-affections et est allé pour elles mourir en exil, à Turin (1544). A sa suite, on peut ranger un bon nombre de versificateurs qui remplirent du bruit de leurs rimes les deux premiers tiers du seizième siècle, mais dont aucun ne s'éleva au-dessus d'une pâle médiocrité Mellin de Saint-Gelais, né à Angoulême (1494-4558), et neveu d'Octavien; Estienne Dolet (1509-4546), plus connu comme savant que comme poëte, et célèbre surtout par la mort qu'il subit, comme protestant, sur les bûchers de la place Maubert; Victor Brodeau, mort en 4540, ami particulier de Marot, valet de chambre, comme lui, de François Ier, et auteur de beaucoup de vers chrétiens; la Borderie, que Marot appelait son mignon; François de Sagon, pédant de Sorbonne, qui, au contraire, l'attaqua; Antoine Heroët, auteur du poëme moral intitulé la Parfaite Amye; Charles Fontaine; Paul Angier; Gilles d'Aurigny; une dame lyonnaise appelée Louise Labé; Maurice Scève, également de Lyon, auteur d'un long poëme d'amour intitulé Délie; Thomas Sébilet, qui publia, en 4548, un Art poétique; et cent autres parmi lesquels il faut pourtant distinguer, à cause de son rang, la sœur de François Ier. Marguerite d'Alençon (4492-4549), appelée Marguerite de Navarre après son mariage avec Henri d'Albret, ne se contenta pas des titres de théologienne et de savante (voy. p. 42); elle composa, outre ses ouvrages en prose, des rondeaux, des dizains, des chansons, des pièces de théâtre, ou du moins des mystères, farces et moralités; des poëmes sacrés, comme « le Miroir de l'âme pécheresse », et des poèmes païens, comme « l'Histoire des satyres et des nymphes de Diane. » Sa fille, Jeanne d'Albret, la mère de Henri IV, hérita de ce goût littéraire; on a d'elle quelques sonnets. François Ier lui-même mérite amplement d'ètre associé aux poëtes de son temps; il a laissé un assez grand nombre de vers pour qu'on en ait publié récemment un volume in-4o. Nous aurons, plus loin, l'occasion d'en citer quelques-uns de Charles IX. Presque tout le monde connaît ceux que la mélancolie inspirait à Marie Stuart, lorsqu'en 1550 elle traversait la Manche et voguait vers les lieux où l'on devait un jour la faire monter sur l'échafaud: Adieu, plaisant pays de France, O ma patrie La plus chérie, Qui a nourri ma jeune enfance! N'a cy de moi que la moitié; Une part te reste, elle est tienne; Je la fie à ton amitié Pour que de l'autre il te souvienne. Rarement l'on trouve autant de grâce dans les vers tracés de main royale. Mais les tentatives en ce genre, même les moins heureuses, sont toujours d'un bon augure pour les muses. Il y eut plus de poëtes en France au seizième siècle, et de plus mé diocres, qu'à aucune autre époque. Le goût du savoir et du bel esprit fermentait dans tous les rangs, sans que les vraies conditions de l'art fussent encore bien démélées, sans même que l'on fût d'accord sur les règles du langage et la valeur des mots. L'idée mème de poésie ne s'était pas encore dégagée nettement dans la pure atmosphère qui lui convient. Ce fut seulement au dix-septième siècle, lorsqu'on eut goûté des chefs-d'œuvre littéraires, que l'on sentit la distance qui sépare le talent de la faculté banale de rimer. Au seizième, la limite était flottante entre la science et l'art. Chacun rimait, et l'on est étonné, en lisant, par exemple, le Journal de Lestoile, de la place que les vers, et les latins aussi souvent que les français, prenaient alors dans la vie publique. Il ne se passait nulle part de petit événement qui ne fournît le sujet d'une pluie de rimes courant de main en main par la ville et la campagne. On croyait pouvoir faire des vers comme de la jurisprudence ou