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seulement parce qu'il avait conduit avec sagesse la guerre d'Amérique et fait intervenir dignement la France dans les différends survenus soit au sujet de la succession de Bavière, soit au sujet des prétentions de Joseph II contre la Hollande, mais aussi parce qu'il avait conclu deux traités de commerce utiles, l'un avec l'Angleterre (30 janvier 1786), l'autre avec la Russie (30 janvier 1787). Le nouveau ministre des affaires étrangères fut M. de Montmorin, honnête homme sans influence.

Louis XVI ouvrit l'Assemblée des notables (22 février 4787), à Versailles, par une courte allocution où l'on remarqua ces paroles : « Je vous

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ai choisis dans les différents ordres de l'État... Les projets qui vous seront communiqués de ma part sont grands et importants d'une part, améliorer les revenus de l'État et assurer leur libération entière par une répartition plus égale des impositions; de l'autre, libérer le commerce des différentes entraves qui en gênent la circulation, et soulager, autant que les circonstances me le

(') L'Assemblée des notables et celle des États généraux se sont tenues dans une très-grande salle du bâtiment des Menus-Plaisirs servant de magasin et qui pouvait recevoir des décorations diverses. Pour la première Assemblée des notables, la salle fut disposée sur les dessins de Paris, dessinateur du cabinet du roi. (Voy. plus loin la gravure représentant l'ouverture des États généraux.)

D'après la gravure

permettront, la partie la plus indigente de mes. sujets. »

Il n'était pas exact de dire que l'on eût choisi les notables « dans les différents ordres de l'État »; il ne s'y trouvait point dix personnes qui ne fussent nobles ou anoblies parmi les cent quarantequatre membres de l'Assemblée, ainsi composée : sept princes de la famille royale et princes du sang; quatorze archevêques et évèques; trente-six ducs et pairs, maréchaux de France, gentilshommes; douze conseillers d'État et maîtres des requêtes; trente-huit premiers présidents, procureurs généraux des cours souveraines et autres magistrats; douze députés des pays d'État dont quatre appartenant au clergé, six à la noblesse,

deux au tiers état; vingt-cinq officiers municipaux. En réalité, le tiers était absent. C'était cependant parmi des représentants de cet ordre que l'on eût trouvé le plus de sympathies pour les réformes que l'on avait en vue. Mais le roi et son ministre avaient espéré qu'un avis favorable à l'abolition des priviléges pécuniaires, donné généreusement par un groupe choisi de privilégiés, aurait plus d'autorité sur l'opinion des deux premiers ordres que s'il émanait en grande partie d'un vote de roturiers, invoquant des principes redoutés, et réclamant avec amertume l'égale répartition des impôts comme un acte de simple justice.

Après quelques phrases insignifiantes du garde des sceaux, Calonne prononça un discours dont la hardiesse dépassa tout ce que son caractère avait pu faire supposer: «Le déficit actuel, dit-il, est très-considérable... Il existe en France depuis des siècles... Ses progrès sont devenus effrayants sous le dernier règne... A la fin de 1783, il s'est trouvé être de 80 millions. Il y avait en outre 176 millions d'anticipation que j'ai compris dans la masse des dettes, lorsque j'ai dit qu'à cette époque elles s'élevaient à plus de 600 millions. Il est prouvé par les états remis au roi qu'elles montaient à 604; en sorte qu'en y joignant le déficit de 80 millions, Je puis bien dire que le vide était de 684 millions dès l'exercice de 1784... Depuis la fin de 1776 jusqu'à la fin de 1786, il a été emprunté 4 250 millions... » On s'attendait à entendre le contrôleur général donner l'évaluation exacte de la dette publique et du déficit en 1787; mais il n'en parla que vaguement, et se hâta d'entrer dans l'examen des moyens efficaces pour rétablir les finances. « Quels peuvent être ces moyens? Toujours emprunter serait aggraver le mal et précipiter la ruine de l'État. Imposer plus serait accabler les peuples que le roi veut soulager. Anticiper encore, on ne l'a que trop fait... Economiser, il le faut sans doute; mais l'économie seule, quelque rigoureuse qu'on la suppose, serait insuffisante, et ne peut être considérée que comme moyen accessoire. Que reste-t-il donc pour combler un vide effrayant? Les abus!... Oui, Messieurs, c'est dans les abus mêmes que se trouve un fonds de richesse que l'État a droit de réclamer. C'est du sein même du désordre que doit jaillir une source féconde qui fertilisera toutes les parties de la monarchie. » Et Calonne ajouta que les abus qu'il s'agissait d'anéantir pour le salut public étaient les plus con sidérables, les plus protégés, ceux dont l'existence pesait sur la classe productive et laborieuse : les abus des priviléges pécuniaires, les exceptions à la loi commune, les exemptions injustes, l'énorme disproportion entre les charges des sujets d'un même souverain, la rigueur et l'arbitraire de la perception de la taille, la crainte, les gènes et presque le déshonneur imprimé au commerce des premières productions, les barrières qui rendaient les diverses parties du royaume étrangères les unes aux autres, et les droits qui décourageaient

