avec une témérité aveugle; puis, quand le danger arrivait et se manifestait à ses yeux imprévoyants, elle s'en effrayait d'autant plus qu'elle n'avait pas voulu y croire; elle se troublait, et ses craintes devenaient aussi exagérées qu'avait été sa présomption.» (Barante, Notice sur le comte de SaintPriest.) On ne décida rien. Les gardes du corps, les troupes de ligne, les suisses de Courbevoie, la garde nationale de Versailles, sous le commandement du comte d'Estaing, se rangèrent sur la place d'Armes et occupèrent les différents postes du château. pierre avait pris la parole: « Est-ce au pouvoir | encourageait les imprudences, elle y prenait part exécutif à critiquer le pouvoir constituant, de qui il émane?... Je considère la réponse du roi comme contraire aux principes, aux droits de la nation, et comme opposée à la constitution... » Pétion de Villeneuve et l'abbé Grégoire avaient dénoncé les << orgies» du 2 et du 3 octobre: « Le roi est bon; il est homme; il a été trompé, il le sera encore... Pourquoi cette cocarde noire et blanche arborée, et la cocarde nationale foulée aux pieds dans une orgie qu'on appelle fète militaire? » Un membre voulut exprimer un doute. Mirabeau s'écria: « Je suis prêt, moi, à fournir tous les détails et à les signer; mais auparavant, je demande que cette Assemblée déclare que la personne du roi est seule inviolable, et que tous les autres individus de l'État, quels qu'ils soient, sont également sujets et responsables devant la loi. » C'était désigner la reine. L'Assemblée interdite garda le silence. Cependant la députation des femmes était par venue jusqu'à l'OEil-de-Boeuf. Le roi la reçut et embrassa l'une d'elles, une jeune bouquetière du Palais-Royal. Elles se retirèrent en criant: Vive le roi! Les gardes nationaux de Versailles étaient très-animés. Plusieurs firent feu sur un officier des gardes du corps qui poursuivait un milicien de Paris, et le blessèrent mortellement. Une collision paraissait imminente. Le comte d'Estaing était indécis. De Saint-Priest lui ayant reproché son inaction, il répondit en présence du roi: « Je prends les ordres du roi. » Mais le roi, toujours indécis, garda le silence. Vers six heures du soir, un billet de Lafayette annonça qu'il était en route pour Versailles à la tête de quinze mille gardes nationaux. Il avait résisté tout le jour contre le vœu des Parisiens; mais il avait été forcé d'obéir aux ordres de la commune. Plusieurs milliers d'hommes armés de piques 6 octobre 1789.- Louis XVI et la reine paraissant au balcon du château de Versailles. entrer et fermèrent les grilles. A huit heures, le jeune duc de Richelieu, vètu en ouvrier, arriva pàle, défait, et fit à la reine le récit alarmant de tout ce qu'il avait vu et entendu à Paris et sur la route. Vers dix heures du soir, le roi découragé signa enfin la déclaration des droits, que le président de l'Assemblée attendait depuis si longtemps à la porte du conseil. Presque au même instant, Lafayette arriva, rassura le roi sur les intentions de la garde nationale de Paris, et obtint de lui que les postes extérieurs du château fussent confiés aux anciens gardes françaises, qui étaient devenus les grenadiers de la garde nationale. Peu à peu tout rentra dans le silence. L'Assemblée leva sa séance à trois heures. Le peuple et les soldats de Paris étaient dispersés et endormis. La nuit paraissait devoir être calme. La plupart des officiers des gardes du corps allèrent à leur tour se coucher. Lafayette lui-même se retira vers cinq heures du matin. A six heures, quelques hommes, profitant d'une ssue mal fermée, pénétrèrent dans le château. Aussitôt d'autres les imitèrent. Les gardes du corps voulurent les repousser; plusieurs d'entre eux furent tués. Un groupe d'assaillants parvint jusqu'à la porte de la reine, qui n'eut que le temps de se sauver avec ses enfants dans l'appartement du roi un coup de pistolet et un coup de fusil partirent près d'elle. Une partie du chàteau était au pillage. On décapita deux gardes du corps, et on planta leurs têtes sur des piques. Lafayette entra dans les cours au galop de son cheval; il arrêta l'effusion du sang, et monta vers le roi. Une foule immense, soldats et peuple, couvrait la cour de marbre et la place d'Armes : elle appelait le roi. Le roi parut sur le balcon. Des cris unanimes s'élevèrent : « Vive le roi! Le roi à Paris!» D'autres cris succédèrent : « La reine! >> La reine hésitait; elle entendait son nom mêlé à des imprecations et à des menaces horribles. Lafayette l'encouragea, parut avec elle et ses deux enfants sur le balcon, et lui baisa la main. Le peuple fut ému, applaudit et cria: «< Vive la reine ! »> Sur la demande du roi, Lafayette conduisit ensuite sur le balcon un garde du corps, et le peuple applaudit de même. Mais on criait