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semblée nationale va s'occuper, sans distinction et sans relâche, de la régénération du royaume et du bonheur public. >>>

EXIL DE NECKER. PROJETS DE LA COUR. ÉMEUTE.

Cette confiance n'était qu'apparente. On savait trop bien que la cour n'était nullement résignée à cette prédominance d'initiative et d'action que la députation du tiers état devait à l'accord de ses principes avec le sentiment populaire. On vit bientôt le nombre des troupes s'accroître rapidement à Versailles, et entre cette ville et Paris. Des régiments, pour la plupart suisses, allemands ou irlandais, venus des frontières, se groupaient sous le commandement du vieux maréchal de Broglie. Le baron de Bezenval, Suisse, avait le commandement des troupes de la capitale. « M. Necker, dit Mme de Staël, n'ignorait pas le véritable objet pour lequel on faisait avancer les troupes, bien qu'on voulût le lui cacher. L'intention de la cour était de réunir à Compiègne tous les membres des trois ordres qui n'avaient point favorisé le système des innovations, et là de leur faire consentir à la hâte les impôts et les emprunts dont elle avait besoin, afin de les renvoyer ensuite. » (Considérations sur la révolution française.) Quant aux autres députés, il était question de les faire conduire en poste et sous escorte en exil ou à leurs demeures. Si l'on avait tardé à mettre à exécution ces mesures violentes, c'est qu'on avait attendu les régiments étrangers : on ne pouvait compter que sur eux pour agir contre l'Assemblée ou contre les manifestations politiques des citoyens. A Paris, le régiment des gardes françaises avait refusé, le 23 juin, de tirer sur un attroupement tumultueux. Beaucoup de soldats désertaient les casernes et se mělaient aux groupes en criant : « Vive la nation ! » et « Vive le tiers! » Le 30 juin, dans le Palais-Royal, le bruit ayant couru que onze gardes françaises, détenus à la prison de l'Abbaye pour n'avoir pas voulu tourner leurs armes contre leurs concitoyens, devaient être transférés pendant la nuit à Bicêtre, plusieurs jeunes gens s'étaient élancés en criant: <<< A l'Abbaye! » la foule les avait suivis; des ouvriers s'étaient armés d'instruments pillés chez un ferrailleur; on avait enfoncé les portes de la prison, et conduit en triomphe, au Palais-Royal, les prisonniers délivrés. Le lendemain, une députation vint demander à l'Assemblée nationale d'intervenir pour obtenir leur grâce. Le roi l'accorda, après que, pour la forme, on eut réintégré les soldats à l'Abbaye, et les rumeurs de Paris parurent un moment apaisées.

Toutefois la présence des troupes continuait à exciter la méfiance. Mirabeau fit la motion que le roi fùt invité à faire éloigner les troupes. Il proposa et fit voter une adresse où l'Assemblée disait à Louis XVI : « Renvoyez vos soldats au poste d'où vos conseillers les ont tirés; renvoyez cette artil

lerie, destinée à couvrir nos frontières; renvoyez surtout les troupes étrangères, ces alliés de la nation, que nous payons pour défendre et non pour troubler nos foyers. » Le roi répondit que l'Assemblée n'avait rien à craindre de la présence des troupes, et que, du reste, si elle en concevait aucune alarme, il était prêt à transporter le siége des États à Soissons ou à Noyon. L'Assemblée ne pouvait être satisfaite de cette offre « de l'éloigner de la capitale pour la placer entre deux camps. » (Thiers.) C'était laisser entrevoir ce qu'on préméditait contre elle. Les doutes sur un projet de coup d'État se changèrent en conviction lorsqu'on appprit tout à coup, le 12 juillet, que la veille, Necker disgracié avait été exilé secrètement, et qu'il était déjà hors de France: il fallait que, par ses conseils ou sa seule présence, ce ministre eût fait obstacle à quelque funeste dessein.