l'industrie. « Les vues que le roi veut vous communiquer, dit-il enfin, sont le résumé, et, pour ainsi dire, le ralliement des projets d'utilité publique conçus depuis longtemps par les hommes d'État les plus habiles, souvent présentés en perspective par le gouvernement lui-même, dont quelques-uns ont été essayés en partie, et qui tous semblent réunir les suffrages de la nation, mais dont jusqu'à présent l'entière exécution avait paru impraticable par la difficulté de concilier une. foule d'usages locaux, de prétentions, de priviléges et d'intérêts opposés les uns aux autres... Il était réservé à un roi jeune, vertueux... d'entreprendre après un mùr examen, et d'exécuter avec une volonté inébranlable, ce qu'aucun de ses prédécesseurs ne pouvait faire... »

Il était difficile de mieux parler. Par malheur, toutes ces vérités étaient sans autorité dans la bouche de Calonne; d'autre part, la volonté du roi n'était pas aussi inébranlable que son ministre voulait bien le dire, et cette assemblée sans mandat, composée arbitrairement, était fort mal disposée à ce qu'on désirait d'elle.

On avait partagé les cent quarante-quatre membres en sept bureaux présidés par les princes: Monsieur (depuis Louis XVIII), le comte d'Artois (depuis Charles X), le duc d'Orléans, le prince de Condé, le duc de Bourbon, le prince de Conti et le duc de Penthievre. Le projet de l'institution des assemblées provinciales, emprunté à Turgot, fut approuvé par la majorité. Mais l'opposition contre Calonne, dirigée surtout par Monsieur et par l'archevêque de Toulouse, Loménie de Brienne, se manifesta vivement dès la discussion du deuxième projet, qui avait pour but le remplacement de l'impôt des deux vingtièmes par l'établissement d'une subvention territoriale étendue sur toute la superficie du royaume, sans aucune distinction, et même sur le domaine royal. Cette innovation attaquait directement le privilége que les deux premiers ordres avaient le plus à cœur de conserver, celui de ne contribuer à l'impôt que dans la proportion qu'ils jugeaient convenable. Plusieurs membres, entre autres Castillon, procureur général du Parlement d'Aix, déclarèrent qu'« aucune autorité ne pouvait admettre l'impôt terri torial, sinon les États généraux.» Le comte d'Artois ayant dit au marquis de la Fayette « Vous voulez donc aussi les États généraux? » la Fayette répondit vivement: « Mieux que cela, s'il est possible, Monseigneur!» Pressés de donner leur avis, les notables demandèrent communication de l'état complet des dépenses et des recettes. Calonne leur contesta d'abord le droit de l'exiger, puis donna de mauvaise grâce des documents incomplets, et fut enfin peu à peu conduit à avouer qu'abstraction faite de la dette publique, le déficit, en 1787, était de 115 millions. Ce chiffre excita les clameurs de toute l'Assemblée. Il était encore trop faible; les bureaux, après examen, le portèrent à 140 millions. L'impression fut pro