toujours : « A Paris!» C'était pour emmener la famille royale que l'on était venu à Versailles. « Après une sorte de douloureuse agonie, le roi se résigna, et Lafayette annonça que le roi allait partir. » L'Assemblée, en apprenant cette nouvelle, décida, sur la proposition de Mirabeau, qu'inséparable du roi, elle se transporterait elle-même dans la capitale. Entre midi et une heure, le roi, la reine, leurs enfants, montèrent en voiture, et, entourés d'une députation de cent représentants, de gardes, d'une multitude d'hommes et de femmes du peuple, se dirigèrent vers Paris. On entendait à chaque instant des détonations d'armes à feu. La plupart des figures étaient encore sinistres. Mais il pleuvait, et, par bonheur, on rencontra un convoi de farine qui entra dans la ville en même temps que le cortége. Les femmes disaient : « Nous ne mourrons plus de faim; nous avons le boulanger, la boulangère et le petit mitron! » On conduisit le roi et la reine à l'hôtel de ville. Le roi dit au maire, Bailly « Je viens avec plaisir au milieu de ma bonne ville de Paris. » La reine ajouta : « Et avec confiance. » A neuf heures du soir, la famille royale fut libre de se retirer au château des Tuileries, que les rois avaient cessé d'habiter depuis plus d'un siècle. La reine fit dresser des lits de camp pour ses enfants dans la salle même où elle recevait; elle en faisait des excuses, en ajoutant: « Vous savez que je ne m'attendais pas à venir ici. » << Sa physionomic était belle et irritée. » (Mme de Staël.) La garde du château fut confiée à la garde nationale. La fayette offrit au roi, avec l'assentiment de la commune, de faire venir les gardes du corps; mais la reine refusa, en disant qu'elle ne voulait pas les exposer une seconde fois à être massacrés. Malgré le succès de cette insurrection, et tout en subissant ses conséquences, le gouvernement ordonna au Châtelet d'en rechercher les auteurs. Le duc d'Orléans et Mirabeau se trouvèrent désignés, probablement à tort, par divers témoignages. Sur l'invitation de Lafayette, le duc d'Orléans consentit à séjourner quelque temps en Angleterre, sous prétexte d'une mission. Mirabeau eut à se défendre plus tard devant ses collègues contre la procédure du Châtelet, et n'eut point de peine à réduire ses accusateurs au silence. ་ VENTE NOUVELLE DIVISION TERRITOCONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. L'Assemblée, transportée à Paris, s'y installa d'abord dans l'Archevêché (19 octobre) et ensuite (9 novembre) dans la salle du Manége des Tuileries, qui communiquait au palais par la terrasse des Feuillants. « L'accès de révolution » du 6 octobre assurait à ses travaux constitutionnels plus de sécurité. Une partie de ceux qui conspiraient contre elle avaient émigré, dès le 7, à Turin, près du comte d'Artois; d'autres s'étaient réfugiés dans les provinces; Mounier et Lally-Tollendal, membres éminents de la fraction de l'Assemblée qui, comme Necker, auraient voulu introduire en France la constitution anglaise, s'étaient découragés et retirés. Le parti national l'emportait de beaucoup par le nombre et la force ses représentants les plus influents étaient Barnave, Duport et Alexandre Lameth. Au-dessus d'eux, Mirabeau, sans rival à la tribune, et Sieyès, qui avait le génie du législateur, continuèrent à dominer et à diriger les délibérations. Paris était à peu près paisible; on n'y pressentait plus de causes imminentes de soulèvement. La disette, il est vrai, sévissait encore; mais on mettait en œuvre tous les moyens nécessaires pour en hâter la fin. Les citoyens modérés, et à leur tête Lafayette et Bailly, désiraient sincèrement contenir les passions. « Il y eut hier (20 octobre), écrivait Lafayette à Mounier, un boulanger pendu par le peuple (à la lanterne de la place de Grève); j'ai fait arrêter le pendeur, un coupeur de tête et un homme qui avait essayé d'ameuter. Ces gens ont été jugés d'après la nouvelle forme (au Châtelet). Deux ont été exécutés hier, l'autre le sera demain. Il s'assemble ce soir un conseil de guerre pour juger les officiers et les soldats qui n'ont pas opposé assez de fermeté à l'émeute du boulanger. » Le 24 octobre, sur la proposition de Lafayette et de Bailly, l'Assemblée vota la « loi martiale», qui rendit les municipalités responsables à l'avenir des désordres de la rue, et consacra de nouveau le droit, qu'elles tenaient déjà du à la commune, l'autre à l'Assemblée, eurent mission de faire connaître les tentatives des partisans de l'ancien regime ayant pour but d'exciter des manifestations hostiles aux lois nouvelles. Cependant, on se retrouvait périodiquement en présence de la question financière, de plus en plus inquiétante le commerce et l'industrie étaient paralysés; le travail était interrompu; l'Assemblée était en demeure