A cette nouvelle, disent les contemporains, une agitation rapide, extrème, se communique de Versailles à Paris. On s'attend à un mouvement des troupes. La crainte et l'indignation enflamment les esprits. On barricade les rues. Le peuple ému, bruyant, remplit les places publiques. Au PalaisRoyal, centre des rassemblements, Camille Desmoulins harangue la foule, l'engage à courir aux armes pour prévenir « une Saint-Barthélemy de patriotes dont le renvoi de Necker est le tocsin. >>> Sur sa proposition, la cocarde verte, « couleur de l'espérance», est adoptée comme signe de rallicment: on dépouille les marronniers du jardin. Une troupe de citoyens promène par la ville les bustes de Necker et du duc d'Orléans voilés d'un crèpe noir. Sur la place Vendôme, elle est arrêtée par un détachement de dragons; un garde française sans armes est tué. Dans l'après-midi, des escadrons de royal-allemand, commandés par le jeune prince de Lambesc, entrent dans le jardin des Tuileries, rempli de peuple, de femmes, d'enfants: un grand nombre de personnes sont renversées sous les pieds des chevaux; un vieillard est tué d'un coup de sabre; la foule se précipite dehors avec effroi, et de toutes parts le cri: Aux armes! retentit avec plus de force et d'unanimité. Les gardes françaises se rangent du côté du peuple; les soldats du Champ de Mars conduits contre cux refusent de se battre. Pendant le désordre, des gens sans aveu qu'on s'habituait à désigner sous le nom de « brigands >>> se livrent au pillage. Les électeurs des soixante districts, qui avaient continué à se réunir après l'ouverture des États généraux pour rester en relation avec leurs commettants, accourent à l'hôtel de ville: présidés par Flesselles, prévôt des marchands, ils s'investissent eux-mêmes de l'autorité municipale qui est impuissante, abandonnée, et envoient une députation à l'Assemblée pour demander l'établissement d'une milice bourgeoise.

A Versailles, en apprenant cette insurrection de la capitale, la grande majorité des députés des trois ordres mettent en oubli leurs dissentiments :

loyauté française, et se déclare en permanence.

Mounier, Lally-Tollendal, proposent de voter des << de quelque rang et état qu'ils pussent être », hommages à Necker et de demander son rappel. | place la dette publique sous la sauvegarde de la De Clermont - Tonnerre s'écrie : « La constitution sera, ou nous ne serons plus! » Avertie que le peuple en armes veut marcher contre les troupes des Champs-Élysées, l'Assemblée envoie une députation au roi pour le prier de faire éloigner les soldats et de rappeler Necker. Le roi répond que c'est à lui seul de juger de la nécessité des mesures à prendre. Alors l'Assemblée décrète la responsabilité des ministres et des conseillers du roi,

En même temps, à Paris, le comité de l'hôtel de ville lève une garde bourgeoise de quarantecinq mille hommes; les gardes françaises y forment des compagnies soldées. Pendant qu'on cherche à organiser ainsi une force publique, des bandes d'hommes furieux dévastent la maison des Lazaristes, pillent le garde-meuble, les boutiques des armuriers, et demandent à grands cris des

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14 juillet 1789. — Prise de la Bastille. - D'après une gravure du temps. (Collection Hennin.)

armes au comité, réduit à faire forger des piques. La nuit est tumultueuse : l'incendie des barrières, des feux de bivouac, éclairent les agitations du peuple, qui attend avec une ardeur frémissante le lever du jour.

PRISE DE LA BASTILLE.

d'un district, va sommer le gouverneur Delaunay de retirer ses canons et adjurer la garnison, composée de quarante Suisses et de quatre-vingts invalides, de ne pas tirer sur le peuple. Delaunay hésite, et il n'est déjà plus possible d'apaiser l'effervescence des assaillants. L'attaque de la Bastille subite, impétueuse, dure cinq heures, sous un feu meurtrier; deux citoyens, Hulin et Elie, avaient pris la direction du siége; les gardes françaises avaient amené des canons. La Bastille cependant pouvait résister: elle n'est pas prise; elle se livre. La garnison, découragée, demande à capituler; Delaunay veut faire sauter les poudres; ses hommes l'en empêchent, et abaissent un pont-levis. La capitulation n'avait pour garants que des chefs improvisés; au milieu de l'irruption de la foule dans les cours et les escaliers, ils ne peuvent empêcher le massacre du gouverneur et de plusieurs soldats. Une lettre trouvée sur Delaunay, et qui lui était adressée

Le 44, dès le matin, une foule nombreuse se porte aux Invalides, et, en vue des troupes du Champ de Mars, malgré les prières du gouverneur (Sombreuil), s'empare de vingt-cinq mille fusils et des canons. D'un mouvement unanime, elle revient en arrière et se dirige vers la Bastille, objet de l'exécration publique, surtout depuis la publication des Mémoires de Linguet. L'artillerie de cette forteresse, tournée contre la rue SaintAntoine, devait, disait-on, foudroyer le quartier, en même temps que les troupes royales attaqueraient le peuple. Thuriot de la Rosière, député 1 par Flesselles, contenait, dit-on, ces mots : « Tenez

bon jusqu'à ce soir; vous aurez du renfort. » Sur cette rumeur, on court arracher Flesselles de l'hôtel de ville pour le juger au Palais-Royal; il est tué d'un coup de pistolet au coin du quai Pelletier.

