Images de page
PDF
ePub

A peine nous avons, dans leur obscurité,

Retrouvé le chemin que nous avions quitté.

Ciel!

AGAMEMNON.

EURYBATE.

Elle amène aussi cette jeune Ériphile Que Lesbos a livrée entre les mains d'Achille, Et qui de son destin, qu'elle ne connoît pas, Vient, dit-elle, en Aulide interroger Calchas. Déjà de leur abord la nouvelle est semée; Et déjà de soldats une foule charmée, Sur-tout d'Iphigénie admirant la beauté, Pousse au ciel mille voeux pour sa félicité. Les uns avec respect environnoient la reine; D'autres me demandoient le sujet qui l'amène : Mais tous ils confessoient que si jamais les dieux Ne mirent sur le trône un roi plus glorieux, Également comblé de leurs faveurs secrètes, Jamais père ne fut plus heureux que vous l'êtes.

AGAMEMNON.

Eurybate, il suffit; vous pouvez nous laisser :
Le reste me regarde, et je vais y penser.

SCÈNE V.

AGAMEMNON, ULYSSE.

AGAMEMNON.

JUSTE ciel, c'est ainsi qu'assurant ta vengeance Tu romps tous les ressorts de ma vaine prudence.

Encor si je pouvois, libre dans mon malheur,
Par des larmes au moins soulager ma douleur!
Triste destin des rois! Esclaves que nous sommes
Et des rigueurs du sort et des discours des hommes,
Nous nous voyons sans cesse assiégés de témoins;
Et les plus malheureux osent pleurer le moins.

ULYSSE.

Je suis père, seigneur, et foible comme un autre :
Mon cœur se met sans peine en la place du vôtre;
Et, frémissant du coup qui vous fait soupirer,
Loin de blamer vos pleurs, je suis près de pleurer
Mais votre amour n'a plus d'excuse légitime;
Les dieux ont à Calchas amené leur victime:
Il le sait, il l'attend; et, s'il la voit tarder,
Lui-même à haute voix viendra la demander.
Nous sommes seuls encor : hâtez-vous de répandre
Des pleurs que vous arrache un intérêt si tendre;
Pleurez ce sang, pleurez : ou plutôt, sans pâlir,
Considérez l'honneur qui doit en rejaillir.

Voyez tout l'Hellespont blanchissant sous nos rames,
Et la perfide Troie abandonnée aux flammes,
Ses peuples dans vos fers, Priam à vos genoux,
Hélène par vos mains rendue à son époux :
Voyez de vos vaisseaux les poupes couronnées
Dans cette même Aulide avec vous retournées ;
Et ce triomphe heureux, qui s'en va devenir
L'éternel entretien des siècles à venir.

AGAMEMNON.

Seigneur, de mes efforts je connois l'impuissance :
Je cède. et laisse aux dieux opprimer l'innocence.

La victime bientôt marchera sur vos pas, Allez. Mais cependant faites taire Calchas; Et m'aidant à cacher ce funeste mystère, Laissez-moi de l'autel écarter une mère.

FIN DU PREMIER ACTE.

SCÈNE I.

ÉRIPHILE, DORIS.

ÉRIPHILE.

NE les contraignons point, Doris, retirons-nous, Laissons-les dans les bras d'un père et d'un époux; Et, tandis qu'à l'envi leur amour se déploie, Mettons en liberté ma tristesse et leur joie.

DORIS.

Quoi! madame, toujours irritant vos douleurs,
Croyez-vous ne plus voir que des sujets de pleurs?
Je sais que tout déplaît aux yeux d'une captive;
Qu'il n'est point dans les fers de plaisir qui la suive:
Mais dans le temps fatal que, repassant les flots,
Nous suivions malgré nous le vainqueur de Lesbos;
Lorsque dans son vaisseau, prisonnière timide,
Vous voyiez devant vous ce vainqueur homicide,
Le dirai-je ? vos yeux, de larmes moins trempés,
A pleurer vos malheurs étoient moins occupés.
Maintenant tout vous rit : l'aimable Iphigénie
D'une aniitié sincère avec vous est unie,

Elle vous plaint, vous voit avec des yeux de sœur ;
Et vous sericz dans Troie avec moins de douceur :

Vous vouliez voir l'Aulide où son père l'appelle;
Et l'Aulide vous voit arriver avec elle :
Cependant, par un sort que je ne conçois pas,
Votre douleur redouble et croît à chaque pas.
ÉRIPHILE.

Hé quoi! te semble-t-il que la triste Ériphile
Doive être de leur joie un témoin si tranquille ?
Crois-tu que mes chagrins doivent s'évanouir
A l'aspect d'un bonheur dont je ne puis jouir?
e vois Iphigénie entre les bras d'un père;
Elle fait tout l'orgueil d'une superbe mère :

Et moi, toujours en butte à de nouveaux dangers,
Remise dès l'enfance en des bras étrangers,

Je reçus et je vois le jour que je respire
Sans que mère ni père ait daigné me sourire.
J'ignore qui je suis, et pour comble d'horreur
Un oracle effrayant m'attache à mon erreur,

Et, quand je veux chercher le sang qui m'a fait naître,
Me dit que sans périr je ne me puis connoître.

DORIS.

Non, non; jusques au bout vous devez le chercher.
Un oracle toujours se plaît à se cacher;

Toujours avec un sens il en présente un autre :
En perdant un faux nom vous reprendrez le vôtre.
C'est là tout le danger que vous pouvez courir ;
Et c'est peut-être ainsi que vous devez périr.
Songez que votre nom fut changé dès l'enfance.

ÉRIPHILE.

Je n'ai de tout mon sort que cette connoissance;

« PrécédentContinuer »