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d'après les bas-reliefs du même tombeau, ont été choisis et rapprochés les uns des autres par le dessinateur.

trône où il servait de point de mire aux fourberies de l'empereur, des Espagnols, du pape, et de proie quotidienne à la faim brutale des Suisses. Sa pension lui fut loyalement payée, et il mourut tranquillement à Paris, en 4530.

Il s'était décidé à la soumission en apprenant que son adversaire, après avoir battu les cantons helvétiques, avait envoyé traiter avec eux et lui coupait ainsi toute espérance de secours. En effet, François se contentait d'offrir aux Suisses, en ce qui les regardait, les mêmes conditions qu'avant sa victoire. Huit des cantons acceptérent dès le 7 novembre; les cinq autres, après avoir quelque temps résisté, « faisans le cheval eschappé, pour avoir argent » (Bourg. de Paris), suivirent l'exemple de leurs confédérés au commencement de l'année 1516. Le roi s'engageait à pensionner leurs principales familles, à protéger leur commerce dans ses États, à prendre leur jeunesse guerrière dans ses armées en la bien payant, et les Suisses, en retour, renonçaient à l'Italie en gardant Bellinzona, et promettaient de ne jamais porter les armes contre la France. Chose rare dans l'histoire, ce traité d'alliance et amitié perpétuelles, signé en 1546 entre la monarchie française et l'aristocratie car tonale des Suisses, a duré autant qu'elles durèrent elles-mêmes, c'est-à-dire jusqu'aux dernières années du dix-huitième siècle.

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En même temps qu'il s'assurait l'amitié des Suisses, François Ier recherchait celle du pape Léon X, auquel il n'imposa que la restitution de Parme et de Plaisance, et dont il combla les vœux en garantissant aux Médicis la possession de Florence (octobre 1545). Il accorda à Ramon de Cardona la faculté de ramener paisiblement l'armée espagnole dans le royaume de Naples, et de tous ses ennemis il ne resta plus, les armes à la main, que l'empereur Maximilien. L'empereur fit invasion dans les États vénitiens avec une armée formidable, et une fois en vue des lignes françaises, où commandait le connétable de Bourbon, il eut la douleur de voir ses troupes, principalement composées de Suisses, se fondre par la désertion. Il fut obligé de s'enfuir sans avoir combattu (mars 1546).

FRANÇOIS BRIGUE L'EMPIRE.

François Ier avait déjà quitté l'Italie et repassé les monts, laissant à ses lieutenants le soin de poursuivre son œuvre d'affermissement dans la Péninsule. Lui-même se proposait de continuer sa politique de pacification générale. Ferdinand le Catholique venait de mourir (23 janvier 4546); son successeur, l'archiduc Charles d'Autriche, joignait par cette mort, à ses États des Pays-Bas, les royaumes dispersés d'Aragon, de Naples, de Sardaigne et de Sicile. Loin de profiter des difficultés de la position de ce jeune homme, âgé de seize ans, élevé jusque-là en Flandre, et peu sympathique aux Espagnols, François resserra ses liens avec lui par le traité de Noyon (13 août). et s'en

gagea à lui donner sa fille Louise, âgée d'un an. L'année suivante (11 mars 1547), il renouvela son alliance avec Venise, et fit en même temps la paix avec l'empereur; en 1518 (4 octobre), il conclut avec l'Angleterre un traité par lequel Tournai fut rendu à prix d'argent, et deux enfants nouveaunés, le Dauphin de France et Marie d'Angleterre, furent promis l'un à l'autre, comme gage d'une longue paix.

L'Europe occidentale goûta donc quelques années de tranquillité. Tantôt à Paris, tantôt dans ses deux châteaux du bord de la Loire, François Ier put ordonner à son aise les fêtes splendides dont le luxe et la licence commençaient à scandaliser ses sujets. Donc « furent traitées moult de choses, tant de la paix et alliance de l'archeduc que du mariage de luy et de madame Loyse de France, et aussy de la paix du roy et de l'empereur, et de la paix et alliance du roy et des Suysses, et de plusieurs autres grandes choses; mais néantmoins le roy et aucuns jeunes gentilzhommes de ses mygnons et privez ne faisoient quasi tous les jours que d'estre en habitz dissimulez et bigarrez, ayans masques devant leurs visaiges, allans à cheval parmy la ville, et alloient en aucunes maisons pour jouer et gaudir. Ce que le populaire prenoit mal à gré.» (Bourg. de Paris.)