L'Assemblée nationale avait appris par des messagers, d'instant en instant, les progrès de l'insurrection; mais la victoire même du peuple ne la préservait pas des dangers qui, depuis plusieurs jours, la menaçaient. Le baron de Breteuil, qui avait succédé à Necker comme chef du ministère, avait annoncé hautement la volonté de relever l'autorité royale. La prise de la Bastille pouvait être une occasion de faire marcher les régiments étrangers contre les représentants, et ensuite contre Paris. On avait distribué du vin aux soldats dans l'Orangerie, et on imprimait un manifeste destiné à être répandu dans tout le royaume en même temps que 400 millions de billets d'État. A ces projets de la cour et à la force armée, l'Assemblée n'avait à opposer que la conscience de ses devoirs. Elle attendit, calme et résolue. Pendant la journée et la soirée du 44, elle envoya deux députations au roi, qui pouvait être mal informé, pour lui faire connaître ce qui se passait à Paris. Le roi parut touché, mais ne répondit que d'une manière vague. L'Assemblée demeura en séance pendant la nuit. Il y eut un moment où l'on voulut envoyer une troisième députation au château : « Non, dit Clermont-Tonnerre, laissons-leur la nuit pour conseil; il faut que les rois, ainsi que les autres hommes, achètent l'expérience. >> Vers le matin, cependant, on décida qu'une commission nombreuse, présidée par Lafayette, irait faire de dernières représentations au roi: « Dites-lui bien, s'écria Mirabeau, dites-lui que les hordes étrangères dont nous sommes investis ont reçu hier la visite des princes, des princesses, des favoris, des favorites, et leurs caresses, et leurs exhortations, et leurs présents; dites-lui que toute la nuit ces satellites étrangers, gorgés d'or et de vin, ont prédit, dans leurs chants impies, l'asservissement de la France, et que leurs vœux brutaux invoquaient la destruction de l'Assemblée nationale... Dites-lui que ce Henri dont l'univers bénit la mémoire, celui de ses aïeux qu'il voulait prendre pour modèle, faisait passer des vivres dans Paris révolté qu'il assiégeait en personne, et que ses conseillers féroces font rebrousser des farines que le commerce apporte dans Paris fidèle et affamé. »

Au moment où la députation allait porter au château cette véhémente apostrophe, un incident l'arrêta. Le roi n'était plus dans les dispositions morales qui lui avaient dicté ses précédentes réponses. Pendant la nuit, le duc de Liancourt lui avait raconté avec détails la prise de la Bastille, et dépeint sous son véritable jour la situation de Paris. << Mais c'est une révolte! » avait dit le monarque étonné. - << Non, Sire, c'est une révolution», avait répondu le duc. - M. de Liancourt vint annoncer que le roi, de son propre mouve

ment, se préparait à se rendre au milieu des représentants de la nation. Des applaudissements éclatèrent; Mirabeau les arrêta en disant : « Attendons que Sa Majesté nous fasse connaître les bonnes dispositions qu'on nous annonce de sa part. Le sang de nos frères coule à Paris. Qu'un morne respect soit le premier accueil fait au monarque par les représentants d'un peuple malheureux: le silence des peuples est la leçon des rois. » Bientôt après, sans autre cortége que celui de ses deux frères, debout, découvert, à quelques pas de la porte, ayant devant lui toute l'Assemblée, Louis XVI, dans une brève allocution, exprima la douleur que lui causaient les désordres de la capitale. Il protesta que les membres de l'Assemblée n'avaient jamais eu rien à craindre pour leur sûreté, les invita « à trouver les moyens de ramener l'ordre et le calme», et annonça « l'ordre donné aux troupes de s'éloigner de Paris et de Versailles. » Il dit aussi avec émotion : « C'est moi qui ne suis qu'un avec la nation, c'est moi qui me confie à vous ! >>> Les députés des trois ordres le couvrirent d'applaudissements, et quand il sortit, tous, mêlés, sans observer aucun rang, se tenant par la main, ils

l'accompaguèrent à pied jusqu'au château, au milieu d'un grand nombre de spectateurs criant: << Vive le roi ! » Plus tard, dans la journée, l'Assemblée fut avertie du rappel de Necker et de l'intention où était Louis XVI de se rendre le lendemain à Paris.

