Que faisiez-vous alors? Pourquoi, sans Hippolyte, Des héros de la Grèce assembla-t-il l'élite? Pourquoi, trop jeune encor, ne pûtes-vous alors Entrer dans le vaisseau qui le mit sur nos bords? Par vous auroit péri le monstre de la Crète, Malgré tous les détours de sa vaste retraite : Pour en développer l'embarras incertain Ma sœur du fil fatal eût armé votre main. Mais non: dans ce dessein je l'aurois devancée; L'amour m'en eût d'abord inspiré la pensée; C'est moi, prince, c'est moi dont l'utile secours Vous eût du labyrinthe enseigné les détours. Que de soins m'eût coûté cette tête charmante! Un fil n'eût point assez rassure votre amante : Compagne du péril qu'il vous falloit chercher, Moi-même devant vous j'aurois voulu marcher; Et Phèdre au labyrinthe avec vous descendue Se seroit avec vous retrouvée ou perdue.
Dieux! qu'est-ce que j'entends! Madame, oubliez-vous Que Thésée est mon père, et qu'il est votre époux?
Et sur quoi jugez-vous que j'en perds la mémoire, Prince? Aurois-je perdu tout le soin de ma gloire ?
Madame, pardonnez: j'avoue, en rougissant, Que j'accusois à tort un discours innocent. Ma honte ne peut plus soutenir votre vue; Et je vais...
Ah, cruel! tu m'as trop entendue!
Je t'en ai dit assez pour te tirer d'erreur. Hé bien! connois donc Phèdre et toute sa fureur : J'aime. Ne pense pas qu'au moment que je t'aime, Innocente à mes yeux, je m'approuve moi-même, Ni que du fol amour qui trouble ma raison Ma lâche complaisance ait nourri le poison : Objet infortuné des vengeances célestes, Je m'abhorre encor plus que tu ne me détestes. Les dieux m'en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc Ont allumé le feu fatal à tout mon sang; Ces dieux qui se sont fait une gloire cruelle De séduire le cœur d'une foible mortelle. Toi-même en ton esprit rappelle le passé : C'est peu de t'avoir fui, cruel, je t'ai chassé J'ai voulu te paroître odieuse, inhumaine; Pour mieux te résister j'ai recherché ta haine. De quoi m'ont profité mes inutiles soins? Tu me haïssois plus, je ne t'aimois pas moins; Tes malheurs te prêtoient encor de nouveaux charmes. J'ai langui, j'ai séché dans les feux, dans les larmes : Il suffit de tes yeux pour t'en persuader, Si tes yeux un moment pouvoient me regarder. Que dis-je ? cet aveu que je te viens de faire, Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire? Tremblante pour un fils que je n'osois trahir, Je te venois prier de ne le point hair : Foibles projets d'un cœur trop plein de ce qu'il aime! Hélas! je ne t'ai pu parler que de toi-même !
Venge-toi, punis-moi d'un odieux amour : Digne fils du héros qui t'a donné le jour, Délivre l'univers d'un monstre qui t'irrite. La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte! Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t'échapper: Voilà mon cœur, c'est là que ta main doit frapper. Impatient déjà d'expier son offense, Au-devant de ton bras je le sens qui s'avance. Frappe: ou si tu le crois indigne de tes coups, Si ta haine m'envie un supplice si doux, Ou si d'un sang trop vil ta main seroit trempée, Au défaut de ton bras prête-moi ton épée;
Que faites-vous, madame! Justes dieux!
Mais on vient: évitez des témoins odieux. Venez, rentrez; fuyez une honte certaine.
SCÈNE VI.
HIPPOLYTE, THERAMÈNE.
EST-CE Phèdre qui fuit, ou plutôt qu'on entraîne? Pourquoi, seigneur, pourquoi ces marques de douleur ? Je vous vois sans épée, interdit, sans couleur?
Théramène, fuyons. Ma surprise est extrême : Je ne puis sans horreur me regarder moi-même. Phèdre... Mais non, grands dieux! qu'en un profond oubli Cet horrible secret demeure enseveli.
Si vous voulez partir la voile est préparée: Mais Athènes, seigneur, s'est déjà déclarée; Ses chefs ont pris les voix de toutes ses tribus: Votre frère l'emporte, et Phèdre a le dessus.
Un héraut chargé des volontés d'Athènes
De l'état en ses mains vient remettre les rênes. Son fils est roi, seigneur.
Dieux, qui la connoissez,
Est-ce donc sa vertu que vous récompensez?
Cependant un bruit sourd veut que le roi respire; On prétend que Thésée a paru dans l'Épire :
Mais moi, qui l'y cherchai, seigneur, je sais trop bien...
N'importe; écoutons tout, et ne négligeons rien. Examinons ce bruit, remontons à sa source. S'il ne mérite pas d'interrompre ma course, Partons; et, quelque prix qu'il en puisse coûter, Mettons le sceptre aux mains dignes de le porter.
AH! que l'on porte ailleurs les honneurs qu'on m'envoie: Importune, peux-tu souhaiter qu'on me voie? De quoi viens-tu flatter mon esprit désolé? Cache-moi bien plutôt; je n'ai que trop parlé. Mes fureurs au dehors ont osé se répandre : J'ai dit ce que jamais on ne devoit entendre. Ciel! comme il m'écoutoit! Par combien de détours L'insensible a long-temps éludé mes discours! Comme il ne respiroit qu'une retraite prompte! Et combien sa rougeur a redoublé ma honte! Pourquoi détournois-tu mon funeste dessein? Hélas! quand son épée alloit chercher mon sein, A-t-il pâli pour moi? me l'a-t-il arrachée? Il suffit que ma main l'ait une fois touchée, Je l'ai rendue horrible à ses yeux inhumains; Et ce fer malheureux profaneroit ses mains.
Ainsi dans vos malheurs, ne songeant qu'à vous plaindre, Yous nourrissez un feu qu'il vous faudroit éteindre.
« PrécédentContinuer » |