fonde sur l'opinion publique. Necker, dont le compte rendu avait été indirectement accusé de fausseté dans le discours de Calonne, sollicita du roi la permission de se défendre devant les notables. On lui ordonna le silence; il fit parvenir des pièces explicatives aux. notables, et l'ancien contrôleur Joly de Fleury, qui lui avait succédé, témoigna de la vérité de ses assertions dans une lettre à Calonne, qui voulut la tenir secrète, mais dont un double fut remis au roi par le garde des sceaux Miromesnil. Calonne, quel que fût le mécontentement du roi, qu'il avait si souvent trompé, eut encore le pouvoir d'obtenir le renvoi de Miromesnil, et de faire nommer aux sceaux Lamoignon. Ce fut son dernier effort heureux pour se maintenir au contrôle général. L'Assemblée était unanime à désirer sa chute. On parvint à persuader au roi qu'il fallait le sacrifier pour calmer et se concilier les esprits. Louis XVI passa d'une confiance obstinée à une rigueur extrème. Calonne, destitué durement, dépouillé du cordon bleu, exilé en Lorraine, accablé d'humiliations et d'outrages, plus tard même menacé de poursuites par le Parlement, se réfugia en Angleterre.

Le cardinal Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse, avide, ambitieux, léger, à la fois indécis et téméraire, peu estimé du roi, mais protégé par la reine, qu'entraînaient toujours les conseils de l'abbé de Vermont, fut nommé chef du conseil royal des finances (4 er mai). Le titre de contrôleur passa successivement de Fourqueux à Villedeuil (6 mai). Si Brienne ne souleva point d'hostilités contre sa personne dans l'Assemblée, il ne réussit pas mieux que Calonne à faire approuver la subvention territoriale. Le discours qu'il prononça lors de la fin des travaux des notables apprend que les notables avaient donné leur assentiment à la conversion définitive de la corvée en prestation d'argent, à la destruction des barrières intérieures, au reculement des traites à l'extrême frontière, à la liberté du commerce des grains, à la suppression progressive du régime de la gabelle; mais il montre aussi qu'on avait échoué sur la question principale. « Vous avez hésité sur le choix des impôts, dit le ministre; le roi pèsera vos observations: il se décidera pour l'imposition la moins onéreuse, pour celle qui établira le plus l'égalité si désirable entre les contribuables. » II annonça ensuite l'intention du roi de publier, à la fin de 1787, un état exact de la recette et de la dépense discuté et arrêté dans un conseil de finance. Malgré ces ménagements et ces concessions, les notables se retirèrent, persuadés qu'on tiendrait peu de compte de leur avis; mécontents, ils répandirent l'alarme dans les provinces en témoignant de la misère du trésor, du luxe des nobles de cour, de la faiblesse du roi, de l'anarchie des opinions parmi ceux qu'il appelait à ses conseils, et du mécontentement qui grandissait de jour en jour dans les diverses classes de la popu

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Le Parlement enregistra sans difficulté les édits sur la liberté du commerce des grains, les assemblées provinciales et la conversion de la corvée (17, 22 et 27 juin 1787); mais il imita l'exemple impopulaire des notables en repoussant la subvention territoriale. Il prétendit, comme eux, que la communication de l'état des recettes et des dépenses lui était indispensable, et plusieurs membres répétèrent aussi que ce que l'on demandait ne pouvait être autorisé que par les États généraux. Le roi appela le Parlement à un lit de justice (Versailles, 6 août 1787). Ses premières paroles furent sévères : « Messieurs, il n'appartient pas à mon Parlement de douter de mon pouvoir ni de celui que je lui ai confié. » Le garde des sceaux commenta cette admonestation en disant : « Le roi est le seul administrateur de son royaume, et il doit transmettre son autorité à ses descendants telle qu'il l'a reçue de ses augustes ancètres.»> Le premier président répondit avec amertume, en récriminant contre le lit de justice, contre les dissipations et la déprédation excessive du dernier ministère, et en imputant à l'impôt du timbre ainsi qu'à la subvention territoriale un caractere d'immoralité. L'avocat du roi Séguier représenta qu'« en ajoutant la subvention territoriale, évaluée annuellement à 80 millions, aux autres impositions, la taille, l'industrie, la capitation, la gabelle, les aides et les droits d'entrée dans toutes les villes, il n'y aurait aucun sujet qui ne portàt au trésor le tiers de son revenu. » Le roi, néanmoins, ordonna l'enregistrement des deux édits, celui du timbre et celui qui avait pour objet « la suppression des deux vingtièmes et quatre sous pour livre du premier vingtième, et l'établissement d'une subvention territoriale de 80 millions par an répartie sur tous les biens - fonds sans exception.» Quelques jours après, le Parlement, dans une séance très - animée, où le conseiller Duval d'Espréménil se fit surtout remarquer par son extrême ardeur, arrêta, aux deux tiers des voix, que la distribution des deux édits était nulle et illégale, et que le roi ne pouvait obtenir de nouveaux subsides sans convoquer les États généraux. » Une foule considérable emplissait le palais et en entourait les abords. D'Espréménil, à sa sortie, fut l'objet d'une sorte d'ovation. Le soir même, les membres du Parlement furent exilés à Troyes en Champagne.