de la théologie, et s'éveiller poëte une fois qu'on possédait la mesure et la rime. La connaissance des langues anciennes pouvait, à cet égard, tromper les plus habiles. On pouvait, comme on peut encore, composer sans grand talent d'assez bons vers latins (ou grecs; la prosodie grecque offre encore plus de facilité), parce qu'alors l'écrivain, guidé d'ailleurs par des modèles excellents, était soutenu par une langue admirable et irrévocablement fixée. Bien loin de là, pour écrire des vers français qui ne fussent pas les éternelles redites des troubadours, il fallait créer beaucoup, chercher le tour nouveau à donner au style, forger des mots, reprendre avec un instrument devenu plus souple les nobles tentatives de la poésie sérieuse et grande du treizième siècle, rompre enfin avec les fadaises de « l'art d'amourette. » Il fallait quelque chose de plus encore, que nous explique la fortune singulière de Ronsard, qui fut le poëte et le novateur le plus célèbre du siècle de la renaissance, que ses contemporains placèrent de son vivant même sur un piedestal, en compagnie d'Homère et de Virgile, et qui, dans le cours du siècle suivant, fut voué au ridicule par l'école de Boileau. Il lui manqua ce qu'il n'était pas en lui d'obtenir, l'assistance du goût public, qui n'était pas encore formé, et auquel il fallait du temps pour peser des œuvres nouvelles, pour consacrer les hardiesses heureuses et rejeter celles que l'esprit français n'acceptait pas. Pierre de Ronsard était fils d'un petit gentilhomme du Vendômois, et faisait remonter sa généalogie à un marquis hongrois établi en France au milieu du quatorzième siècle. Il a pris soin d'inscrire lui-même dans ses vers qu'il naquit le samedi 14 septembre 1524, année du désastre de Pavie (d'après l'ancienne manière de compter les années d'une pâque à l'autre); et, suivant ses anciens biographes, on pouvait douter « si la France, par la captivité malheureuse d'un grand prince, eust un plus grand dommage, ou un plus grand ་་ bien par l'heureuse naissance de ce grand poëte. » A l'âge de neuf ans, après qu'il eut fait six mois d'études à Paris, on le mit comme page chez le duc d'Orléans, troisième fils de François Ier. Peu de temps après, il devint page de Jacques, roi d'Écosse, qui était venu en France épouser Marie de Lorraine, et le suivit dans son royaume. Il y resta trois ans, et ce fut là qu'il prit le premier sentiment de la poésie auprès d'un seigneur de la cour de Jacques, qui se plaisait à développer l'âme de cet enfant intelligent et de bonne mine en lui faisant comprendre les beautés de la littérature antique. Il rentra ensuite dans la maison du duc d'Orléans, fit pour lui divers voyages dans le Nord, puis suivit en Allemagne Lazare de Baïf, et en Piémont du Bellay de Langey, ambassadeurs de François Ier. Une infirmité interrompit sa carrière; il devint presque sourd avant d'avoir atteint vingt ans. Aussitôt sa résolution fut prise. Il revint à Paris pour se livrer entièrement à l'étude, et s'enferma dans la maison d'un professeur célèbre, Jean Dorat, chez lequel se trouvait Jean-Antoine de Baïf, fils de Lazare (1544). Il y demeura sept années plongé dans des études profondes, entre son maître et les jeunes lettrés qui fréquentaient sa demeure. « Ronsard, ayant esté nourry jeune à la cour et dans l'habitude de veiller tard, demeuroit au cabinet, sur ses livres, jusques à deux ou trois heures après minuit, et, en se couchant, il réveilloit le jeune Baïf, qui, se levant et prenant la chandelle, ne laissoit pas refroidir la place. » (Colletet.) Parmi les jeunes érudits qui composaient le cénacle assemblé autour de Dorat se trouvait