Ce fut aussi dans le même temps que François Ier conclut avec le pape, par l'intermédiaire de son chancelier, Antoine Duprat, le fameux traité connu sous le nom de concordat. Les droits du pape en France, comme chef de l'Église chrétienne, avaient été réglés, en 4438, par la Pragmatique sanction de Bourges, conformément aux décrets du concile de Bâle (voy. t. Ier, p. 499), et avec une indépendance dont la cour de Rome n'avait pas cessé d'ètre irritée. Cet acte établissait que les conciles représentant l'Église universelle, leur autorité était supérieure à celle du pape, et que celui-ci devait les convoquer au moins tous les dix ans ; il consacrait la liberté des élections canoniques, c'est-à-dire qu'enlevant au pape la nomination aux bénéfices ecclésiastiques, il maintenait le droit des chapitres à élire leurs évêques, et des monastères à élire leurs abbés ou prieurs; il limitait les appels en cour de Rome, réglait les effets de l'excommunication, et supprimait les principales sources de revenus que le pape tirait de France, notamment les annates. On nommait ainsi la première année du revenu de chaque nouveau titulaire nommé à un bénéfice, émolument que s'attribuait le souverain pontife comme prix des bulles de nomination. Ces dispositions, éminemment avantageuses aux sujets français, leur étaient chères; ils les appelaient «<les libertés gallicanes. » A Rome, on les qualifiait autrement; suivant Pie II, c'était une tache qui défigurait l'Église de France, et Léon X les appelait « la corruption française établie à Bourges. » François Ier, souverain absolu en France, victorieux et dominateur en Italie, maître des forces militaires de la Suisse, n'ayant de rivaux capables de

lui être comparés, dans le monde entier, que le vieil empereur Maximilien courbé vers la tombe, le roi d'Angleterre Henri VIII confiné dans son île, et le jeune Charles d'Autriche, dont rien encore n'avait annoncé le hautain caractère, François Ier rêva la domination universelle, l'empire de Charlemagne. C'était de nouveau le mirage trompeur des romans de chevalerie dont il n'était pas moins imbu que Charles VIII; et à une époque où la pondération mutuelle des États européens ne pouvait pas s'apercevoir encore, où l'histoire ne montrait qu'une suite non interrompue d'agrandissements et de conquêtes, cette fausse conception devait naître naturellement dans la tête d'un roi de France. L'omnipotence morale du souverain pontife était le seul obstacle grave qui se dressât alors devant ses regards. Il fit tout pour le gagner. On a vu sa modération à l'égard du saint-siége après Marignan; il combla de ses grâces la famille de Médicis; il consentit enfin à remplacer les principes rigoureux de la Pragmatique sanction par un compromis ou concordat qui fut signé le 18 août 4546. Par cet acte nouveau, le roi renonçait à invoquer la supériorité des conciles et leur convocation; il reconnaissait l'infaillibilité du pape et son droit à la perception des annates. En retour de ces graves concessions, le pape transférait à l'autorité royale ce qui était le bien des fidèles et non pas le sien, le droit de nommer aux bénéfices; enfin, pour donner une sorte de satisfaction au sentiment public, la cour de Rome consentit, en recouvrant les annates, à renoncer à tous les autres tributs qu'elle avait coutume de lever en France sur les fidèles.