Brienne résolut alors de demander l'enregistrement à un autre degré de magistrature. Monsieur et le comte d'Artois allèrent présenter les édits, le premier à la Chambre des comptes, le second à la Cour des aides. L'attitude de Monsieur à l'Assemblée des notables lui avait valu quelque popu

Typ. de J. Best, rue St-Maur-St-G., 15.

larité; il fut applaudi dans les rues qu'il traversa. Le comte d'Artois, qui était du cercle de la reine, n'entendit, au contraire, que des murmures sur son passage. M. de Nicolaï, président de la Chambre des comptes, répondit à Monsieur : « La nation gémit sous le poids des subsides. La Chambre des comptes doit désirer l'état des recettes et dépenses de l'année. L'intrigue et la faveur ont épuisé les trésors de l'État. Si le déficit doit encore s'alimenter de la substance des peuples, alors les cours se réuniront pour supplier Sa Majesté de rendre à la nation assemblée le pouvoir de consentir les impôts. » Le comte d'Artois ne réussit pas mieux dans son intervention près de la Cour des aides, qui arrêta, le 48 août, que les lits de justice ne présentaient plus que l'appareil affligeant du pouvoir absolu... et qu'une nation qui payait près de 600 millions d'impôts devait se croire à l'abri de toutes les nouvelles inventions du génie fiscal. » La même cour, à la fin de sa déclaration, suppliait le roi d'assembler les États généraux. De son côté, le Châtelet, par arrêté du 21 août, demanda le rappel du Parlement. Les divers parlements du royaume votèrent aussi des plaintes hautaines. Quelques-uns s'opposaient à l'établissement des assemblées provinciales; tous prenaient fait et cause pour le Parlement de Paris exilé. On remarqua ces paroles de la cour de Besançon « Les coups d'autorité sans cesse renouvelés, les enregistrements forcés, les exils, la contrainte et les rigueurs mises à la place de la justice, étonnent dans un siècle éclairé, blessent une nation idolâtre de ses droits, mais libre et fière, glacent les cœurs, et pourraient rompre les liens qui attachent le souverain aux sujets et les sujets au souverain. »

agents, des privilégiés eux-mêmes. » (Tocqueville, l'Ancien régime et la Révolution.)

Les troubles avaient été fréquents à Paris pendant le mois d'août (1787). On s'y habituait de plus en plus aux manifestations tumultueuses de la place publique. Des clubs nombreux, qui s'y étaient établis et se propageaient aussi dans les provinces sous différents noms, entretenaient l'agitation morale. Le baron de Breteuil, intendant de Paris, les fit fermer provisoirement. Ils ne tardèrent pas à se rouvrir, et leur influence augmenta sans cesse jusqu'à 4789.

L'état des affaires extérieures n'était pas de nature à relever le gouvernement dans l'opinion. La France avait laissé la Russie prendre possession de la Crimée; sa médiation, qu'elle avait offerte, avait été refusée par l'impératrice, et elle n'avait pu donner à son alliée la Turquie que le triste conseil de la résignation. L'affaiblissement de la politique française avait été récemment plus sensible encore en Hollande. Le prince d'Orange Guillaume V, stathouder héréditaire, conspirait depuis plusieurs années pour s'y emparer du pouvoir absolu. Il n'avait pour lui qu'une minorité des citoyens; mais l'Angleterre l'encourageait dans son entreprise contre les États, et il était assuré de l'appui du roi de Prusse, Frédéric-Guillaume II, son beau-frère. De leur côté, les États ne doutaient point de la protection de la France, qui les avait si bien soutenus contre Joseph II. De Montmorin avait en effet promis d'envoyer trente mille hommes en observation sur la frontière, à Givet, pour contenir la Prusse, et le commandement de cette armée devait être confié, disait-on, à la Fayette. Mais Brienne n'avait pas tardé à dissiper la somme destinée à cet envoi de troupes. Il résista aux ministres de la guerre et de la marine, Ségur et Castries, qui considéraient la France comme en

