La République Argentine a codifié, en effet, le Droit International Privé, en même temps que l'Italie. Le code civil de ce royaume, sanctionné en 1865, fut mis en vigueur en 1866, et dans quelques provinces du pays, à Rome, Mantoue et Venise, par exemple, en 1871. Le projet de code civil argentin, dont le premier livre fut mis en discussion en 1865 (première édition), a été promulgué aussi en 1871. Le code italien accepte la doctrine de la personnalité du droit de Savigny, comme fondement du Droit International Privé, avec la limitation de l'ordre public, et le système de la nationalité comme moyen général de solution dans toutes les relations du Droit Personnel et dans certaines relations du droit réel et même des formes (1). Le code argentin, en partant de la même base doctrinaire, l'a suivi dans tous ses développements. Plus conséquent que l'italien avec la pensée de l'éminent et savant réformateur allemand, i accepte et ses fondements et sa formule pratique, c'est-à-dire le système du domicile (2). La République Argentine est donc le pays le plus intéressant de l'époque, au point de vue de la large expérimentation des systèmes de Droit International Privé. Le nombre toujours croissant des étrangers, dont la statistique séculaire est très intelligemment étudiée dans ce numéro par un de mes élèves distingués, de même que la conservation de leur nationalité, tout en se mettant en relation fréquente et intime avec les personnes, les familles, le commerce et la propriété foncière du pays, en même temps qu'ils maintiennent des relations avec leurs pays d'origine, leur soumission volontaire au droit et aux tribunaux de la République, auraient rendu presque impossible leur vie juridique et leur bien-être, si le système adopté par la Constitution et par les lois ne leur garantissait le développement aisé et facile des relations si compliquées. Trente-deux années d'application de nos lois privées dans l'unique nation moderne d'immigration, où la grande naturalisation n'opère encore l'unification et ses bienfaits, ont prouvé d'une façon éclatante, solennelle et définitive, que tous les (1) Cf. cod. civ. d'Italie, articles 3 à 15. (2) Code civil de la République Argentine, rédigé par le docteur Dalmacio Velez Sarsfield (1861-1870), et sanctionné par le Parlement de la Nation en 1871. Cf. Titre Préliminaire. conflits des lois et toutes les exigences du Droit International Privé, trouvent des solutions faciles, claires et protectrices dans la République Argentine (1). Cette expérience édifiante ne l'offrent pas les pays européens, où le séjour des étrangers est plus limité, où la liberté de s'établir n'est pas un droit aussi libéral comme dans notre patrie, où l'égalité entre les nationaux et les étrangers est encore limitée, où enfin le nombre des ressortissants n'aboutit jamais à ces mouvements d'immigration en masse, qui forment la base des populations des Etats-Unis d'Amérique et de la République Argentine. Les Etats-Unis eux-mêmes ne l'offrent pas non plus, parce que leur système est hostile à l'étranger, par suite de motifs que j'étudierai successivement dans ce Bulletin, et où l'on oblige aux ressortissants à retourner dans leur pays d'origine ou à se naturaliser. Quelles sont donc les raisons de cette extraordinaire situation légale argentine qui, même sans forcer les étrangers à se naturaliser, les attire, les enchaîne doucement et les incorpore à son économie politique et sociale, d'une manière définitive et presque unique au monde ? C'est tout simplement l'orientation du Droit International Privé, dans ses institutions juridiques; c'est l'élimination absolue des intérêts et des exigences politiques dans les solutions de ce droit; c'est aussi la doctrine de l'élaboration juridique pure et simple, comme fondement de la liberté civile de l'homme, souvent troublée par des impositions impraticables du lien politique, qui entravont le développement naturel du droit privé et méconnaissent les nouvelles tendances de la civilisation. C'est, enfin, la doctrine que j'ose appeler Argentine, en honneur de ma Patrie et de la savante combinaison de ses lois, solidement fondée sur le noble caractère du Peuple et sur les principes libéraux de sa Constitution Politique. (1) On ne doit pas voir une exception à cette conclusion dans les erreurs que quelques fois commettent les tribunaux en interprétant d'une façon inexacte les textes des lois, par suite d'un manque évident d'une connaissance complète du Droit International Privé. On essaye, depuis une vingtaine d'années seulement, l'étude sérieuse de cette branche de la science, et les Universités, en pleine inertie, ne lui accordent pas encore l'importance décisive qu'elle a dans l'économie sociale. II de même que la politidroits et les devoirs que le droit privé protège l'hom Le Droit International Privé que détermine la situation juridique, les des citoyens vis-à-vis de la Patrie, et, définit sa situation dans la souveraineté, me, considéré comme étant en mouvement sur la planète, et lui donne les armes nécessaires pour conserver ses droits, pour sauvegarder l'ordre social, par la stabilité de l'organisation de la famille, la protection de la propriété, une justice prompte et efficace, une procédure rationnelle et en prévenant le délit ou en le poursuivant. En un mot, il conçoit une organisation judiciaire qui, appliquant des lois déterminées, s'occupe de l'homme en mouvement à travers l'Univers, de même que les lois locales protègent l'homme qui habite le pays où il a établi son domicile, en reconnaissant en lui une personnalité parfaite au point de vue moral et juridique, qui ne peut être diminuée, ni supprimée par le seul fait du changement de juridiction ou de franchir les quelques mètres d'eau qui peuvent