J'écrivis en Argos, pour håter ce voyage, Que ce guerrier, pressé de partir avec nous, Vouloit revoir ma fille, et partir son époux.
Et ne craignez-vous point l'impatient Achille? Avez-vous prétendu que, muet et tranquille, Ce héros, qu'armera l'amour et la raison, Vous laisse pour ce meurtre abuser de son nom? Verra-t-il à ses yeux son amante immolée ?
'Achille étoit absent, et son père Pélée, D'un voisin ennemi redoutant les efforts, L'avoit, tu t'en souviens, rappelé de ces bords; Et cette guerre, Arcas, selon toute apparence, Auroit dû plus long-temps prolonger son absence." Mais qui peut dans sa course arrêter ce torrent? 'Achille va combattre, et triomphe en courant; Et ce vainqueur, suivant de près sa renommée, Hier avec la nuit arriva dans l'armée.
Mais des nœuds plus puissants me retiennent le bras: Ma fille, qui s'approche, et court à son trépas,
Qui, loin de soupçonner un arrêt si sévère, Peut-être s'applaudit des bontés de son père,
Ma fille... Ce nom seul, dont les droits sont si saints, Sa jeunesse, mon sang, n'est pas ce que je plains : Je plains mille vertus, une amour mutuelle, Sa piété pour moi, ma tendresse pour elle, Un respect qu'en son cœur rien ne peut balancer, Et que j'avois promis de mieux récompenser.
Non, je ne croirai point, ô ciel, que tà justice Approuve la fureur de ce noir sacrifice : Tes oracles, sans doute, ont voulu m'éprouver: Et tu me punirois si j'osois l'achever.
Arcas, je t'ai choisi pour cette confidence; Il faut montrer ici ton zèle et ta prudence: La reine, qui dans Sparte avoit connu ta foi, T'a placé dans le rang que tu tiens près de moi. Prends cette lettre, cours au-devant de la reine, Et suis sans t'arrêter le chemin de Mycène. Dès que tu la verras, défends-lui d'avancer, Et rends-lui ce billet que je viens de tracer. Mais ne t'écarte point; prends un fidèle guide. Si ma fille une fois met le pied dans l'Aulide, Elle est morte: Calchas, qui l'attend en ces lieux, Fera taire nos pleurs, fera parler les dieux; Et la religion, contre nous irritée,
Par les timides Grecs sera seule écoutée ; Ceux rême dont ma gloire aigrit l'ambition Réveilleront leur brigue et leur prétention, M arracheront peut-être un pouvoir qui les blessé.. Va, dis-je, sauve-la de ina propre foiblesse. Mais sur-tout ne va point, par un zèle indiscret, Découvrir à ses yeux mon funeste secret. Que, s'il se peut, ma fille à jamais abusée Ignore à quel péril je l'avois exposée : D'une mère en fureur épargne-moi les cris; Et que ta voix s'accorde avec ce que j'écris. Pour renvoyer la fille, et la mère offensée, Je leur écris qu'Achille a changé de pensée;
Et qu'il veut désormais jusques à son retour Différer cet hymen que pressoit son amour. Ajoute, tu le peux, que des froideurs d'Achille On accuse en secret cette jeune Ériphile
ue lui-même captive amena de Lesbos, Et qu'auprès de ma fille on garde dans Argos.
C'est leur en dire assez: le reste, il le faut taire. Déjà le jour plus grand nous frappe et nous éclaire; Déjà même l'on entre, et j'entends quelque bruit.. C'est Achille. Va, pars. Dieux! Ulysse le suit!
AGAMEMNON, ACHILLE, ULYSSE.
Quo!! seigneur, se peut-il que d'un cours si rapide La victoire vous ait ramené dans l'Aulide? D'un courage naissant sont-ce là les essais? Quels triomphes suivront de si nobles succès! La Thessalie entière, ou vaincue ou calmée, Lesbos même conquise en attendant l'armée, De toute autre valeur éternels monuments " Ne sont d'Achille oisif que les amusements.
Seigneur, honorez moins une foible conquête : Et que puisse bientôt le ciel qui nous arrête Ouvrir un champ plus noble à ce cœur excité Par le prix glorieux dont vous l'avez flatté! Mais cependant, seigneur, que faut-il que je croie D'un bruit qui me surprend et me comble de joie ?
Daignez-vous avancer le succès de mes vœux? Et bientôt des mortels suis-je le plus heureux ? On dit qu'Iphigénie, en ces lieux amenée,
Doit bientôt à son sort unir ma destinée.
Ma fille? Qui vous dit qu'on la doit amener?
Seigneur, qu'a donc ce bruit qui vous doive étonner?
AGAMEMNON, à Ulysse.
Juste ciel! sauroit-il mon funeste artifice?
Seigneur, Agamemnon s'étonne avec justice. Songez-vous aux malheurs qui nous menacent tous? Oh ciel! pour un hymen quel temps choisissez-vous? Tandis qu'à nos vaisseaux la mer toujours fermée Trouble toute la Grèce et consume l'armée; Tandis que, pour fléchir l'inclémence des dieux, Il faut du sang peut-être, et du plus précieux, Achille seul, Achille à son amour s'applique ! Voudroit-il insulter à la crainte publique, Et que le chef des Grecs, irritant les destins, Préparât d'un hymen la pompe et les festins? Ah! seigneur, est-ce ainsi que votre ame attendrie Plaint le malheur des Grecs, et chérit la patrie?
Dans les champs phrygiens les effets feront foi Qui la chérit le plus ou d'Ulysse ou de moi : Jusque-là je vous laisse étaler votre zèle; Vous pouvez à loisir faire des vœux pour elle.
Remplissez les autels d'offrandes et de sang, Des victimes vous-même interrogez le flanc, Du silence des vents demandez-leur la cause: Mais moi, qui de ce soin sur Caichas me repose, Souffrez, seigneur, souffrez que je coure hâter Un hymen dont les dieux ne sauroient s'irriter. Transporté d'une ardeur qui ne peut être oisive, Je rejoindrai bientôt les Grecs sur cette rive: J'aurois trop de regret si quelque autre guerrier Au rivage troyen descendoit le premier.
O ciel, pourquoi faut-il que ta secrète envie Ferme à de tels héros le chemin de l'Asie? N'aurai-je vu briller cette noble chaleur
Que pour m'en retourner avec plus de douleur?
Dieux! qu'est-ce que j'entends?
Seigneur, qu'osez-vous dire?
Qu'il faut, princes, qu'il faut que chacun se retire; Que d'un crédule espoir trop long-temps abusés Nous attendons les vents qui nous sont refusés. Le ciel protège Troie; et par trop de présages Son courroux nous défend d'en chercher les passages.
Quels présages affreux nous marquent son courroux?
Yous-même consultez ce qu'il prédit de vous.
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