Ce concordat, qui, d'un trait de plume, livrait au roi une des vieilles libertés du pays, et au pape son argent, fut accueilli avec indignation, surtout par la magistrature et le clergé. Le chancelier Duprat, âme vile avec de grands talents, devint odieux. Un historien de ses contemporains, Beaucaire de Péguillon, évêque de Metz, le nomme « le plus pernicieux des bipèdes. » Le roi trouva une résistance inattendue lorsque son concordat fut envoyé au Parlement de Paris avec ordre de l'enre gistrer, formalité préliminaire indispensable pour l'exécution des ordonnances nouvelles. Le Parlement, loin de cacher sa répugnance à obéir, suscita pendant plus d'un an difficultés sur difficultés et délais sur délais; il en appela courageusement au prochain concile, il s'exposa à plusieurs reprises aux colères du monarque absolu, qui, une fois, s'écria: «On verra bien qu'il y a un roi en France, et non pas un sénat, comme à Venise. » Il fallut cependant céder. Le 22 mars 4548, le Parlement de Paris enregistra, «< comme contraint et forcé par l'exprès commandement du roi, et sous toutes réserves. » Les autres parlements provinciaux firent de même; mais ils continuèrent, dans la pratique, à regarder la Pragmatique sanction comme subsistante, et quand un conflit se présentait en justice entre deux titulaires d'un mème bénéfice, l'un nommé par le

roi, l'autre promu par élection, les parlements donnaient gain de cause au dernier. François Ier n'eut d'autre moyen de rester le maître que de leur ôter la connaissance des affaires ecclésiastiques, et de l'attribuer à son grand conseil (en 1527). Ainsi furent sacrifiées aux visées du jeune roi des libertés chères à la nation, qu'elle redemanda vainement dans toutes les grandes assemblées publiques du seizième siècle, et qu'un avocat général du temps de Louis XIII (Omer Talon, en 4625), invoquait encore, de tous ses regrets, en les appelant « la sainte discipline des élections. » La noblesse seule, enivrée de la gloire de son jeune prince, se montra indifférente, du moins si l'on en juge par le langage que tient sur la même matière un de ses écrivains les plus piquants, Brantôme : « On élisoit celui qui estoit le meilleur compagnon, qui aimoit le plus les chiens et les oyseaux, qui estoit le meilleur biberon, bref qui estoit le plus desbauché, afin que l'aïant fait leur abbé ou prieur, par après il leur permist toutes pareilles desbauches, dissolutions et plaisirs. Il y avoit pareils troubles ès élections canoniales, car les chanoines estoient mauvais garçons et s'aydoient aussi bien de l'espée que du bréviaire. Et le pis estoit, quand ils ne pouvoient s'accorder en leurs élections, le plus souvent s'entrebattoient, se gourmoient à coups de poing, venoient aux braquemars et s'entreblessoient, voire s'entretuoient... D'autres élisoient par pitié quelque pauvre hère de moine, qui en cachette les déroboit, ou faisoit bourse à part et faisoit mourir de faim ses religieux... » C'est le même seigneur de Brantôme, si sévère ici pour les abus de la liberté, qui raconte ailleurs avec complaisance comment ses parents ou amis trouvaient François Ier, ce roi prodigue, trop avare pour ses courtisans.

L'empereur Maximilien mourut le 44 janvier 4549, sans avoir pu, malgré ses efforts, assurer l'empire à son petit-fils Charles. Cet événement ouvrait la carrière aux projets ambitieux du roi de France, qui n'avait pas attendu jusque-là pour en préparer le succès. D'ailleurs, la crainte de voir Charles d'Autriche réussir, et joindre à ses vastes possessions le prestige impérial, était un motif suffisant pour le faire agir. L'Allemagne elle-même avait peur du futur Charles-Quint. Elle venait d'être gouvernée durant quatre-vingts ans de suite par trois empereurs, chefs tous trois (1) de cette maison d'Autriche qui s'agrandissait sans cesse 1 moins par les armes que par une subtile diplomatie. Le corps germanique, fédération de petits États justement jaloux de leur indépendance, désirait faire cesser cette suprématie autrichienne qui menaçait de devenir héréditaire. Il était effrayé, il est vrai, par la race turque, que venait d'exalter plus que jamais la conquète récente de l'Égypte et de la Syrie, et l'archiduc d'Autriche, placé de manière à supporter le premier choc des Infidèles,

(') Albert II, 1438-1440; Frédéric III, 1440-1493; Maximilien ler, 1493-1519.

semblait devoir être le chef naturel de la résistance. Mais quel plus glorieux défenseur personne pouvait-il invoquer alors que le brillant vainqueur de Marignan? Celui-ci ne manquait donc pas de raisons spécieuses à l'appui de ses illusions, bien qu'il offrît à peine la première des conditions requises pour être élu, car il ne pouvait prétendre à la qualité de membre de la confédération germanique que comme successeur au royaume d'Arles, disparu depuis cinq siècles, et comme duc de Milan.