de faire ce que tous les contrôleurs généraux avaient vainement tenté : combler le déficit et assurer l'avenir. La contribution extraordinaire du quart du revenu pour une seule année, votée le 26 septembre, ne promettait qu'un soulagement temporaire. Il était urgent de recourir enfin à quelque mesure nouvelle, hardie, décisive, qui fût de nature à créer de grandes ressources sans imposer de nouvelles charges au peuple, incapable, dans les circonstances, d'en supporter aucune. Talleyrand, évêque d'Autun, fit la motion de vendre les biens du clergé au profit de l'État (10 octobre). La valeur de ces biens était de plusieurs milliards. Donnés pour le service de la religion, disait Talleyrand, ces biens pouvaient recevoir de la loi une autre destination, à la condition que ce service n'eût pas à en souffrir. Le ` clergé était administrateur et non propriétaire de ses biens. La monarchie avait souvent fait emploi des richesses ecclésiastiques dans l'intérêt de l'État, et il s'en était déjà fallu de peu que les immeubles du clergé n'eussent été vendus sous Charles IX (États généraux de 1561). La proposition de Talleyrand souleva, comme on ne pouvait en douter, une opposition très-vive dans le parti ecclésiastique; mais la majorité de l'Assemblée adopta le projet, et décida que les biens du clergé seraient « à la disposition » de l'État, qui prendrait à sa charge les dépenses du culte et allouerait à ses membres des traitements proportionnés à leurs rangs et dignités dans la hiérarchie catholique. Cette loi, du 2 novembre 1789, acheva de détruire politiquement le premier des deux ordres privilégiés. On mit d'abord en vente une portion des biens du clergé pour la valeur de quatre cents millions (19 décembre), et, en attendant qu'il se présentat un nombre suffisant de citoyens pour les acquérir, les municipalités achetérent et payé rent l'État en bons sur elles-mêmes. Le papier <«< municipal »>, bientôt billet « d'État », était, à la volonté du porteur, un titre de propriété réalisable, ou une valeur dont la circulation était obligatoire. Il ne fut émis qu'une quantité de ces assignats territoriaux équivalente à la valeur des biens qui devaient être vendus. « Tel fut le commencement de ce papier-monnaie, qui permit à la révolution l'accomplissement de si grandes choses, et qui fut discrédité par des causes qui tenaient moins à sa nature qu'à l'usage postérieur qu'on en fit. » (Mignet, Hist. de la rév. franç.) L'abolition des voeux monastiques, prononcée conformémentà la rédaction de l'abbé de Montesquiou (13 février 4790), ne causa pas une grande irritation les religieux et les religieuses eurent d'ailleurs la liberté de continuer à vivre en communautés ou de rentrer dans le monde en y subsistant à l'aide de pensions garanties par l'État. L'une des plus heureuses inspirations de l'Assemblée fut de détruire l'ancien partage territorial du royaume en provinces et d'y substituer la division en départements. Aucune loi n'eut plus de puissance pour préparer l'unité indissoluble de la France, non-seulement sous le rapport des lois et de l'administration, mais encore sous celui des sentiments et des mœurs. Le projet, conçu par Sieyès, fut présenté au comité par Thouret (22 décembre), et, le 20 janvier 4790, l'Assemblée décréta que la France serait partagée en quatrevingt-trois départements à peu près égaux en étendue et en population; chaque département, en districts; le district, en cantons. On donna au département un conseil administratif de trente-six membres et un directoire exécutif de cinq, l'un permanent, l'autre tenant des séances annuelles. Le district eut également un conseil et un directoire, qui relevèrent du conseil et du directoire du département, par lequel ils se relièrent, hiérarchiquement, le premier, à l'Assemblée de la nation, le second, au pouvoir exécutif du roi. Le canton, formé de l'ensemble de cinq ou six communes, était seulement centre électoral. Quant au système d'élection, on jugea nécessaire de le constituer à deux degrés : le premier degré fut composé de tous les citoyens actifs, qui, réunis au canton, devaient nommer les électeurs proprement dits. Pour être citoyen actif, il fallait avoir vingt-cinq ans, payer directement à l'État l'équivalent de trois journées de travail, n'être pas dans une position de domesticité, être inscrit au rôle des gardes nationales, avoir prêté le serment civique. Les électeurs, nommés par les assemblées primaires, avaient à nommer à leur tour les membres de l'Assemblée nationale, les administrations du département et du district, les juges des tribunaux. Tous les pouvoirs, sauf le pouvoir royal, émanaient ainsi de l'élection. L'administration de la commune fut de mème organisée au moyen d'un conseil général et d'une municipalité, les officiers