Ne vaudroit-il pas mieux, digne sang de Minos, Dans de plus nobles soins chercher votre repos, Contre un ingrat qui plaît recourir à la fuite, Régner, et de l'état embrasser la conduite?
Moi, régner! moi, ranger un état sous ma loi, Quand ma foible raison ne règne plus sur moi! Lorsque j'ai de mes sens abandonné l'empire! Quand sous un joug honteux à peine je respire! Quand je me meurs!
Il n'est plus temps: il sait mes ardeurs insensées. De l'austère pudeur les bornes sont passées :
J'ai déclaré ma honte aux yeux de mon vainqueur; Et l'espoir malgré moi s'est glissé dans mon cœur. Toi-même, rappelant ma force défaillante, Et mon ame déjà sur mes lèvres errante, Par tes conseils flatteurs tu m'as su ranimer; Tu m'as fait entrevoir que je pouvois l'aimer.
Hélas! de vos malheurs innocente ou coupable, De quoi pour vous sauver n'étois-je point capable? Mais si jamais l'offense irrita vos esprits, Pouvez-vous d'un superbe oublier les mépris?
Avec quels yeux cruels sa rigueur obstinée Vous laissoit à ses pieds peu s'en faut prosternée!
Que son farouche orgueil le rendoit odieux!
Que Phèdre en ce moment n'avoit-elle mes yeux!
OEnone, il peut quitter cet orgueil qui te blesse; Nourri dans les forêts, il en a la rudesse. Hippolyte, endurci par de sauvages lois, Entend parler d'amour pour la première fois : Peut-être sa surprise a causé son silence; Et nos plaintes peut-être ont trop de violence.
Quoique Scythe et barbare, elle a pourtant aimé.
Il a pour tout le sexe une haine fatale.
Je ne me verrai point préférer de rivale. Enfin tous tes conseils ne sont plus de saison : Sers ma fureur, OEnone, et non point ma raison. II oppose à l'amour un cœur inaccessible : Cherchons pour l'attaquer quelque endroit plus sensible. Les charmes d'un empire ont paru le toucher; Athènes l'attiroit, il n'a pu s'en cacher; Déjà de ses vaisseaux la pointe étoit tournée, Et la voile flottoit aux vents abandonnée. Va trouver de ma part ce jeune ambitieux, OEnone; fais briller la couronne à ses yeux;
Qu'il mette sur son front le sacré diadème : Je ne veux que l'honneur de l'attacher moi-même. Cédons-lui ce pouvoir que je ne puis garder. Il instruira mon fils dans l'art de commander; Peut-être il voudra bien lui tenir lieu de père : Je mets sous son pouvoir et le fils et la mère. Pour le fléchir enfin tente tous les moyens; Tes discours trouveront plus d'accès que les miens: Presse, pleure, gemis; peins-lui Phèdre mourante; Ne rougis point de prendre une voix suppliante: Je t'avoûrai de tout; je n'espère qu'en toi. Va: j'attends ton retour pour disposer de moi.
O toi qui vois la honte où je suis descendue, Implacable Vénus, suis-je assez confondue! Tu ne saurois plus loin pousser ta cruauté : Ton triomphe est parfait; tous tes traits ont porté. Cruelle! si tu veux une gloire nouvelle, Attaque un ennemi qui te soit plus rebelle. Hippolyte te fuit, et, bravant ton courroux, Jamais à tes autels n'a fléchi les genoux; Ton nom semble offenser ses superbes oreilles. Déesse, venge-toi; nos causes sont pareilles : Qu'il aime... Mais déjà tu reviens sur tes pas, OEnone! On me déteste; on ne t'écoute pas.
Il faut d'un vain amour étouffer la pensée, Madame; rappelez votre vertu passée :
Le roi, qu'on a cru mort, va paroître à vos yeux; Thésée est arrivé, Thésée est en ces lieux.
Le peuple pour le voir court et se précipite. Je sortois par votre ordre, et cherchois Hippolyte, Lorsque jusques au ciel mille cris élancés...
Mon époux est vivant. OEnone; c'est assez. J'ai fait l'indigne aveu d'un amour qui l'outrage. Il vit; je ne veux pas en savoir davantage.
Je te l'ai prédit; mais tu n'as pas voulu: Sur mes justes remords tes pleurs ont prévalu; Je mourois ce matin digne d'être pleurée; J'ai suivi tes conseils; je meurs déshonorée.
Juste ciel! qu'ai-je fait aujourd'hui!
Mon époux va paroître, et son fils avec lui! Je verrai le témoin de ma flamme adultère Observer de quel front j'ose aborder son père,
Le cœur gros de soupirs qu'il n'a point écoutés, L'œil humide de pleurs par l'ingrat rebutés! Penses-tu que, sensible à l'honneur de Thésée, Il lui cache l'ardeur dont je suis embrasée? Laissera-t-il trahir et son père et son roi? - Pourra-t-il contenir l'horreur qu'il a pour moi? Il se tairoit en vain : je sais mes perfidies, OEnone, et ne suis point de ces femmes hardies Qui, goûtant dans le crime une tranquille paix, Ont su se faire un front qui ne rougit jamais; Je connois mes fureurs, je les rappelle toutes : Il me semble déjà que ces murs, que ces voûtes Vont prendre la parole, et, prêts à m'accuser Attendent mon époux pour le désabuser. Mourons: de tant d'horreurs qu'un trépas me délivre. Est-ce un malheur si grand que de cesser de vivre? La mort aux malheureux ne cause point d'effroi : Je ne crains que le nom que je laisse après moi. Pour mes tristes enfants quel affreux héritage! Le sang de Jupiter doit enfler leur courage : Mais, quelque juste orgueil qu'inspire un sang si beau, Le crime d'une mère est un pesant fardeau. Je tremble qu'un discours, hélas! trop véritable, Un jour ne leur reproche une mère coupable : Je tremble qu'opprimés de ce poids odieux L'un ni l'autre jamais n'osent lever les yeux.
Il n'en faut point douter, je les plains l'un et l'autre; Jamais crainte ne fut plus juste que la vôtre. Mais à de tels affronts pourquoi les exposer ?
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