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et la raison de sa manière de voir la science de sa spécialité.

Certes ses idées directrices de la discipline peuvent avoir seulement dans le programme des indications fugaces. Mais l'exposition justificative qui le précède et les autres publications, auxquelles je fais allusion, donnent satisfaction jusqu'à un certain point à notre curiosité.

La pensée n'est pas encore dans son épanouissement, fortifiée par les arguments qui l'établissent, éclairée par les raisons qui lui assurent la victoire; mais c'est tout ce qu'il faut pour que nous soyons à même de saisir l'orientation générale, ses tendances et ses désirs.

L'éminent professeur de l'Université porteña (1) est un partisan convaincu du système du domicile, comme étant opposé non-seulement à celui de la nationalité si éloquemment défendu par Mancini, mais aussi parce que celui-ci lui semble être un vestige de la féodalité, par sa façon d'envisager les relations engagées dans le domaine du droit des choses.

Cette profession de foi n'est pas étonnante de la part d'un juriste de La Plata. On sait que c'est justement la doctrine dominante en Argentine et dans la plupart des pays sud-américains (2) et que ce fut l'opinion victorieuse du Congrès de Montevideo (3), dont la seule voix discordante fut celle du représentant du Brésil, le conseiller Andrade Figueira.

Il n'est pas non plus étonnant qu'un juriste brésilien se montre plus sympathique à la théorie de la nationalité. Non pas parce que parmi nous on ne découvre point des partisans du système opposé (le Congrès juridique réuni en 1900 à Rio

(1) Porteño c'est le nom que l'on donne aux habitants de Bue108 Aires qui, comme on le sait, est un port; d'où le mot porteño. (M. B.)

(2) Faisons exception du Vénézuela, dont le Code Civil, art. 7, suit le systeme italien, et du Chili, où l'on peut remarquer une préférence pour un système indécis, nationaliste pour les chiliens et territorial pour les étrangers (Code art. 15).

(3) Au Congrès de Montevideo, réuni en 1889, des traités furent célébrés, dont le premier, dans son article 1er dispose: la capacité des personnes est régie par les lois de leur domicile. Sont parties contractantes de ce traité : la République Argentine, l'Uruguay, le Paraguay, la Bolivie et le Pérou.

de Janeiro montra que jusqu'à présent ils n'étaient qu'un petit nombre), mais parce que notre tradition juridique est manifestement pour la nationalité.

Pour moi ce n'est pas dans le terrain ardent de l'antithèse entre la nationalité et le domicile que devra se placer et résoudre le problème fondamental du droit international privé. Je pense avec l'illustre Chausse, qu'aucune des deux nations représentées par les paroles invoquées aient une base suffisante pour la solution des conflits dans lesquels peuvent se trouver les lois des différents pays. La nationalité a souvent besoin de se compléter par le domicile. Et je pense comme le savant A. Pillet, qu'on est obligé de partir d'un principe plus sûr et plus général, pour élever sur lui la vaste et solide construction scientifique du droit international privé.

Plaçant l'affaire sur le terrain supérieur et neutre de la science, je crois que je parviens à éviter la condamnation lancée par l'internationaliste argentin, quand dans d'éloquentes phrases de sa conférence inaugurale, il oppose à la tendance des pays qui conservent l'autocratie, le césarisme, la prépondérance de l'état sur l'individu; celle des peuples démocratiques qui voudrait élever l'homme au-dessus de tous les droits et qui considère l'état comme un simple facteur politique du bonheur de ses habitants; celle des peuples qui voient dans l'état non pas un oppresseur mais un moyen de conservation et de défense pour la liberté politique et la liberté civile ».

Ayant du droit international privé un concept, dont le libéralisme va jusqu'à rompre avec la propre discipline du droit, élevant l'homme au-dessus de tous les droits, faisant de la liberté humaine un principe immanent à l'homme, supérieur et antérieur à l'état, le principe de Weiss et de Pillet: la théorie du droit international est la science des sacrifices, est injustifiable aux yeux de l'écrivain argentin. « La souveraineté, s'écrie le Docteur Zeballos, ne fait aucun sacrifice de droits en sauvegardant les droits privés de l'homme, car elle ne fait que remplir la fonction pour laquelle elle a été instituée. »

Je ne juge point le moment propice pour entamer une discussion directe sur cette proposition qui nous éclaire bien

au sujet des idées générales de l'auteur sur le droit, la vie, la société et l'homme. Mais je dirai que si les états sont réellement souverains, ne reconnaissant au-dessus d'eux aucun pouvoir humain, et si à l'intérieur de leur territoire il existe des relations réglées par les lois étrangères, c'est naturellement parce que la souveraineté cède un peu de son intégrité par amour de la justice ou de l'utilité, certainement plus par amour de l'utilité, puisque les états sont des agglomérations d'hommes, auxquels l'intérêt parle plus fortement que les plus belles abstractions.

Il est vrai que le droit international privé doit être considéré comme un genre à part des règles juridiques. Celles-ci émanent de la souveraineté territoriale et en principe ne passent pas au-delà des frontières du pays pour lequel elles ont été promulguées, par cela même qu'il existe ailleurs d'autres pouvoirs également souverains, et qu'elles sont destinées à régler à peine la conduite d'un groupe social. Les règles de droit international privé tendent, au contraire, à guider et à normaliser l'activité des individus qui composent une société internationale, entité collective plus considérable que les nations, entité qui s'élève au-dessus des frontières qui séparent les peuples, et qui abrite dans son sein un grand nombre de souverainetés.