Une lutte ouverte de vénalités et d'intrigues s'engagea donc, pour cette grande élection, entre les rois de France et d'Espagne. Henri VIII s'y mêla, y dépensant inutilement quelque peu de ses trésors, et le parti véritablement national de l'Allemagne y porta pour candidat un prince médiocre par la puissance mais grand par le cœur, Frédéric le Sage, électeur de Saxe, ami des doctrines rebelles à l'Église qui commençaient à se répandre, et protecteur de l'hérésiarque Martin Luther. TouJours chevaleresque, François avait dit aux ambassadeurs d'Espagne, au sujet des prétentions de leur maître : « Nous sommes deux amants aspirant à la même maîtresse ; quel que soit le préféré, l'autre doit se soumettre sans rancune.» (Guicciardini. ) Ses agents allèrent distribuer à pleines mains en Allemagne l'or et les promesses. Il envoya comme ambassadeur à la diète, rassemblée à Francfort (48 juin) pour l'élection, l'un de ses principaux favoris, Guillaume Gouffier de Bonnivet, avec pleins pouvoirs. Il avait résolu, disait-il, de dépenser trois millions d'écus pour se faire élire. Le trafic des suffrages, condamné aujourd'hui comme un honteux trafic, n'était pas jugé alors avec la même rigueur, et cependant cette élection de 4549, aux yeux mêmes des contemporains, fut un scandale. Plusieurs des sept princes électeurs, et leurs lignées, leurs serviteurs, leurs amis, qu'il fallait acheter comme eux, reçurent de toutes les mains et vendirent leur parole jusqu'à quatre fois, tantôt à l'un, tantôt à l'autre, à mesure que les compétiteurs surenchérissaient; ces sortes de gens furent : le margrave de Brandebourg, l'archevêque de Mayence, le comte palatin et l'archevêque de Cologne; les trois autres électeurs étaient le roi de Hongrie, le jeune Louis II, enlacé dans les liens de l'Autriche; l'archevêque de Trèves, Richard de Greiffenklau, dévoué loyalement à la France; et le prince patriote de la Saxe, Frédéric le Sage. Sur les derniers jours, le parti français s'aperçut que les chances tournaient contre lui. L'électeur de Mayence disait avec une vérité frappante: «Combien peu doit-on s'attendre à ce que le roi de France conserve la liberté aux terres franches et aux seigneurs de l'Allemagne, lorsqu'on voit par expérience qu'en France même il y avait autrefois tant de princes de grande autorité qui maintenaient la justice et la liberté dans cette contrée, tandis qu'aujourd'hui toutes leurs principautés sont anéanties, et il ne s'y trouve plus si grand personnage

qui ne tremble au moindre signe du roi et qui ose faire autre chose que de louer tout ce qu'il plaft au roi de dire ou de faire. » Pour éviter un résultat plus funeste, les amis de la France se rallièrent à la candidature de Frédéric de Saxe, et Frédéric fut élu. Mais il ne se sentait pas à la hauteur d'un tel rôle, et il refusa, en se prononçant pour le roi d'Espagne, à qui la qualité d'archiduc d'Autriche et de vrai prince allemand assurait sa préférence. Charles, que nos historiens appellent Charles-Quint parce qu'il était le cinquième empereur de son nom, fut élu le lendemain, 5 juillet 1519.

Cet échec de François Ier était une grâce pour la France et la sauvait d'un immense danger. Si sa domination en Italie était une chimère, combien plus l'était sa fusion avec l'Allemagne! Et nonseulement François eût prodigué pour le rétablissement intégral de son romanesque empire de Charlemagne les trésors et le sang de ses vrais sujets, mais il avait juré, s'il était élu, d'exterminer les Turcs, et de mourir ou d'entrer avant trois ans dans Constantinople. Charles-Quint, chef de l'empire et maître de tant d'États, devenait sans doute un voisin terrible; mais en luttant contre lui, fût-ce avec désavantage, la France était logique et ne sortait point de son rôle.

