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incalculables et l'exemple suggestif du premier cas d'unité absolue dans la législation universelle en matière de droit personnel. J'espère que la Faculté et l'Université prêteront leur appui à cette idée.

En attendant, le programme projeté équilibre soigneusement l'enseignement, afin de le faire correspondre à l'importance humaine de la matière, à son intérêt croissant relativement au milieu argentin et enfin à la haute et délicate fonction sociale et politique de la première des universités sud-américaines.

IV

La Faculté n'a cependant pas reconnu toute l'importance du Droit International Privé. Je n'exposerai ni des raisons d'ordre critique, ni des antécédents.

Je constate seulement l'erreur de. laisser subsister indéfiniment la vague conception de cette discipline qui a jusqu'ici primé et qui le relégue au plan des enseignements subalternes, complémentaires ou simplement théoriques. Ce serait sans doute faire injure à notre corporation dans son crédit scientifique, que d'insister pour prouver que le Droit International Privé, soit qu'on le cousidère comme une science indépendante, ou comme une branche de l'arbre fécond de la science juridique, est essentiel, nécessaire, positif. Dans la République Argentine, comme d'ailleurs dans tous les pays constitués sur la base combinée de la délégation et de la réserve de la souveraineté, ce droit a une double influence sur l'économie sociale: il s'applique aux relations internationales et aux relations entre les diverses régions d'un même pays. En ce sens, tout en assurant le développement harmonieux des institutions internes du droit privé, le Droit International Privé est en principe un complément du droit politique, et, de fait, une branche vivante du droit national.

Le Droit International Privé est encore une matière codifiée. En 1850, on ne pensait même pas en Europe à la codification de ce droit. Il n'était que théorique; les auteurs l'exposaient simplement suivant les débats et les mouvements juridiques des statutaires du siècle, depuis Bartolo et Baldo jusqu'à Pothier, Story et Savigny. Il était diplomatique, car

l'influence politique de la France et de sa science juridique, implantée par le Code Napoléon, un monument de sagesse et d'équité malgré l'ingérence politique, qui compromit certaines des vues les plus nobles des jurisconsultes, avaient répandu successivement en Europe et dans le monde entier le système utilitaire de la réciprocité des traités. Ainsi, tout était incertain, même en France, dont les hauts tribunaux ont mené à bonne fin et patiemment une œuvre d'interprétation aussi vaste que savante, pour atténuer les calculs de l'égoïsme politique afin de sauver des omissions préméditées et mettre d'accord, grâce aux lumières de la science, les solicitations de l'intérêt avec la liberté civile de l'homme dans la mesure qu'autorisent le texte de la loi et les droits de la magistra

ture.

La doctrine de Savigny, parvenue à son apogée en 1849, fit école et même sensation en Europe. Ses plus éminents élèves n'ont pas cessé de produire; ils forment légion et dominent par la vigueur intellectuelle. Parmi eux se trouvaient dans le nouveau monde, Freitas et Vélez Sarsfield, qui n'étaient certes pas des moins remarquables. L'Italie en compte un autre, Mancini, professeur de l'Université de Turin pendant la période absorbante et dramatique de la Révolution qui agitait encore l'Italie, comme elle avait troublé d'autres nations, bouleversés par l'épée depuis Louis XIV jusqu'à Bonaparte, qui poursuivaient le rétablissement de l'équilibre rompu des nationalités historiques. Mancini s'inspirait principalement de Shäffener, de l'école allemande, lorsque dans l'ardeur patriotique, il conçut l'idée d'utiliser le droit privé comme droit d'union suprême et définitif pour affirmer l'indépendance et l'unité de l'Italie. Ses premières conférences à Turin furent une révélation entraînante pour la jeunesse italienne. Elles se ressentaient de l'exubérance forcée de l'agitateur politique ; mais dans son action diplomatique et législative en faveur de la codification du Droit International Privé, il sut offrir au Monde une doctrine sobre et juridique, de telle sorte que le Code Civil d'Italie, sanctionné en 1865 et devant régir depuis 1866 offre parmi ses nouveautés l'adoption de son système de Droit International Privé.

Mais l'application du code fut d'abord restreinte. Ce ne fut que plus tard qu'il étendit son empire sur plusieurs provinces ;

ainsi, il ne fut appliqué qu'en 1871, à Rome, à Venise et à Mantoue, c'est-à-dire denx ans plus tard que le code civil argentin. L'éminent Velez Sarsfield n'en tint pas compte en rédigeant son projet, dont la première partie fut soumise au gouvernement et imprimée par son ordre en 1865. Sa communication d'envoi de juin de cette année-là, le prouve suffisamment. Il y est dit que l'auteur a adopté à plus d'un endroit important de son ouvrage, la méthode suivie par Freitas dans son projet de code civil pour le Brésil, qui ne fut d'ailleurs pas accepté. Le docteur Velez Sarsfield ajoute qu'il s'inspira aussi et de préférence dans Savigny; et en effet, les notes du code l'attestent : « J'ai donné à tous les titres du droit concernant les personnes, dit-il, un développement que d'habitude ils n'ont pas, et cela, afin que de fort importantes matières puissent s'y trouver entièrement légiférées » .Il me semble évident que ces paroles, étant donné la préférence de l'auteur pour Savigny, visent directement le Droit International Privé. Mancini, Freitas et le docteur Velez Sarsfield ont pu s'inspirer d'un précédent des Pays-Bas, dont les écoles de Droit International Privé jouissaient, jusqu'en 1850, d'une juste renommée et d'une autorité incontestée en Europe. Comme Savigny, le guide de Freitas et de Velez Sarsfield en certaines doctrines, ces écoles soutenaient le principe du domicile. Les Pays-Bas unifièrent les préceptes des écoles statutaires en matière de droit privé, dans les lois générales de 1838, (articles 6 à 10.) Soit que le codificateur argentin s'inspirât dans Freitas, soit que l'idée de la codification de ce droit lui appartînt en propre, le fait évident est qu'en Italie et en Amérique du Sud surgissaient au même moment des projets de codes civils qui proclamaient, pour la première fois dans les annales de la législation positive contemporaine, l'importance et la nécessité de ce droit, glânant dans le trésor séculier de ses théories et de la jurisprudence les éléments de codification par lesquels ils l'avaient incorporé au droit national. Ce fut là un progrès pour la science juridique, dont l'honneur expressément reconnu

