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ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1614. - NOUVELLES RÉVOLTES DES
SEIGNEURS. MORT DE CONCINI.

neuf ans, humble encore, longtemps pauvre et « bien fàché » de l'ètre; qui, du fond de son évêché de Luçon, le plus misérable « et le plus crotté » de France, avait eu tout loisir de méditer sur les affaires publiques'; à peine connu par quelques sermons, et qui tout à coup se trouvait placé en pleine lumière, et y inscrivait pour la première fois un nom qui devait briller d'un éclat ineffacable: Armand Duplessis de Richelieu. Le cahier de la noblesse, dont vingt-quatre articles étaient communs à celui du clergé, était présenté par M. de Sénecé. Miron, orateur du Tiers, eut d'assez

Les États généraux se réunirent, non à Sens, comme on l'avait annoncé, mais à Paris. Les princes avaient fait offrir sous main à la reine mère d'en retarder à son gré la convocation, et qu'ils ne les réclameraient pas; mais Marie de Médicis vit le piége et un prétexte tout trouvé à de futures que- | relles: elle n'en fut que plus scrupuleuse à tenir ❘ sa promesse. L'assemblée s'ouvrit le 14 octobre. On y comptait 465 députés, dont 440 pour le

clergé, 432 pour la noblesse, 193 pour le tiers | fières paroles er rappelant au roi la nécessité des

état, ces derniers, pour la plupart, choisis dans
la magistrature. Dès les premières heures, la con-
fusion de rivalités mesquines ou le ressouvenir des
vieux griefs entre les ordres firent assez présager |
l'impuissance future. Savaron, lieutenant général |
et député de la sénéchaussée de Clermont, parlant
au nom de tous dans le comité des nobles, réclama
la suppression des pensions, en rappelant le temps
où nos aïeux les Francs « s'affranchirent des exac-
tions romaines. » Le Tiers, loin de le désavouer, fit
répondre aux plaintes de la noblesse, par le lieu-
tenant civil de Mesmes, qu'il n'y avait en France
qu'une seule famille, dont le clergé était aîné, la
noblesse puînée, le tiers cadet, « mais qu'où bien
souvent les aînés ravaloient les maisons, les ca-
dets les relevoient et les portoient au point de la
gloire. » Les récriminations reprirent avec plus
d'aigreur, et le baron de Sénecé, se plaignant au
roi: En quelle misérable condition sommes-nous
tombés, si cette parole est véritable! Faites-les
mettre, Sire, en leur devoir, et reconnoître ce que
nous sommes et la différence qu'il y a entre eux
et nous. » Ses collègues allaient plus loin, et pré-
tendaient traiter de maître à valet avec la roture.
Une des principales luttes s'engagea sur le terrain
du premier article que le Tiers inscrivait en tête
de son cahier, comme loi fondamentale, proclamant,
contre le clergé et la noblesse, l'inviolabilité des
rois et l'indépendance de la couronne. Les cla-
meurs furent si fortes que le roi dut évoquer à lui
l'article et défendre de l'insérer, s'en réservant
l'examen. On l'y inséra pourtant, sous figure d'ex-
primer cette réserve. Les divisions intestines de
l'assemblée allaient ainsi croissant et gagnaient la
rue. Des rixes journalières éclataient aux portes.
Un sieur de Chavailles faillit être assommé par le
sieur de Bonneval; le Tiers tout entier prit parti
pour l'outragé, et le Parlement, saisi de l'affaire,
condamna l'assaillant à mort par contumace. A
travers ce tumulte de haines et de malentendus,
les cahiers des trois ordres se trouvèrent prêts, et
furent remis au roi le 23 février 4645. Celui du