Ces provocations au mépris et à la haine se répandaient et se répercutaient en échos prolongés dans toute la France; elles descendaient insensi-gagée d'honneur à porter secours à la république blement jusqu'aux rangs les plus obscurs de la société.

« Comme le peuple n'avait pas paru un seul instant, depuis cent quarante ans, sur la scène des affaires publiques, on avait absolument cessé de croire qu'il pût jamais s'y montrer; en le voyant si insensible, on le jugeait sourd; on se mit à parler de lui-même comme s'il n'avait pas été là. Il semblait qu'on ne dût être entendu que de ceux qui étaient placés au-dessus de lui, et que le scul danger qu'il y eût à craindre était de ne pas se faire bien comprendre de ceux-là. Les gens qui avaient le plus à redouter sa colère s'entretenaient à haute voix, en sa présence, des injustices cruelles dont il avait toujours été victime; ils se montraient les uns aux autres les vices monstrueux que renfermaient les institutions qui lui étaient le plus pesantes; ils employaient leur rhétorique à peindre ses misères et son travail mal récompensé; ils le remplissaient de fureur en s'efforçant ainsi de le soulager. Je n'entends point parler des écrivains, mais du gouvernement, de ses principaux

hollandaise. A la faveur des hésitations qu'amenèrent ces dissentiments, le stathouder excita une émeute à la Haye, et obtint du roi de Prusse le secours d'un corps de vingt mille Prussiens, commandés par le duc de Brunswick. La guerre civile éclata dans toute la Hollande. Le gouvernement français, impassible, conseilla aux États généraux de ne pas prolonger leur résistance, et le prince d'Orange, délivré de toute crainte, traita la Hollande en pays conquis (4787). L'Angleterre, témoin de tant de faiblesse, arma en même temps que la Prusse. Le cabinet de Versailles s'émut alors, et donna l'ordre d'armer aussi une flotte au port de Brest. Cependant Brienne obtint de Pitt un désarmement mutuel. Ainsi le pouvoir royal vit se dissiper, à son désavantage, le prestige de la guerre d'Amérique, et l'attention soupçonneuse du public demeura toute concentrée sur les difticultés croissantes de la politique intérieure où l'engageaient la maladroite assurance et l'impuissante activité de Brienne.

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A Troyes, le Parlement avait reçu des députations de divers corps de la magistrature, et des représentants de l'Université elle-même, chargés de le féliciter et de l'encourager à la résistance. L'opinion se prononçait de plus en plus énergiquement. en sa faveur. Devant cette unanimité hostile, le roi et les ministres se virent contraints à des concessions. Ils renoncèrent au timbre et à la subvention territoriale, pour y substituer une prorogation du second vingtième, toutefois sous une forme qui devait assujettir à l'impôt tous les biens, sans distinction. Le Parlement, pour se racheter de l'exil, consentit à enregistrer cet édit, le 19 septembre. A son retour à Paris, il fut accueilli par des acclamations enthousiastes. Le peuple remplit la ville de cris; on força les propriétaires à illuminer pendant plusieurs soirées; on cassa les vitres de ceux qui tardaient à se soumettre à ces sommations. Le 1er octobre suivant, l'émotion durait encore. On jugea et on brûla, sur la place Dauphine, le mannequin de Calonne, « condamné, disait le procès-verbal, pour avoir fait perdre au roi l'amour et la confiance des Français. » On promena deux mannequins représentant, l'un le baron de Breteuil, l'autre la duchesse de Polignac, et on livra aux huées le nom de la reine, que l'on appelait déjà « Madame Déficit. »>