par les jurisconsultes et les auteurs revient par parties égales à l'Italie et à la République Argentine, puisque le projet de l'illustre Freitas, ne devait pas recevoir dans son pays la juste consécration qu'à la vérité il méritait. Et c'est une remarque digne d'être faite ici, que bien que par des voies différen

tes, en Italie par le droit politique, en Argentine par le droit privé exclusivement, les deux codes devaient contribuer puissamment en créant un lien indissoluble à la consolidation de deux nationalités, disloquées jusqu'alors par l'épée conquérante ou par la lance fratricide, et concourir à fonder dans leurs territoires la confraternité des natifs et des étrangers, sons le patronage du très noble et très fécond principe de l'égalité civile..

Cette initiative pratique a été accueillie par les réformateurs de codes européens qui se sont succédés. Notre système a donc fait école comme celui d'Italie. Le code de Zurich, de 1887, celui d'Espagne, réformé en 1889, ainsi que le projet belge, tous s'étaient incorporés au système; et le code civil allemand, qui régit une partie des états de l'Empire depuis 1900, consacre un attentif et savant exposé à ce droit, qu'il expose dans différents articles (7 à 31) et dans la loi de l'Introduction. Comme pour les codes d'Italie et de la République Argentine, ses déclarations préliminaires contiennent, condensée au point de vue du système adopté, toute l'essence du Droit International Privé, dont la substance est ensuite mise à profit et commentée dans les différents livres.

Les codes commercial, pénal, de procédure, et de nombreuses lois spéciales d'ordre divers ont aussi codifié ou condensé dans la République Argentine, et en d'autres pays encore, les règles du Droit International Privé. La rare et souvent légère jurisprudence argentine concernant cette matière de droit, contient bien rarement des exposés de doctrine, pour fonder les décisions des litiges. Les juges résolvent ces sortes de questions en invoquant simplement les solutions positives des codes. L'ouvrage du docteur Alcorta, dont les chapitres terminent toujours en localisant l'exposé de la doctrine — méthode que je conserve dans le nouveau plan, restreint presque aux articles des codes respectifs les solutions argentines du Droit International Privé. Et que sont les pactes votés à Lima en 1878 et à Montevideo, sinon des codifications de ce droit ?

La matière doit donc être comprise, dans les plans de cette Faculté, parmi les droits codifiés ; et il me semble que ce n'est que par inadvertance qu'elle a pu être considérée comme une branche théorique et supprimée des examens généraux. Je

reconnais qu'en adoptant un tel tempérament, la Faculté n'a peut-être obéi qu'à des raisons d'équité, pour favoriser les étudiants. Préférer un examen général sur la base des deux codes fondamentaux et du Droit International Privé dans toute l'étendue que son enseignement comporte- ce serait sans doute trop exiger. La tâche ne saurait être affrontée avec succès que par les élèves les mieux préparés; mais elle serait insurmontable pour les élèves médiocres. Je conviens aussi qu'il y a impossibilité à supprimer quoi que ce soit des codes dans l'interrogatoire des examens généraux. Mais il faut aussi remarquer que les professeurs des codes ordinaires ne sauraient se spécialiser dans les matières codifiées du Droit International Privé. C'est à peine s'ils ont le loisir de signaler les solutions, en se gardant d'examiner les doctrines, tout au moins avec le détail nécessaire. Plusieurs des élèves du cours de sixième année m'ont informé qu'on ne leur avait pas expliqué le titre préliminaire du Code Civil, par exemple. Or j'ai déjà dit que, aussi bien chez nous qu'ailleurs, le titre préliminaire de ce code contient en substance toute la science du Droit International Privé telles par exemple les règles concernant le droit personnel, réel et des formes. Les questions concernant l'état et la capacité civile constituent à elles seules, dans certains instituts européens, la matière de tout un cours d'un an. Quant à moi, il ne me serait pas possible de commenter à ce point de vue les articles du titre préliminaire du code civil en moins de vingt leçons; et je consacre ordinairement, tous les ans, plus de trente leçons aux matières comprises dans ce titre. Ces leçons sont pour ainsi dire la clef du cours, c'est-à-dire de cet enseignement, et par conséquent de l'interprétation même de nos codes, de notre législation et de nos traités internatio

naux.

Ces considérations justifient suffisamment l'indication que j'ose faire à la Faculté pour qu'elle rétablisse le Droit International Privé, parmi les matières obligatoires dans les examens généraux; mais en réduisant ceux-ci, dans leur partie spéciale, à la matière codifiée ou légiférée par des traités. Les matières théoriques ou simplement doctrinaires, seraient donc laissées de côté. On contribuerait ainsi à encourager et à compléter l'étude et le commentaire de notre droit positif.

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