à la forme, de l'objet au sujet, de l'être à la pensée, de l'ontologie à la psychologie, tandis que le procédé opposé est le seul qui soit légitime. Ici nous proclamons hautement notre entière adhésion à ces vues simples et fécondes qui dérivent de la méthode d'observation bien entendue. Nous nous flattons qu'un enseignement de cinq années les a solidement établies parmi nous, et sans nous y arrêter davantage, nous poursuivons l'analyse de l'Introduction.

Non-seulement on peut distinguer la connaissance en matérielle et formelle, en objective et subjective; mais on peut aussi la considérer, par rapport à son origine, et rechercher si toutes nos connaissances viennent ou ne viennent pas de l'expérience.

A cette question, Kant répond avec l'esprit de son siècle entier que toutes nos connaissances présuppo

sent l'expérience. On ne peut pas se prononcer plus nettement. << Nul doute, dit-il, que toutes nos connais«sances ne commencent avec l'expérience; car par quoi « la faculté de connaître serait-elle sollicitée à s'exercer, « si ce n'est par les objets qui frappent nos sens, et qui a d'une part produisent en nous des représentations « d'eux-mêmes, et de l'autre mettent en mouvement « notre activité intellectuelle et l'excitent à comparer « ces objets, à les unir ou à les séparer, et à mettre en « œuvre la matière grossière des impressions sensibles « pour en composer cette connaissance des choses que << nous appelons expérience? Nulle connaissance ne pré« cède l'expérience; toutes commencent avec elle. »

Mais Kant distingue entre commencer avec l'expérience et venir de l'expérience (mit, aus).

Toutes nos connaissances présupposent l'expérience, mais l'expérience seule ne suffit pas à les expliquer toutes. Prenons l'exemple déjà employé : un meurtre suppose un meurtrier. Si l'expérience n'avait jamais montré de meurtre, on n'aurait jamais eu l'idée d'un meurtrier; c'est donc l'expérience, et l'expérience seule, qui peut ici avoir fourni la matière de la connaissance. Mais en même temps, la partie formelle et subjective qui s'exprime ainsi: tout changement suppose une cause de changement, cette partie formelle, tout en présupposant l'expérience de tel ou tel changement, surpasse cette expérience. Elle n'a pu commencer sans elle, mais elle ne dérive pas d'elle. L'esprit humain recherche des causes, parce que telle est sa nature, et il les recherche à l'occasion de telle ou telle circonstance.

D'où il suit que cette proposition: un meurtre suppose un meurtrier, et celle-ci qui y est renfermée : tout changement suppose une cause, contient en même temps et quelque chose d'expérimental et quelque chose qui ne vient pas de l'expérience.

Kant appelle connaissances empiriques, ou a posteriori, celles qui non-seulement présupposent l'expérience, mais en dérivent, et il appelle connaissances a priori celles qui, bien qu'elles ne puissent naître sans l'expérience (Erfahrung), n'en dérivent pas, et nous sont données par la seule puissance de l'esprit. Et il ne faut point ici d'équivoque. Je juge, dit Kant, sans en avoir fait l'expérience, que, si on ôte les fondements de cette maison, elle tombera. Ce jugement, il est vrai, a l'air de devancer l'expérience, mais en réalité il la suit; car toute sa force repose, en dernière analyse, sur l'observation que les corps non soutenus tombent. Mais quand je porte cet autre jugement: quelque changement qui puisse jamais arriver, ce changement a nécessairement une cause; non-seulement ce jugement anticipe l'expérience à venir, mais il ne repose sur aucune expérience passée; car l'expérience peut bien montrer que tel changement a telle cause, mais nulle expérience ne peut'enseigner qu'il en est ainsi nécessairement, nulle idée nécessaire ne pouvant venir de l'expérience. Kant remarque avec raison qu'il est impossible de réduire l'idée de nécessité à une habitude née d'une liaison constante: c'est là détruire et non pas expliquer le principe de causalité, qui, pour agir, n'attend pas l'habitude, et intervient dans le premier changement comme dans le centième

pour nous faire affirmer que ce changement ne peut pas ne pas avoir une cause. L'idée de la nécessité ne se forme pas par morceaux et en détail; elle s'introduit pleine et entière dans l'intelligence. Mille et mille généralisations successives ne l'engendrent pas, elle en diffère d'une absolue différence'. Le jugement que tout changement a nécessairement une cause est donc un jugement qui ne repose pas sur l'expérience, c'est un vrai jugement a priori.

Eh bien, même dans les connaissances a priori, ainsi dégagées de toutes les autres, il faut encore distinguer. Il y a d'abord des principes qui sont appelés à juste titre a priori, puisqu'ils n'ont pas leur fondement dans l'observation, mais où se mêle néanmoins un élément que l'observation a donné; tel est ce principe : tout changement a nécessairement une cause. Il ne doit rien à l'expérience, quant à sa certitude, mais il renferme l'idée de changement, à l'occasion de laquelle l'esprit conçoit celle de cause; et cette idée de changement est évidemment empruntée à l'expérience. Le principe de causalité, bien que principe a priori, renferme donc un élément empirique; mais il y a des principes a priori absolument indépendants de toute expérience, et qu'à cause de cela Kant appelle purs (reine); tels sont les principes mathématiques.

Or, s'il est vrai qu'il y ait dans l'intelligence des connaissances pures a priori,fil importe avant tout de recher

1 Sur le principe nécessaire de causalité, voyez DU VRai, du Beau et du Bien, ne leçon, p. 45, etc.

« PrécédentContinuer »