Joachim du Bellay (4525-4560), parent de l'ambassadeur, et dévoré comme Ronsard de l'amour des lettres. Tous deux n'étaient pas plus admirateurs des anciens que leurs amis; mais ils souffraient davantage de l'infériorité de leur langue maternelle, qui, dans sa forme la plus élevée, la forme métrique, ne pouvait produire que de banales chansonnettes. Ils conçurent l'ambitieux projet de s'inspirer des œuvres latines et grecques, et de se les assimiler assez pour en faire passer toutes les beautés dans la langue française, dussent-ils refondre celle-ci ou créer un idiome nouveau que les savants seuls auraient compris. « Dès qu'il vint à considérer (dit son dernier panégyriste, l'académicien Colletet; 4648) que les muses françoises jusques auparavant lui n'avoient jamais eu la hardiesse ny la force de s'eslever jusqu'au ciel; que tous ceux qui avoient escrit jusques à son temps n'avoient eu que des sentiments fort bas, avec des rymes simples et populaires, il cust le courage d'employer le premier toutes les grâces et les beautez qui rendent la poésie grecque et latine si florissante, et d'en orner nostre langage, de le fortifier de leurs belles doctes inventions, d'imaginer avec eux de nouveaux mots, de réparer les vides, comme il s'en glorifie si justement luy-mesme » : Je vy que des François le langage trop bas Se traisnoit sans vertu, sans ordre ny compas; Le François fust égal aux Romains et aux Grecs. Plus ou moins obscurément, chacun avait quelque chose du même amour pour l'idiome national. François Ier avait été au-devant des voeux de toute la magistrature en bannissant le latin de l'usage des tribunaux (4). La langue française bouillonnait d'une secrète fermentation. Joachim du Bellay prit le premier la parole sur ce sujet en publiant un chaleureux écrit qu'il intitula la Défense et Illustration de la langue françoise (1549). « Je ne puis assez blåmer, dit-il, la sotte arrogance et témérité d'aucuns de notre nation qui déprisent et rejètent d'un sourcil plus que stoïque toutes choses écrites en françois. Si nostre langue n'est si copieuse et riche que la grèque ou latine, cela ne doit estre imputé au défaut d'icelle, comme si d'elle-mesme elle ne pouvoit jamais estre sinon pauvre et stérile; mais bien on le doit attribuer à l'ignorance de nos majeurs (ancêtres), qui, ayans en plus grande recommandation le bien faire que le bien dire, et mieux aymans laisser à leur postérité les exemples de vertu que les préceptes, nous ont laissé notre langue si pauvre et nue qu'elle a besoing des ornements, et, s'il faut ainsi parler, des plumes d'autruy. Mais qui voudroit dire que la grèque et la romaine eussent toujours été en l'excellence qu'on les a vues du tems d'Homère et de Virgile? Ainsi puys-je dire de nostre langue, qui commence encores à fleurir sans fructifier, ou plustost, comme une plante et vergette, n'a point encores fleury, tant se fault qu'elle ait apporté tout le fruit qu'elle pourroit bien produyre. Le tems viendra peut-estre, et je l'espère moyennant la bonne destinée françoise, que ce noble et puissant royaume obtiendra à son tour les resnes de la monarchie, et que notre langue sortira de terre et s'élèvera en telle hauteur et grosseur qu'elle se pourra égaler aux mesmes Grecz et Romains, pro (') Ordonnance rendue à Villers-Costerets, au mois d'août 1539 « Art. 110. Et afin qu'il n'y ait cause de douter sur l'intelligence des arrests, ordonnons qu'ils soient faits et escrits si clairement qu'il n'y ait, ne puisse avoir aucune ambiguïté ou incertitude, ne lieu à demander interprétation. Art. 111. Et pourceque telles choses sont souventes fois advenues sur l'intelligence des