séparer deux puissances. Il a fallu, il est vrai, que l'humanité se subdivise et qu'elle se constitue en nations; mais cette organisation de l'humanité, doit-elle changer ou diminuer la conception que nous nous faisons de l'homme ? ou au contraire la fortifier ? Quel que soit le régime politique de la nation que nous prendrons comme modèle, quelles qu'aient été les transformations subies par le principe national depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, il est logique de convenir, que les nations se sont organisées, pour satisfaire une nécessité suprême du bien-être et du bonheur de l'homme, pour assurer sa vie, sa propriété et ses droits, au moyen de lois et d'autorités protectrices. « La monarchie universelle est une utopie aussi irréalisable que l'ambition de soumettre tous les hommes à des lois com inunes. » On croyait autrefois qu'il fallait attribuer au climat, à la langue, à la religion, à la situation géographique, la nécessité de diviser l'humanité en Nations. La science moderne repousse cette théorie, en reconnaissant que les peuples se condensent, sans tenir compte de ces circonstances, et qu'ils n'obéissent qu'au désir d'atteindre le bonheur sous une forme déterminée, en rapport avec les doctrines qui sont communes aux masses qui constituent les Nations. L'esprit moderne doit s'opposer à la conception de la Nation considérée comme le produit de la communauté de race, de langue, de religion, etc., puisqu'il se trouve en présence du type évolutif des nations modernes. Tels les Etats-Unis et la République Argentine, où toutes les races, toutes les langues, toutes les religions, toutes les traditions politiques, juridiques, sociales et économiques se confondent, pour corriger la politique européenne, qui depuis sept siècles travaillait les nationalités d'une façon bien plus artificielle et militaire que naturelle et scientifique. < Et ce nouveau type de société, la société politique moderne, formée par la confusion des foules qui s'affranchissent du régime féodal du territoire, et qui acceptent comme base la communauté des aspirations humaines, a exigé à plus forte raison le développement du Droit International Privé, qui a pour but justement de résoudre les difficultés, d'adoucir les angles, de supprimer les obstacles insurmontables que l'on aurait rencontrés dans la vie pratique, pour accorder les intérêts privés avec l'intérêt collectif, ce qui aurait été impossible à réaliser en appliquant la théorie ancienne de la juridiction déterminée par le territoire, hors duquel la loi n'avait plus de valeur et abandonnait l'homme: « Lex non valet extra territorium. » Lorsque nous considérons, la société féodalement organisée, dont le principe fondamental est la prépondérance du territoire sur l'individu, où l'on donne une si grande importance à la communauté d'origine, de langue et de religion, à côté de la nation organisée conformément aux principes démocratiques américains, d'après lesquels nous faisons abstraction de tous les antécédents régionaux, pour n'admettre comme base de l'Etat que l'Idéal commun auquel aspirent les hommes, nous nous trouvons en présence de la plus grosse difficulté du Droit Politique et du Droit International Privé ; c'est un problème qui peut s'énoncer en ces mots : l'Etat ou l'homme? L'Etat réclamant le droit de juger en dernier ressort, sans qu'aucun pouvoir ne puisse revoir ses décisions; l'homme en face des puissances exigeant que sa situation juridique privée soit respectée, sans qu'aucun pouvoir ne puisse la modifier après qu'elle a été irrévocablement acquise. »> « Qui est-ce qui prédomine? Est-ce l'Etat constitué pour assurer le bien-être, le développement et le bonheur moral et physique de l'homme, et faussant sa mission en réduisant celui-ci au rôle d'instrument? Est-ce l'homme, premier rôle de la création, qui l'emportera sur la souveraineté, en proclamant la doctrine sur la mission véritable de l'Etat moderne ; - l'Etat n'a pas été créé pour opprimer l'homme, ni pour exclure l'étranger, c'est l'Agent naturel de la Liberté hu maine. >> « Par suite de cet antagonisme qui n'a pas de raison d'être, nous nous trouvons en présence d'une autre grave difficulté du Droit International Privé du moment que le droit privé, qui règle la vie de l'individu, la famille, la propriété, les actes juridiques, la défense sociale, émane naturellement de la constitution de chaque pays, il y aura forcément deux tendances dans le Droit International Privé: celle des pays qui conservent l'autocratie, le césarisme la prépondérancede l'Etat sur l'individu et qui considère l'homme comme instrument du gouvernement; et celle des peuples démocratiques, qui voudraient élever l'homme au-dessus de tous les droits, et qui considère l'Etat comme un simple organe politique du bonheur personnel de ses habitants; celle des peuples qui voient dans l'Etat non pas un oppresseur, mais un moyen de conservation et de défense pour la liberté politique et la liberté civile. La première tendance qui inspire le Droit de la vieille et auguste Europe et de ses dépendances d'outre-mer, qui ont à leur service la politique, la force, le capital, l'industrie, le commerce, les savants et les auteurs, domine le monde. La seconde sera la nôtre, celle des civilisations démocratiques naissantes, qui n'a ni auteurs, ni savants, ni professeurs, qui n'a pas de livres fondamentaux, qui offre aux universités américaines la gloire de la présenter et de l'imposer au monde par la loi suprême des intérêts humains, par la force irrésistible de l'échange des intérêts moraux et matériels, et devant les manifestations encore imparfaites de laquelle l'Europe commence à s'incliner, en reconnaissant que certains caractères universels de la démocratie ne peuvent |