réformes intérieures : « Il est à craindre que le désespoir ne fasse connoître au peuple que le soldat n'est autre chose qu'un paysan portant les armes, et que quand le vigneron aura pris l'arquebuse, d'enclume qu'il est, il ne devienne marteau. » Le lendemain, les députés trouvèrent porte close, et ordre du roi de se disperser. L'indignation fut au comble; mais il n'y eut pas de serment du jeu de paume. Les cahiers au moins restaient, demandant l'égale répartition des charges publiques, l'inscription des clercs et des gentilshommes aux rôles des impositions municipales, la suppression des offices inutiles, la destruction des priviléges et du servage, la liberté du commerce intérieur, la démolition des forteresses, l'interdiction pour les communautés d'acquérir des immeubles non attenants à la maison commune et sans autorisation du Parlement, la périodicité décennale des États. Le 24 mars, le roi promit aux présidents des bureaux des trois ordres la suppression des pensions nobles et de la vénalité des charges. Ce fut tout. L'heure n'était pas venue où les représentants de ces saines idées de liberté et d'égalité, soutenus cette fois par la conscience d'une nation vivante, devaient prendre à cœur leur tâche, et, coûte que coûte, tracer leur généreux sillon. Près de deux siècles n'ont suffi qu'à peine à préparer la semence; et combien de temps nous faudra-t-il attendre encore avant d'y récolter à plein champ la moisson!

Néanmoins, dès les premiers jours, les plaintes éclatèrent, traduites de toutes parts en libelles sanglants et désespérés. Le Parlement, qui semblait décidé à jouer un rôle actif, convoqua, le 28 mars, quatre jours après la déclaration royale, une assemblée des pairs et des princes, « pour aviser au soulagement du peuple », et, le 22 mai, lut tout au long devant le roi de vives remontrances, où il reprenait hardiment les propositions abandonnées des États. Un arrêt du conseil cassa la décision du Parlement, qui refusa d'enregistrer l'arrêt; mais il prévit la portée de la lutte, justifia ses

clergé était présenté par un jeune homme de vingt- | intentions, et, sans céder, s'arrêta à temps juste

1. Louis XIII. 2, Marie de Médicis. 3, Monsieur. -4, le chancelier. - 5, le grand maître.
pairs, cardinaux. - 8, secrétaires d'État. 9, orateur du clergé. 10, orateur de la noblesse.
12, maître des cérémonies. 13, députés du clergé.
d'armes de France.

Vis-à-vis, députés de la noblesse.

6, princes du sang. - 7, 7, ducs, 11, orateur du tiers état.

11, députés du tius flat. Hérauts soa.

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Le double Mariage de Louis XIII avec Anne d'Autriche, et de Philippe d'Autriche avec Élisabeth de France. Estampe du temps éditée par Nicolas de Mathoniere.

mais divisés encore et impuissants mème à fermer la route d'Espagne. Le 10 septembre 1645, le roi déclara Condé et ses adhérents criminels de lèsemajesté, et se mit en marche avec toute la cour pour Bordeaux. Il fallut des armées pour protéger le cortége royal et assurer l'échange des princesses, qui se fit le 9 novembre, à Andaye, sur la Bidas

Guise, qui avait été chargé de conduire Élisabeth de France à la frontière, ramena Anne d'Autriche, « majeure de quatorze ans », à Bordeaux, où le mariage du roi fut célébré, le 25 novembre, dans la cathédrale, par l'évêque de Saintes. Les troupes de Condé et de Rohan n'avaient pu que suivre de loin, pillant et saccageant tout sur leur passage. Le roi était de retour à Tours à la fin

de janvier 1616, sous la double escorte de Guise | de supprimer immédiatement la vénalité et les

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Tableau mis sur la porte Saint-Jacques, à Paris, pour la réception de Louis XIII et d'Anne d'Autriche.
Composé par Loys Bobrun, peintre. (Collection Hennin.)