Dès qu'ils connurent cette visite du roi à l'Assemblée, les Parisiens partagèrent la joie de Versailles. Bailly fut élu maire par les députés des districts, et Lafayette commandant de la garde bourgeoise. A la cocarde rouge et bleue, Lafayette ajouta la couleur blanche, afin d'unir ainsi les antiques couleurs de la ville à celle de la royauté. << Je vous donne, dit-il, une cocarde qui fera le tour du monde. >>>

Le roi, suivant sa promesse, vint à Paris. A son entrée, cent mille hommes armés de fusils, de faux, de piques, formèrent la haie; Bailly lui remit les clefs « de sa bonne ville de Paris » et le conduisit à l'hôtel de ville, où il accepta la cocarde tricolore et confirma les nouvelles magistratures. Paris << avait reconquis son roi », suivant l'expression de Bailly; « Louis était trompé, il ne l'est plus », disait Lafayette. Les conseillers de la résistance, le comte d'Artois, les princes de Condé et de Conti, la duchesse de Polignac, et autres habitués du cercle de la reine, quittèrent la France, donnant ainsi la preuve de leur impuissance politique et le premier signal de l'émigration (46 juillet).

La colère de la multitude n'était cependant pas apaisée. Foulon, ancien intendant de Paris, qui avait été désigné pour entrer dans le nouveau conseil des ministres, et qu'on accusait d'avoir dit qu' << il fallait faire manger du foin au peuple », fut arrêté, traîné à l'hôtel de ville avec une botte de foin sur le dos, et, malgré tous les efforts de Lafayette, on le pendit à un réverbère de la place de Grève, puis on le décapita, et sa tête fut promenée au haut d'une pique. Son gendre, Berthier de Sauvigny, alors intendant de Paris, avait pris la fuite; il fut arrêté à Compiègne, conduit à la Grève, et percé de coups de baïonnette. Necker voulut arrêter ces scènes sanglantes. A l'hôtel de ville, il obtint de l'assemblée des représentants de la commune, présidée par Bailly, une promesse d'amnistie en faveur des personnes accusées de conspirer contre l'Assemblée nationale et contre

le peuple, notamment de Bezenval, qui était arrêté et emprisonné; mais les districts réclamèrent ensuite contre cette grâce qu'on n'avait pas eu le droit d'accorder, et le tribunal du Châtelet fut chargé de juger les conspirateurs du 14 juillet.

Les événements se succédaient ainsi avec une rapidité et une violence qui déconcertaient toutes les prévisions. Depuis près d'une année, il n'y avait plus en France d'autorité capable de maintenir l'ordre. Dès 1788, le pouvoir royal et celui des parlements s'étaient neutralisés l'un l'autre;

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il en avait été de même des intendants et des nouvelles assemblées provinciales. L'armée s'était déshabituée d'obéir à ses chefs, se mutinait souvent, et inclinait sensiblement vers le mouvement révolutionnaire. Enfin, depuis le 5 mai, l'Assemblée nationale divisée, contestée, menacée par le gouvernement, interrompue sans cesse dans ses travaux, ne pouvait accomplir assez rapidement son œuvre législative pour soulager les souffrances du peuple, contenir l'impatience des réformes, et empêcher le fait d'anticiper sur le droit.

(1) Depuis le 25 juillet 1789, l'assemblée des « représentants de la commune», composée de cent vingt députés des districts (deux par district), avait remplacé, par les soins de Bailly, celle des électeurs, dont le nombre était de plus de quatre cents. (Voy. p. 441.)

NUIT DU 4 AOUT.

Les provinces n'étaient pas moins agitées que Paris. Les habitants des villes prenaient les chateaux forts (à Caen, à Bordeaux, etc.) et se déchaînaient contre les privilégiés; les paysans refusaient les redevances, incendiaient les châteaux, brûlaient les titres; des bandes d'hommes errants, assurés de l'impunité, pillaient les campagnes et ajoutaient à tous ces désordres la terreur de leurs méfaits. Pour apaiser cet emportement des passions qui débordait les anciennes barrières, pour arrêter ces excès impunis, l'Assemblée sentit qu'il fallait sans délai, d'un seul coup, par quelque grande manifestation de sympathie, toucher au vif le cœur de la nation. Ce fut l'œuvre de la célèbre séance du 4 août.

Il était huit heures du soir; Target venait de lire | semblée les eût « abrogées ou modifiées », et les un projet d'arrêté où l'on déclarait que les lois impôts perçus jusqu'à l'établissement « de contrianciennes seraient maintenues jusqu'à ce que l'As- | butions ou de formes moins onéreuses. » Tout à

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