mots latins contenus esdits arrests, nous voulons d'ores-en-avant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, soit de nos cours souveraines ou autres subalternes et inférieures, soient prononcez, enregistrez et delivrez aux parties en langage maternel françois, et non autrement. » — C'est la même ordonnance (art. 50 à 53) où est émise la première idée de nos Actes de l'état civil, dans l'injonction faite aux curés d'enregistrer exactement les décès et les baptêmes célébrés en leurs églises, et de déposer chaque année leurs registres au greffe du bailliage le plus voisin. duysant comme eux des Homères, Démosthènes, Virgiles et Cicérons, aussi bien que la France a quelquefois produit des Périclès, Alcibiades, Thémistocles, Césars et Scipions. >> L'auteur, à qui nous rendons le service d'abréger ses périodes verbeuses, continue en s'inquiétant plus particulièrement de la langue poétique : « Quand à moy, si j'étoy enquis de ce que me semble de nos meilleurs poëtes françoys, je respondroy qu'ilz ont bien écrit, qu'ilz ont illustré notre langue, que la France leur est obligée; mais aussi diroy-je bien qu'on pourroit trouver en notre langue, si quelque savant homme y vouloit mettre la main, une forme de poésie beaucoup plus exquise, laquelle il faudroit chercher en ces vieux Grecz et Latins, non point ès aucteurs françoys, poureequ'en ceux-ci on ne sçauroit prendre que bien peu, comme la peau et la couleur; en ceux-là on peut prendre la chair, les oz, les nerfs et le sang. Et si quelqu'un mal aysé à contenter ne vouloit prendre ces raisons en payement, je diray qu'aux autres ars et sciences la médiocrité peut mériter quelque louange; mais aux poètes, ny les dieux ny les hommes n'ont point concédé estre médiocres, suyvant l'opinion d'Horace. Lis donques et relis premièrement, ô poëte futur! feuillette de main nocturne et journelle les exemplaires grecz et latins, puis me laisse toutes ces vieilles poësies françoyses aux jeuz Floraux de Thoulouze, au Puy de Rouen, comme rondeaux, ballades, vyrelaiz, chantz royaulx, chansons et autres telles épiceries qui corrumpent le goust de nostre langue. Jète-toi aux plaisans épigrammes, à l'immitation d'un Martial ou de quelque autre bien approuvé; si la lascivité ne te plaist, mêle le profitable avecques le doulz. Distile avecques un style coulant et non scabreux ces pitoyables élégies, à l'exemple d'un Ovide, d'un Tibule et d'un Properce, y entremeslant quelquesfois de ces fables anciennes, non petit ornement de poësie. Chante-moy ces odes, incongnues encore de la muse françoyse, d'un luth bien accordé au son de la lyre grèque ou romaine, et qu'il n'y ait vers où n'apparoisse quelque vestige de rare et antique érudition. Quand aux épistres, ce n'est poëme qui puisse grandement enrichir nostre vulgaire, pource qu'elles sont voluntiers de choses familières et domestiques. Autant te dy-je des satyres, que les Françoys, je ne sçay comment, ont appelées coqz à l'asne; es quelz je te conseille aussi peu t'exercer, comme je te veux estre aliéné de mal dire si tu ne voulois, à l'exemple des anciens, soubz le nom de satyre et non de cette inepte appellation de coq à l'asne, taxer modestement les vices de ton tems et pardonner aux noms des personnes vicieuses. Sonne-moy ces beaux sonuets, non moins docté que plaisante invention. Chante-moy d'une musette bien résonnante et d'une fluste bien jointe ces plaisantes ecclogues rustiques, à l'exemple de Théocrite et de Virgile. » Quand aux comédies et tragédies, si les roys et les républiques les vouloient restituer en leur ancienne dignité, qu'ont usurpée les farces et moralitez (4), je seroy bien