comptes de l'épargne. » A ces dernières prétentions, la reine hésitait; mais Villeroy consulté lui dit: Je vous conseille aussi de lui accorder sans regret ni dispute. Vous ne devez point craindre de mettre une plume en la main d'un homme dont vous tiendrez le bras. » (Mém. de Bassompierre.) Les autres princes reçurent six millions à se partager. Ainsi s'achetait le repos du peuple, «tra

vaillé à oultrance et mangé jusqu'aux os. » Par un contre-coup presque inattendu, Sillery, Villeroy, Jeannin, qui avaient négocié la paix, en furent les premières victimes; et Concini, qui devait y succomber, plus puissant que jamais sur l'esprit de la reine, aidé d'ailleurs par Condé qui comptait ensuite avoir meilleur marché du favori, fit renouveler le conseil et place nette, ou peu s'en faut,

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Bal donné à la reine Anne d'Autriche, au Louvre, à l'occasion de son mariage. - Estampe du temps.

triomphale. Il sembla dès lors qu'il eût une cour, « de sorte qu'on le voyoit souvent entrer dans le Louvre et en sortir avec une plus grande suite que le roy»; et pendant que les Tuileries devenaient une solitude, les abords de l'hôtel du prince étaient encombrés des carrosses des grands et de la foule des solliciteurs. Assidu d'ailleurs au conseil, « il n'y entroit jamais que les mains pleines de re

quêtes et mémoires qu'on lui présentoit et qu'il faisoit expédier à sa volonté », et ne souffrait plus qu'il s'y délivrât arrêt ni ordonnance où il ne signât. « Aussi estoit-il très-content de sa position, et, quelque ambition qu'il eust, avoit-il sujet de l'estre. » (Richelieu.)

Mais, à l'ombre de cette puissance, les prétentions et l'insolence de ses adhérents s'accroissaient jour de visite chez Condé, il s'en fallut peu que les seigneurs présents n'égorgeassent chez son hôte « ce faquin de Florentin. » Le prince y mit ordre; mais, le soir même, lui fit dire sous main par l'archevêque de Bourges qu'il eût à se protéger lui-mème désormais, et que, ne répondant plus de rien, il lui donnait pour conseil de se retirer au plus vite dans son gouvernement de Normandie. Concini, sans plus d'instances, partit le lendemain

d'autant contre la faveur rivale de Concini. Un | de chasse, et, sur son refus, lui dit: Adieu. A

l'instant, Themines avec ses deux fils, sortant par un petit passage, s'approcha de Condé et lui demanda son épée. « Il fit quelque refus de la rendre, et appela M. de Rohan qu'il vit et qui ne répondit pas... Comme on le menoit en la chambre qu'on lui avoit préparée, il aperçut Delbène, et, le voyant avec quelques-uns de ses compagnons, tous la pertuisane en la main, il dit qu'il estoit mort; mais l'autre luy respondit qu'ils n'avoient nul comman

matin. Cependant les avis arrivaient directement | dement de luy mesfaire et qu'ils estoient gentils

à la reine des projets et des espérances qui ne se cachaient mème plus, des levées secrètes dans les provinces, des pratiques sourdes près les colonels et les capitaines de quartiers, les curés, les prédicateurs. Il ne s'agissait de rien moins que de confiner la reine mère dans un couvent et de renouveler peut-être l'écusson des Condé; « et déjà tout haut leurs partisans se vantoient que rien que Dieu ne les pouvoit empescher de changer le gouvernement. » Guise et l'archevêque de Bourges, au courant des menées, ne cessaient, à toute heure de jour et de nuit, d'en avertir Marie de Médicis. Sully mème demanda audience à la reine, où le roi se trouva. Il n'eut pas de peine à signaler le danger; mais de remède, nul n'en connaissait, ⚫ sinon que le hasard estoit grand; et, s'estant retiré du cabinet, il y remit une jambe avec la moitié de son corps, disant ces mesmes paroles : «Sire, et vous, Madame, je supplie Vos Majestés > de penser à ce que je vous viens de dire... Plust » à Dieu que vous fussiez au milieu de douze cents » chevaux! Je n'y vois d'autre remède. Puis s'en alla. (Richelieu.) Sur ces entrefaites, le duc de Longueville occupe Péronne, dont le gouvernement appartenait au maréchal d'Ancre; et les garnisons de Soissons et de Noyon, aux ordres du duc de Mayenne, marchaient pour préter main-forte à ce coup de main, qui semblait le signal d'une vaste entreprise. C'était justifier les sollicitations plus que jamais pressantes de Concini et håter l'heure de la crise. Une résolution décisive fut arrêtée. Il ne s'agissait de rien moins que d'un guet-apens en plein Louvre, et d'arrèter d'un même coup Bouillon, Mayenne, Vendôme et Condé. Le marquis de Themines se chargea de l'aventure et s'associa un Italien nommé Delbène, tous deux disposant ensemble d'une quinzaine de bons et loyaux gentilshommes qu'on arma secrètement. Tout fut préparé d'ailleurs, argent, pierreries, carrosse, en cas d'insuccès, pour la fuite. Mais, le 30 août, quand l'occasion se prêtait belle, le cœur manqua à la reine mère, et le lendemain Condé vint seul. Il entra au Louvre entouré, à son ordinaire, d'une foule affairée à lui présenter des placets qu'il recevait, en souriant, des deux mains. « Voilà bien maintenant le roi de France, dit la reine à Bassompierre; mais sa royauté durera comme celle de la fève. » Louis XIII, qu'on avait mis dans le secret avec force recommandations de prudence, aborda le prince gaiement en lui offrant une partie

