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hésitoit; quand mon thème étoit fait, je lui aidois à faire le sien; et dans nos amusements, mon goût plus actif lui servoit toujours de guide. Enfin nos deux caractères s'accordoient si bien, et l'amitié qui nous unissoit étoit si vraie, que, dans plus de cinq ans que nous fùmes presque inséparables, tant à Bossey qu'à Genève, nous nous battîmes souvent, je l'avoue, mais jamais on n'eut besoin de nous séparer, jamais une de nos querelles ne dura plus d'un quart d'heure, et jamais une seule fois nous ne portâmes l'un contre l'autre aucune accusation. Ces remarques sont, si l'on veut, puériles; mais il en résulte pourtant un exemple peut-être unique depuis qu'il existe des enfants.

La manière dont je vivois à Bossey me convenoit si bien, qu'il ne lui a manqué que de durer plus long-temps pour fixer absolument mon caractère. Les sentiments tendres, affectueux, paisibles, en faisoient le fond. Je crois que jamais individu de notre espèce n'eut naturellement moins de vanité que moi. Je m'élevois par élans à des mouvements sublimes, mais je retombois aussitôt dans ma langueur. Être aimé de tout ce qui m'approchoit étoit le plus vif de mes desirs. J'étois doux; mon cousin l'étoit ; ceux qui nous gouvernoient l'étoient eux-mêmes. Pendant deux ans entiers je ne fus ni témoin ni victime d'un sentiment violent. Tout

nourrissoit dans mon cœur les dispositions' qu'il reçut de la nature. Je ne connoissois rien d'aussi charmant que de voir tout le monde content de moi et de toute chose. Je me souviendrai toujours qu'au temple, répondant au catéchisme, rien ne me troubloit plus, quand il m'arrivoit d'hésiter, que de voir sur le visage de mademoiselle Lambercier des marques d'inquiétude et de peine. Cela seul m'affligeoit plus que la honte de manquer en public, qui m'affectoit pourtant extrêmement : car, quoique peu sensible aux louanges, je le fus toujours beaucoup à la honte; et je puis dire ici que l'attente des réprimandes de mademoiselle Lambercier me donnoit moins d'alarmes que la crainte de la chagriner.

Cependant elle ne manquoit pas au besoin de sévérité, non plus que son frère; mais comme cette sévérité, presque toujours juste, n'étoit jamais emportée, je m'en affligeois, et ne m'en mutinois point. J'étois plus fâché de déplaire que d'être puni, et le signe du mécontentement m'étoit plus cruel que la peine afflictive. Il est embarrassant de m'expliquer mieux, mais cependant il le faut. Qu'on changeroit de méthode avec la jeunesse, si l'on voyoit mieux les effets éloignés de celle qu'on emploie toujours indistinctement, et souvent indiscrètement! La grande leçon qu'on peut tirer

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d'un exemple aussi commun que funeste me fait résoudre à le donner,

Comme mademoiselle Lambercier avoit pour nous l'affection d'une mère, elle en avoit aussi l'autorité, et la portoit quelquefois jusqu'à nous infliger la punition des enfants quand nous l'avions méritée. Assez long-temps elle s'en tint à la menace, et cette menace d'un châtiment tout nouveau pour moi me sembloit très effrayante; mais après l'exécution, je la trouvai moins terrible à l'épreuve que l'attente ne l'avoit été; et ce qu'il y a de plus bizarre est que ce châtiment m'affectionna davantage encore à celle qui me l'avoit imposé. Il falloit même toute la vérité de cette affection et toute ma douceur naturelle pour m'empêcher de chercher le retour du même traitement en le méritant; car j'avois trouvé dans la douleur, dans la honte même, un mélange de sensualité qui m'avoit laissé plus de desir que de crainte de l'éprouver derechef par la même main. Il est vrai que, comme il se mêloit sans doute à cela quelque, instinct précoce du sexe, le même châtiment reçu de son frère ne m'eût point du tout paru plaisant. Mais, de l'humeur dont il étoit, cette substitution n'étoit guère à craindre; et si

m'abstenois de mériter la correction, c'étoit uniquement de peur de fâcher mademoiselle Lambercier; car tel est en moi l'empire de la

bienveillance, et même de celle que les sens out fait naître, qu'elle leur donna toujours la loi dans

mon cœur.

Cette récidive, que j'éloignois sans la craindre, arriva sans qu'il y eût de ma faute, c'est-à-dire de ma volonté, et j'en profitai, je puis dire, en sûreté de conscience. Mais cette seconde fois fut aussi la dernière, car mademoiselle Lambercier, s'étant sans doute aperçue à quelque signe que ce châtiment n'alloit pas à son but, déclara qu'elle y renonçoit et qu'il la fatiguoit trop. Nous avions jusque-là couché dans sa chambre, et même en hiver quelquefois dans son lit: deux jours après on nous fit coucher dans une autre chambre, et j'eus désormais l'honneur, dont je me serois bien passé, d'être traité par elle en grand garçon.

Qui croiroit que ce châtiment d'enfant, reçu à huit ans par la main d'une fille de trente, a décidé de mes goûts, de mes desirs, de mes passions, de moi pour le reste de ma vie, et cela précisément dans le sens contraire à cé qui devoit s'ensuivre naturellement? En même temps que mes sens furent allumés, mes desirs prirent si bien le change, que, bornés à ce que j'avois éprouvé, ils ne s'avisèrent point de chercher autre chose. Avec un sang brûlant de sensualité presque dès ma naissance, je me conservai pur de toute souillure jusqu'à l'âge où les tempéraments les plus froids

et les plus tardifs se développent. Tourmenté long-temps sans savoir de quoi, je dévorois d'un œil ardent les belles personnes; mon imagination me les rappeloit sans cesse, uniquement pour les mettre en œuvre à ma mode, et en faire autant de demoiselles Lambercier.

Même après l'âge nubile, ce goût bizarre, toujours persistant et porté jusqu'à la dépravation, jusqu'à la folie, m'a conservé les mœurs honnêtes qu'il sembleroit avoir dû m'ôter. Si jamais éducation fut modeste et chaste, c'est assurément celle que j'ai reçue. Mes trois tantes n'étoient pas seulement des personnes d'une sagesse exemplaire, mais d'une réserve que depuis long-temps les femmes ne connoissent plus. Mon père, homme de plaisir, mais galant à la vieille mode, n'a jamais tenu près des femmes qu'il aimoit le plus des propos dont une vierge eût pu rougir, et jamais on n'a poussé plus loin que dans ma famille et devant moi le respect qu'on doit aux enfants. Je ne trouvai pas moins d'attention chez M. Lambercier sur le même article, et une fort bonne servante y fut mise à la porte pour un mot un peu gaillard qu'elle avoit prononcé devant nous. Non seulement je n'eus jusqu'à mon adolescence aucune idée distincte de l'union des sexes, mais jamais cette idée confuse ne s'offrit à moi que sous une image odieuse et dégoûtante. J'avois pour les filles

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