d'opinion que tu t'y employasses; et si tu le veux faire pour l'ornement de ta langue, tu sçais où tu en dois trouver les archétypes. Donques, ô toi qui, doué d'une excellente félicité de nature, instruict de tous bons ars et sciences, non ignorant des parties et offices de la vie humaine, non de trop haulte condition, non aussi abject et pauvre, non troublé d'afaires domestiques, mais en repos et tranquilité d'esprit, ô toy, dy-je, orné de tant de grâces et perfections, si tu as quelquefois pitié de ton pauvre langaige, si tu daignes l'enrichir de tes thrésors, ce sera toy véritablement qui luy feras hausser la teste, et d'un brave sourcil s'égaler aux superbes langues des anciens. Comme Arioste, qui a bien voulu emprunter de nostre langue les noms et l'hystoire de son poëme, choysi-moi quelque un de ces beaux vieulx romans françoys, comme un Lancelot, un Tristan ou autres, et en fay renaistre au monde une admirable Iliade et laborieuse Énéide. Je veux bien en passant dire un mot à ceulx qui ne s'employent qu'à orner et amplifier nos romans, et en font des livres, certainement en beau et fluide langaige, mais beaucoup plus propre à bien entretenir damoizelles qu'à doctement écrire; je voudroy bien, dy-je, les avertir d'employer ceste grande éloquence à recueillir ces fragmentz de vieilles chroniques françoyses, et, comme a fait Tite-Live des annales et autres anciennes chroniques romaines, en bâtir le cors entier d'une belle histoire. Tel œuvre, certainement, seroit à leur immortelle gloire, honneur de la France et grande illustration de nostre langue. » Et le jeune orateur terminait ainsi son plaidoyer rempli d'une éloquence véritable: «Or sommesnous, la grâce à Dieu, par beaucoup de perilz et de flots étrangers, renduz au port à seureté. Nous avons échappé du millieu des Grecz, et par les scadrons romains pénétré jusques au sein de la tant désirée France. Là doncques, Françoys, marchez couraigeusement vers cette superbe cité romaine, et des serves dépouilles d'elle (comme vous avez fait plus d'une fois), ornez vos temples et autelz. Ne craignez plus ces oyes cryardes, ce fier Manlie et ce traître Camile, qui, soubz umbre de bonne foy, vous surprenne tous nudz, comptans la rançon du Capitole. Donnez en cette Grèce menteresse et y semez encor un coup la fameuse nation des GalloGrecz. Pillez-moi sans conscience les sacrez thresors de ce temple delphique, ainsi que vous avez fait autrefoys, et ne craignez plus ce muet Apollon, ses faulx oracles, ny ses flesches rebouchées. Vous souvienne de votre ancienne Marseille, secondes Athènes, et de votre Hercule gallique, tirant les peuples après luy, par leurs oreilles, avecques une chaîne attachée à sa langue! »> (') Il écrivait lorsque les confrères de la Passion exerçaient encore leur monopole. : Elle t'en faict le maître, et te faict introduire Où le plus fier tyran n'a jamais eu d'empire. On voit de quelle hauteur les disciples de Ronsard avaient dépassé l'école de Marot. Le maître mourut en 1585, ayant conservé jusqu'à son dernier jour la possession entière de sa grande re Joignant l'exemple au précepte, du Bellay publia presque en même temps un volume de poésies (1549). Ronsard parut à son tour, et la fraîcheur, la noblesse, l'éclat de ses vers, excitèrent l'enthousiasme d'un bout de la France à l'autre. Il débuta par ses Odes, publiées en 4550, qui furent suivies, en 1552 et 4555, de deux recueils d'élégies, de sonnets et de madrigaux, sous le titre d'Amours, puis de la Franciade, poëme épique, composé par ordre de Charles IX, sur le modèle de l'Énéide, à la gloire des anciens rois et héros de la France, mais dont l'auteur n'acheva