Cette pondération, toutefois, n'est pas de nature à diminuer ce qui vient d'être dit, quant au besoin de complaisance des états, parce que cette vaste organisation de société internationale n'a pas les moyens appropriés pour forcer systématiquement les nations à accepter les préceptes énoncés par la raison pour la garantie des intérêts des individus, quelque soit la provenance ou la nationalité des mêmes.

Et ce que peut faire la science c'est éclairer l'esprit des hommes d'état, des législateurs, même de la partie pensante des peuples, et leur montrer la nécessité de l'acceptation générale des règles du droit international.

Si avantageuses et si justes que puissent être ses conclusions il n'a pour les imposer aucun autre moyen que la per

suasion.

La doctrine du domicile a, nonobstant, pour le Doctenr Zeballos, une signification spéciale. Ce ne sont pas principalement de froides raisons d'ordre juridique qui la lui font

chérir particulièrement. Ce sont principalement des considérations d'ordre politique, la situation de son pays, le destin du peuple argentin et d'autre préoccupations semblables qui lui révèlent l'importance sociale de cette doctrine du domicile, anjourd'hui abandonnée presque complètement par les écrivains et les gouvernements européens (1).

Et le patriote s'alliant au juriste signale à la République Argentine une haute mission régénératrice du droit international privé. « La République Argentine, dit-il, est à l'heure actuelle, en raison de son développement social et juridique, une des nations du monde dans lesquelles les théories et les solutions du droit international privé ont déjà acquis la plus grande importance, ou semblent destinées à l'acquérir davantage. Le droit continental européen pèse sur le développement de cette science en raison d'une conception de l'ordre public ou social qui restreint strictement, bien que différemment dans chaque pays, la condition juridique des étrangers et, par cela même, l'application des lois et de la jurisprudence émanant d'autres souverainetés. La République Argentine a proclamé l'égalité juridique entre nationaux et étrangers, grâce à une conception plus libérale de l'ordre public que le titre préliminaire du Code Civil définit lui-même, afin de la mettre ainsi à l'abri des graves difficultés que pourrait soulever un texte peu précis et partant, sujet à interprétation. »

En Europe, continue le savant professeur, la notion de l'ordre public a toujours été le plus grand obstacle à la codification du droit international privé, alors que l'Argentine a pu le rattacher à son économie juridique en s'inspirant du Docteur Velez Sarsfield, qui eut pour guides Savigny et Freitas. Et dans la pensée de l'éminent professeur, l'Argentine « est le pays du monde où le droit international privé a la plus grande importance en égard à sa population », la théorie

(1) La doctrine du domicile subsiste dans la législation et la jurisprudence de l'empire britanique, de toutes ses colonies, des Etats Unis et des pays soumis à leur influence, etc., et même dans la législation et dans la jurisprudence des états qui ont accepté le système général de la nationalité. Ici, le domicile est un moyen subsidiaire appliqué aux relations commerciales, et civiles, que le système contraire ne peut pas dénouer. (M. B.)

du domicile, bien qu'acceptée par l'Angleterre et les EtatsUnis de l'Amérique du Nord, lui semble bien mériter le nom d'argentine (1).

Il croit aussi dans le victorieux avenir de la noble nation que baigne le Rio de la Plata. Ses progrès matériels et intellectuels ont été si rapides qu'il ne serait pas étonnant qu'ils fussent en train de préparer le terrain pour une glorieuse révolution dans ce domaine, ou que déjà se forment de hautes et brillantes constructions où la science et la justice s'établiront plus à l'aise. La science et la justice attendent de l'intelligence humaine que de nouveaux aspects de relation soient découverts et que de principes plus droits brillent comme les phares éclairant le rude voyage de la vie. Et si ce nouveau credo venait à être proclamé dans la République Argentine, cette circonstance serait un motif de réjouissance pour nous autres sud-américains, qui sommes encore des élèves dans ce vaste et compliqué laboratoire de la culture humaine.

La première codification de droit international privé fut certainement celle du Code Civil italien, qui fixa les glorieux principes de l'école de Mancini. Le code civil argentin, qui parut un peu plus tard, (2) déploya un autre drapeau. La discussion ne termina point alors, et il est probable qu'elle ne prendra pas fin. D'autres législateurs intervinrent et combatirent courageusement les hommes de science tantôt dans un sens, tantôt dans un autre. Les traités qui furent célébrés durant les conférences de La Haye, établissant provisoirement un droit commun pour presque toute l'Europe, et l'adhésion du code civil allemand à la doctrine de la nationalité, furent des victoires signalées en faveur de celle-ci. Mais la science n'est pas tout à fait satisfaite et si elle appuie presque toujours les solutions de l'école italienne, elle tâche de

(1) Il serait juste de l'appeler argentine, parce que ce fut notre pays, le premier qui codifia sans réserve, la doctrine que les philosophes de l'antiquité et Savigny exposèrent. (Revista citée, No de Mars, p. 127.)

(2) Les deux codes ont été préparés en même temps et la partie du droit personnel du projet argentin fut imprimée en 1865, en même temps que le parlement italien sanctionnait la doctrine de Mancini. Voir à ce sujet, le Bulletin No I, p. 43. (M. B.)

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