LE CAMP DU DRAP D'OR.

Soit qu'il eût peine à vaincre son dépit, soit qu'il jugeât prudent d'attaquer au plus vite son heureux adversaire, François Ier fit aussitôt des préparatifs et prit une attitude hostile. Son premier soin fut de chercher à captiver le roi d'Angleterre et son favori, le cardinal Wolsey. Il réussit à faire venir Henri VIII sur le continent pour avoir une entrevue avec lui. Dans son désir de s'en faire un ami, il se flattait de toucher l'Anglais par la franchise et la chaleur de ses démonstrations. Mais il donna plus qu'il ne reçut, et l'entrevue du Camp du Drap d'or, en Flandre, ne fut qu'une fète diplomatique non moins inutile que fastueuse. Les détails qu'on en trouve dans les mémoires du temps sont d'ailleurs pleins d'intérêt.

« L'an 4520 (juin), par le moyen de l'amiral de Bonnivet et du cardinal d'York (Wolsey), fut accordée une entrevue entre leurs deux majestez, à cette fin qu'en personne ils peussent confirmer l'amitié faicte entre eux par leurs députez. Et fut pris jour auquel le roy se trouveroit à Ardres et le roi d'Angleterre à Guines; puis par leurs députez fut ordonné un lieu, mi-chemin d'Ardres et Guines, où les deux princes se devoient rencontrer le jour de la Feste-Dieu. Au dit jour, montez chacun sur un cheval d'Espagne, ils s'entre-abordèrent accompagnez, chacun de sa part, de la plus grande noblesse que l'on eût vue cent ans auparavant ensemble, estans en la fleur de leurs âges et estimez les deux plus beaux princes du monde, et autant adroits en toutes armes tant à pied qu'à cheval. Je n'ay que faire de dire la magnificence de leurs

accoustrements, puisque leurs serviteurs en avoient en si grande superfluité qu'on nomma la dite assemblée le Camp du Drap d'or. » – « La vue des deux princes fut à grosse difficulté. Et feurent trois ou quatre jours sur tous ces débats, et encore y avoit-il à redire deux heures avant qu'ils se virent. La chose entreprise et conclue, feust arrêtée la vue des deux princes à ung jour nommé qui fut ung dimanche; et pour ce que la comté d'Ardres n'a pas grande étendue du costé de Ghines, et qu'il falloit que les deux princes fissent autant de chemin l'un que l'autre pour se veoir ensemble, et pour ce que c'estoit sur le pays du roi d'Angleterre, fut ordonné de tendre une belle grande tente au lieu où la dite vue se fairoit. Ce faict, regardèrent les dits princes quels gens ils mèneroient avecques eulx, et s'accordèrent de mener chascun deux hommes. Et mena le roy de France avecques lui monsieur de Bourbon et monsieur l'admiral (Bonnivet); et le roy d'Angleterre avoit le duc de Suffolek, qui avoit espousé sa sœur, et le duc de Norfolk. Et estoit le dit camp tout environné de barrières, bien ung jet de boule éloigné de la tente, et avoit chascun quatre cents hommes de leur garde. Et quand se vint à l'approche, les dictes gardes demeurèrent aux barrières, et les deux princes passèrent outre, avecques les deux personnages, ainsi que dist est devant, et se vindrent embrasser tout à cheval, et se fisrent merveilleusement bon visage; et broncha le cheval du roy d'Angleterre en embrassant le roy de France. Et entrèrent dedans le pavillon tout à pied, et se recommencèrent de rechef à embrasser et faire plus grande chère que jamais; et quand le roy d'Angleterre feust assis, print lui-même les articles et commença à les lire; et quand il eust lu ceulx du roy de France, qui doit aller le premier, il commença à parler de luy, et y avoit Je Henry, roy... Il vouloit dire de France et d'Angleterre; mais il laissa le tiltre de France, et dict au roy : « Je ne » le mettray point, puisque vous êtes ici, car je >> mentirois. » Et dict: Je Henry, roy d'Angleterre. Et estoient les dicts articles fort bien faicts et bien escripts, s'ils eussent esté bien tenus. Ce faict, les dicts princes se partirent merveilleusement bien contents l'ung de l'autre, et en bon ordre, comme ils estoient yenus s'en retournèrent, le roy de France à Ardres et le roy d'Angleterre à Ghines. Le soir vindrent devers le roy, de par le roy d'Angleterre, le légat et quelqu'un du conseil, pour regarder la façon et comment ils se pourroient veoir souvent, et pour avoir seureté l'ung de l'aultre. Et feust dict que les roynes festoyeroient les roys, et les roys les roynes; et quand le roy d'Angleterre viendroit à Ardres veoir la royne de France, que le roy de France partiroit quant et quant (aussitôt) pour aller à Ghines veoir la royne d'Angleterre ; et par ainsi ils estoient chascun en otage l'ung pour l'aultre. Le roy de France, qui n'estoit pas homme soupçonneux, estoit fort marri de quoi on se fioit si peu en la foi l'ung de l'autre. Il se leva