municipaux devant être nommés directement par tous les administrés. Comme conséquence, on voulut introduire un ordre analogue dans l'administration temporelle du culte catholique, et l'on rendit le décret, désigné sous le titre de « Constitution civile du clergé », qui suscita contre la révolution les haines les plus vives et « fit calomnier l'Assemblée plus que tout ce qu'elle avait fait.» (Thiers.) Par ce décret, discuté pendant les mois de juin et de juillet, et qui fut l'œuvre surtout des chrétiens jansénistes, les évêchés, dont quelques-uns occupaient un territoire immense (quinze cents lieues), tandis que d'autres étaient restreints à de médiocres proportions (vingt lieues), furent divisés en un nombre égal à celui des départements, et les évêques et curés furent soumis, comme anciennement, à l'élection populaire au lieu d'être choisis par le roi. On établissait ainsi le même esprit et une symétrie parfaite dans toutes les parties de l'administration. Le roi écrivit au pape pour obtenir son consentement à cette innovation. Une proposition faite à l'Assemblée de déclarer que la religion catholique aurait seule un culte public fut écartée comme ne pouvant être l'objet d'une décision législative. On ne saurait trop regretter qu'à ce moment les constituants n'aient pas cru devoir proclamer la liberté entière des cultes. L'ordre de la noblesse avait effacé lui-même ses priviléges pendant la nuit du 4 août; il était réservé toutefois à l'un de ses représentants, le vicomte Matthieu de Montmorency, de porter le dévouement encore plus loin et de consommer le sacrifice en faisant adopter, le 20 juin, la suppression des titres et de l'hérédité nobiliaires, des armoiries et des livrées. Des mesures plus radicales et de plus de portée furent celles qui supprimérent la vénalité des charges et emplois militaires, et attribuérent définitivement, pour l'avenir, tous les grades dans l'armée au mérite et à l'ancienneté, indépendamment de toute condition de naissance ou de fortune. Enfin, l'Assemblée em pêcha le retour des prodigalités royales aux courtisans par la publicité qu'elle donna au «< livre rouge», où s'inscrivaient les sommes délivrées sur des << bons » de faveur signés par le roi. On était préparé à cette révélation de la scandaleuse avidité des grands seigneurs; mais elle ne découvrit rien de fàcheux pour le caractère du roi et de la reine. Louis XVI avait eu soin de sceller les feuillets contenant le détail des ignobles libéralités de Louis XV. L'Assemblée respecta ce scellé. Il restait à changer l'organisation judiciaire, si défectueuse, et dont les cahiers avaient été unanimes à demander la réforme. Les parlements n'avaient ni la générosité de la noblesse ni le pouvoir de résistance du clergé; mais leurs essais de remontrances, qui avaient embarrassé si fort la royauté, vinrent s'éteindre devant la barre de l'Assemblée, sans éveiller dans l'opinion la moindre sympathie. Après leur avoir accordé des vacances illimitées, l'Assemblée les supprima, et constitua tout un ordre nouveau de magistrature en harmonie avec le système administratif. On établit le jury pour les matières criminelles; deux degrés de juridiction pour les matières civiles, et au-dessus une cour de cassation chargée d'assurer la régularité des formes judiciaires dans tout le royaume. Les magistrats furent soumis à l'élection suivant certaines conditions de recrutement pour les tribunaux supérieurs. On décida enfin qu'il y aurait un tribunal criminel et d'appel à chaque chef-lieu de département, un tribunal civil dans chaque district, et un tribunal de paix dans chaque canton. La peine de mort fut maintenue, malgré les efforts de Duport et de Robespierre; toute espèce de torture fut supprimée, et la décollation déclarée le seul mode d'exécution des peines capitales. Les esprits sincères et exempts de préjugés applaudissaient à ces grandes entreprises de l'Assemblée constituante. La nouvelle législation dépouillait la France de son apparente caducité, lui rendait le sentiment de ses forces, et ouvrait devant elle les portes de l'avenir. Convaincue de la nécessité d'achever et de consolider son œuvre, l'Assemblée résista aux sommations que ses adversaires lui firent de se dissoudre en lui opposant les vœux des bailliages, qui avaient limité son mandat à la durée d'une année. « C'eût été détruire la constitution et la liberté que de renouveler l'Assemblée avant même que la constitution fût finie. >> (Chapelier.)« Et depuis quand, s'écria un jour l'abbé Maury, depuis quand êtes-vous devenus une convention nationale? »> Mirabeau s'élança à la tribune « C'est depuis le jour où, trouvant l'entrée de leurs séances environnée de soldats, les représentants allèrent se réunir dans le premier endroit où ils purent se rassembler, pour |