que les quatre premiers livres. Vinrent ensuite son Bocage royal, recueil de vers de circonstance composés à la louange de divers princes du temps; ses Eglogues; ses Mascarades, combats et cartels; ses Élégies, ses Hymnes, ses deux livres de Poëmes, ses Sonnets, ses Gaietés, ses Épitaphes. En 4567, il donna une édition de ses œuvres en quatre volumes in-4°. A l'exception du théâtre, il aborda tous les genres, et, dans tous, il apporta ce parfum d'imitation grecque ou latine dont les contemporains s'enivraient, avec ses propres défauts dont ils ne s'apercevaient pas les emprunts hasardés, les mots criards, l'enflure prise pour majesté. Les hommes les plus graves et les plus illustres du siècle, le chancelier de l'Hospital, le cardinal du Perron, J.-C. Scaliger, Passerat, Estienne Pasquier, Montaigne, déclaraient la poésie française arrivée à sa perfection entre les mains de Ronsard; l'historien de Thou était de ceux qui se consolaient de la défaite de Pavie en songeant à sa naissance; le Tasse, étant à la cour de France, en 4574, s'empressa de lui lire et de lui soumettre quelques chants de sa Jérusalem délivrée, qui vit le jour quatre ans après. Les savants publiaient des commentaires sur ses œuvres; on les étudiait non-seulement en France, mais dans les écoles françaises de l'Angleterre et de l'Allemagne. L'Académie des jeux Floraux de Toulouse, trouvant son églantine annuelle un trop modeste hommage pour un si grand talent, lui décerna une Minerve d'argent massif, et le proclama, au Capitole, le « poëte français » par excellence. Les souverains étrangers s'associaient eux-mêmes à ces louanges: la reine Élisabeth lui fit don d'un diamant de grand prix; Marie Stuart, du fond de sa prison, lui envoya un Parnasse d'argent avec une inscription sur laquelle il était surnommé « l'Apollon »; enfin, Charles IX lui fit le plus beau et le plus délicat des présents en composant pour lui ces vers : L'art de faire les vers, deust-on s'en indigner, Te soubmet les esprits dont je n'ay que les corps; Og. EMANHN® Ronsard. Gravure du temps (1). nommée et du respect universel. Cependant, quinze ans après, le cardinal du Perron, auquel Henri IV reprochait d'avoir abandonné la poésie, lui répondit qu'il n'osait plus faire des vers depuis qu'il avait vu ceux d'un gentilhomme de Normandie nommé Malherbe. Ce poëte nouveau, bien inférieur à Ronsard du côté de l'imagination, lui porta les premiers coups par la pureté de son goût un peu sec, et par sa sévérité de grammairien. Un jour, feuilletant chez un ami les poésies de Ronsard, il en effaça la moitié, en écrivant les raisons en marge, et son commentaire prouve qu'il n'avait pas toujours compris le texte. Quelqu'un lui ayant fait observer qu'il passerait un jour pour avoir approuvé les vers sur lesquels il n'avait rien dit, il prit une plume et biffa tout le reste. La postérité n'a pas ratifié ce jugement un peu barbare; tout au plus accepte-t-elle aujourd'hui la sentence mieux motivée d'un excellent littérateur, postérieur de peu d'années à Malherbe, Louis de Balzac (4596-4655), qui disait : « Ce poëte si célèbre et si admiré a ses défauts et ceux de son temps; ce n'est pas un poëte entier, c'est le commencement et la matière d'un poëte. On voit dans ses œuvres des parties naissantes et à demi animées d'un corps () Voy. notamment rédition des œuvres de Ronsard publiée à Paris, en 1597, chez la veuve Gabriel Buon. qui se forme et qui se fait, mais qui n'a garde d'être achevé. C'est une grande source, il le faut avouer; mais c'est une source trouble et boueuse, une source où non-seulement il y a moins d'eau que de limon, mais où l'ordure empêche de