Cependant la prorogation du vingtième n'était une ressource que pour l'avenir; le présent n'y gagnait rien l'argent manquait. Brienne proposa de créer des emprunts graduels pendant cinq ans (de 1788 à 1792), et devant s'élever ensemble à la somme de 420 millions. Pour s'assurer de l'enregistrement de cet édit, Brienne et Lamoignon imaginèrent de le présenter au Parlement avec solennité, dans une séance royale, le 19 novembre, en même temps qu'un édit ayant pour but de rendre l'état civil aux non-catholiques. Cette séance fut plus funeste au trône qu'aucune de celles qui l'avaient précédée. Louis XVI, comme d'habitude, affecta dans son discours une fermeté qu'on savait bien être fort éloignée de son caractère. « La religion sainte, dit-il, me commande elle-même de ne pas laisser une partie de mes sujets privés de leurs droits naturels et de ce que l'état de société leur permet... Mes parlements doivent compter sur ma confiance et mon affection; mais ils doivent les mériter. » Le garde des sceaux rappela aux membres du Parlement les vrais principes du gouvernement qu'eux-mèmes avaient consacrés dans un arrêté du 20 mars 4776: qu'au roi seul appartient la puissance souveraine de son royaume; qu'il n'est comptable qu'à Dieu seul de l'exercice du pouvoir suprême; que le pouvoir législatif réside dans la personne du souverain, sans dépendance ni partage, etc. Une discussion s'engagea sur le projet d'emprunt, et dura sept heures. Les conseillers

Robert, Freteau, Duval d'Espréménil, parlérent avec véhémence. Le dernier demanda, avec la plus vive instance, la convocation des États généraux. On se préparait à voter; mais, après avoir consulté le roi, le garde des sceaux se borna à prononcer l'enregistrement, « sans que les avis eussent été réduits et les voix comptées. » La séance royale se trouvait ainsi tout à coup transformée en lit de justice. On s'en indigna comme d'une surprise faite à la bonne foi du Parlement. Au milieu de l'agitation qui se manifestait, le duc d'Orléans se leva, hésita quelques instants, et dit, en mots entrecoupés: « Sire... cet enregistrement me paraît illégal... il faudrait exprimer que l'enregistrement est fait par l'exprès commandement de Votre Majesté. » Le prince était troublé ; Louis XVI le fut aussi, et dit ces mots : « Cela m'est égal... vous êtes bien le maître... Si, c'est légal, parce que je le veux. » (Droz.) Quand le roi se fut retiré, le Parlement déclara qu'il ne voulait prendre aucune part à l'enregistrement de l'édit relatif aux emprunts.

Le lendemain, le duc d'Orléans fut exilé dans une de ses terres, et deux conseillers du Parlement, l'abbé Sabatier et Freteau, furent conduits dans des prisons d'État, puis exilés.

Le Parlement protesta contre ces actes d'autorité, et, sur la motion du conseiller Duport (la plupart des expressions dont l'on se servit pendant la révolution française étaient déjà usitées), il déclara les lettres de cachet contraires au droit naturel, et réclama des garanties pour la liberté individuelle (4 janvier 1788). Le roi fit effacer cette déclaration sur les registres.

Trois mois après, le 44 avril, le Parlement fit de nouvelles remontrances sur la séance du 19 novembre. Dans sa réponse, le roi l'accusa « d'aristocratie. » Le Parlement répondit : « Non, Sire, point d'aristocratie en France, mais point de despotisme.» On en était aux injures révolutionnaires, et sur le pied de l'égalité. Vers la fin du mois, le conseiller Goislard de Montsabert ayant dénoncé des abus dans la perception du second vingtième, le Parlement arrêta, le 29 avril, que les gens du roi informeraient sur la conduite des contrôleurs. C'était entraver la levée de l'impôt et soulever les récriminations des contribuables d'une extrémité du royaume à l'autre.

Il devenait de plus en plus impossible de gouverner. Brienne et Lamoignon préparerent, avec tout le mystère possible, des mesures décisives pour détruire à jamais l'action politique du Parlement. Cependant le secret ne fut point parfaitement gardé. Le Parlement, averti, s'assembla et vota à l'unanimité, sur le rapport de d'Espréménil, premièrement, une protestation contre les projets des ministres, qui « menaçaient la constitution de l'État et de la magistrature », et, secondement, une déclaration de principes rappelant « le droit de la nation d'accorder librement les subsides, par l'organe des États généraux librement convoqués

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