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ung jour bien matin, qui n'est pas sa coustume, et print deux gentilshommes et un page, les premiers qu'il trouva, et monta à cheval, sans estre botté, avecques une cappe à l'espaignolle, et vint devers le roy d'Angleterre, au chasteau de Ghines. Et quand il feust sur le pont du chasteau, tous les Anglois s'émerveillèrent fort et ne savoient qu'il leur estoit advenu; et avoit bien deux cents, archers sur le dict pont, et estoit le gouverneur de Ghines avecques les archers, lequel feust bien étonné. Et en passant parmi eulx, le roy leur demanda « la foy et qu'ils se rendissent à lui », et leur demanda la chambre du roy son frère, laquelle lui feust enseignée par le dict gouverneur de Ghines, qui lui dict: « Sire, il n'est pas éveillé. » Il passe tout oultre et va jusques à la dicte chambre, heurte à la porte, l'éveille et entre dedans. Et ne feust jamais homme plus esbahi que le roy d'Angleterre, et lui dict: « Mon frère, vous m'avez faict meilleur » tour que jamais homme ne fist à aultre, et me >> montrez la grande fiance que je dois avoir en vous ; » et de moi je me rends vostre prisonnier dès cette >> heure et vous baille ma foy. » Et deffist de son col ung collier qui valloit quinze mille angelots, et pria au roy de France qu'il le voullust prendre et porter ce jour-là pour l'amour de son prisonnier. Et soudain le roy, qui lui voulloit faire mesme tour, avoit apporté avecques lui un bracelet qui valloit plus de trente mille angelots, et le pria qu'il le portast pour l'amour de lui, laquelle chose il fit, et le lui mist au bras, et le roy de France print le sien à son col. Et adonc le roy d'Angleterre voullust se lever, et le roy de France lui dict qu'il n'auroit point d'autre valet de chambre que lui, et lui chauffa sa chemise, et lui bailla quand il feust levé. Le roy de France s'en voullust retourner, nonobstant que le roy d'Angleterre le voullust retenir à disner avecques lui; mais pour ce qu'il falloit jouter après disner, s'en voulust aller et monta à cheval, et s'en revint à Ardres. Il rencontra beaucoup de gens de bien qui venoient au devant de lui, et entre autres l'Advantureux (4), qui lui diet : « Mon maistre, vous estes » un fol d'avoir faict ce que vous avez faict; et suis » bien aise de vous reveoir ici, et donne au diable » celui qui vous l'a conseillé. » Sur quoi le roy lui fist response et lui dict que jamais homme ne lui avoit conseillé, et qu'il sçavoit bien qu'il n'y avoit personne en son royaume qui lui eust voullu conseiller; et lors commença à compter ce qu'il avoit faict au diet Ghines, et s'en retourna ainsi, en parlant, jusqu'à Ardres, car il n'y avoit pas loing. Si le roy d'Angleterre estoit bien aise du bon tour que le roy de France lui fist, encore en estoient plus aises tous les Anglois, car ils n'eussent jamais pensé qu'il se feust voulu mettre entre leurs mains le plus foible, et pour ce qu'il y avoit eu grosse difficulté pour leur vue, afin qu'ils ne feussent point plus forts l'ung que l'aultre. Le roy (') Nom que Fleuranges, auteur de ce récit, se donne à lui-même dans ses Mémoires.

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