couler l'eau de l'imagination, de la facilité, mais peu d'ordre, peu d'économie, peu de choix, une audace insupportable, une licence prodigieuse. » Ronsard nous semble valoir mieux encore si l'on s'arrête moins au choix parfait des expressions (son temps ne pouvait l'avoir) qu'au fond des pensées et à l'inspiration poétique. Nous donnerons seulement deux pièces, prises sans trop choisir dans le recueil de ses œuvres. La première est un dialogue entre les Muses et le poëte: RONSARD. Pour avoir trop aymé vostre bande inégale, Le chef grison et chauve, et je n'ay que trente ans ! MUSES. Au nocher qui sans cesse erre sur la marine Le teint noir appartient; le soldat n'est point beau Sans estre tout poudreux. Qui courbe la poitrine Sur nos livres, est laid s'il n'a pasle la peau. RONSARD. Mais quelle récompense aurai-je de tant suivre MUSES. Vous aurez, en vivant, une fameuse gloire; RONSARD. O le gentil loyer! Que sert au vieil Homère, MUSES. Vous estes abusé : le corps, dessous la lame (1), - RONSARD. Bien! je vous suyvray donc d'une face plaisante, MUSES. Vela saigement dit. Ceux dont la fantaisie Sera religieuse et dévote envers Dieu, Tousjours achèveront quelque grand' poésie, Et dessus leur renom la Parque n'aura lieu. Ce grave et fier langage n'était-il pas, en effet, tout nouveau dans la poésie française depuis la chanson de Roland? Et trouverait-on parmi toutes les œuvres, quelquefois charmantes, des poëtes légers qui avaient précédé Ronsard ou même de (*) La dalle du tombeau. (*) Aussi, peu lui importe. ceux qui le suivirent, un morceau plus aimable et plus frais que celui-ci : Mignonne, allons voir si la rose, Las! voyez comme en peu d'espace, Done, si vous me croyez, Mignonne, «Malherbe a-t-il bien osé biffer de tels vers, et Boileau les avait-il lus?» Cette exclamation légèrement colère, et si juste, est échappée à la plume délicate et toujours tempérée d'un écrivain de nos jours, M. Sainte-Beuve, qui a beaucoup fait pour rendre à Ronsard ce qui lui est dû de sa gloire. Boileau l'accusait de parler grec et latin en français; cependant la plupart de ses vers sont d'aussi bon français que ceux qu'on vient de lire : « Mes enfants, disait-il aux jeunes gens qui l'écoutaient comme l'oracle, deffendez vostre mère de ceux qui veulent faire servante une damoiselle de bonne maison. Il y a des vocables, qui sont françois naturels, qui sentent le vieux, mais le libre et le françois, comme tenue, empour, dorne, bouger, et autres de telle sorte. Je vous recommande par testament que vous ne laissiez perdre ces vieux termes, que vous les emploicz et deffendiez hardiment contre des maraux qui ne tiennent pas élégant ce qui n'est escorché du latin et de l'italien, et qui aiment mieux dire collauder, contemner, blasonner, que louer, mespriser, blâmer. » (D'Aubigné.) Au temps où florissait, sous la domination des Ptolémées, l'école d'Alexandrie, les Grecs avaient imaginé pour quelques poëtes contemporains qui leur étaient chers de les comparer à un groupe d'étoiles, et de les nommer la Pléiade, car ils étaient sept, comme les étoiles qui forment cette constellation. Il fallait leur Pléiade aussi aux lettrés de la renaissance. Ronsard en était l'astre le plus brillant; Joachim du Bellay occupait incontestablement la seconde place. Par déférence, Jean Dorat, leur maître, fut placé à leur tête, quoiqu'il n'écrivit qu'en grec et en latin; puis Baïf (Jacq.Antoine), Jodelle (né à Paris; 4532-4573), Remi Belleau (né à Nogent-le-Rotrou ; 4528-4577), et la septième place restait comme indécise entre plusieurs, au premier rang desquels étaient le Bourguignon Pontus de Thiard (1521-1603), et le Cham |