hommes. » (Richelieu.) Comme il se refusait à rien manger d'autre main que de ses gens, on lui accorda sa demande, et le roi, la reine, prirent la peine d'envoyer le rassurer. Apprenant que M. de Bouillon n'était pas arrêté, « il dit plusieurs fois qu'on avoit tort... et qu'en vingt-quatre heures il luy eust fait trancher la teste. » Puis, laissant échapper des paroles misérables, il offrit en échange de sa liberté de découvrir toutes les cabales de son parti; mais la reine lui fit répondre qu'elle en savait plus qu'elle n'avait besoin d'en savoir.

Un moment on craignit quelque mouvement populaire: la foule, en effet, s'ameuta; mais, portée d'elle-même et par ses longs instincts de haine contre l'hôtel du maréchal d'Ancre, on la laissa piller à l'aise, et le lendemain tout s'apaisa. Pendant ce temps, Bouillon, Mayenne, Vendôme, en sûreté cette fois loin de Paris, ralliaient leurs partisans. Tout semblait calmé pourtant par l'intermédiaire des Guises. L'orgueil déplacé et les insolences de Concini, à peine de retour, ranimèrent bientôt toutes les susceptibilités envieuses des seigneurs qu'insultaient le faste outrageant et l'effronterie du parvenu. Mais ils s'entendirent parler cette fois « d'un ton qui sentoit plus sa majesté royale que la conduite passée. » Richelieu venait d'entrer au conseil, avec la direction seulement des affaires étrangères et de la guerre, mais avec droit de préséance sur ses collègues de par son titre de cardinal et surtout de par son génie. La royauté reprend des allures de dignité et d'indépendance qu'on ne lui connaissait plus. Dès lors, comme le fait écrire le ministre aux ambassadeurs, « quoy que ce soit, rien ne se fera au préjudice de la France.» En réponse au manifeste des rebelles, qui ne prétendaient s'armer que pour délivrer le roi du joug « du maire du palais », un manifeste du roi rappela à l'opinion leurs propres excès: Condé, en six ans, extorquant 6 millions et demi; Mayenne, 2 millions; Nevers, 4600 000 livres; Longueville, 4 200 000; Vendôme, 600 000; Bouillon, un million, et le pillage éhonté des pensions et des charges de l'État. En même temps, trois corps d'armée marchent contre les seigneurs, déclarés, par arrèt, coupables de lèse-majesté, déchus de leurs dignités et de leurs biens. Guise attaque et prend sans grande résistance, dès le début de 1647, les places que tenait Nevers, et se prépare à assiéger Mézières; le comte d'Auvergne, retiré tout exprès de la Bastille, après avoir pacifié le Perche et le Maine, investit le duc

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