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leurs agents diplomatiques et consulaires à les célébrer dans les pays où ils sont accrédités.

Le paragraphe final de la première partie de l'article 6, contient une concession extraordinaire, une marque de bonne volonté et d'esprit de conciliation qui fait le plus grand honneur aux négociateurs et aux Etats qui ont ratifié la convention. La partie citée établit que l'Etat où le mariage est célébré ne peut pas s'y opposer quand il s'agit d'un mariage qui, en raison d'un mariage antérieur ou d'un obstacle d'ordre religieux serait contraire à ses lois.

Si j'applaudis cette concession réciproque des plénipotentiaires de La Haye, je ne peux m'abstenir de formuler quelques observations et réserves, peut-être des doutes. En effet, je trouve qu'il y a contradiction entre l'obligation signée selon laquelle les pays où le mariage a été célébré, renonce au droit d'opposition fondé sur un obstacle d'ordre religieux, et la seconde partie de l'article 5, qui reconnaît à chaque Etat le droit d'exiger la célébration religieuse exclusivement. Les cas sont certainement différents, car l'article 6 se rapporte à des étrangers mariés en dehors de leur patrie, et l'article 5 légifère sur des ressortissants rentrant dans leur pays d'origine.

A ce point de vue et d'après la doctrine de la loi nationale, les deux articles se concilient et la contradiction disparaît. Mais je ne discute pas la question sur le terrain limité de la loi nationale et moins encore sur celui plus restreint des huit nations qui ont ratifié la convention de La Haye. J'aborde le sujet d'une manière générale et scientifique et je ne considère pas une solution logique celle de l'article 6.

La loi argentine de mariage (1888), contient les articles suivants :

« Art. 86. Le mariage valable ne se dissout que par la mort d'un des époux.

< Art. 87.

Les mariages qui pourraient être dissous d'après les lois du pays où ils ont été célébrés, ne peuvent l'être sur le territoire de la République, que dans le cas « prévu par l'article précédent. »

Cette solution est une réforme de l'article 165 du code civil argentin, tout en conservant l'esprit de la disposition. Celle-ci nous intéresse justement par son rapport avec l'ar

ticle de La Haye discuté. Elle dit : « Le mariage dissous en « territoire étranger conformément aux lois du même pays, « mais qui n'aurait pu être dissous, d'après les lois de la République Argentine, n'autorise pas les parties à contracter « un nouveau mariage. »

Celui-ci est encore confirmé par les articles 219 et 220 du code, dont voici la traduction :

« Art. 217.

Le mariage valide ne se dissout que par la mort d'un des époux.

« Art. 220.

Le mariage qui ne peut être dissous d'après les lois du pays ou il aurait été célébré, ne le sera pas « non plus dans la République, sinon conformément à l'ar<ticle antérieur. »

Qu'on se rappelle que le code civil argentin n'admettait que le mariage religieux. La loi de 1888, tout en établissant le mariage civil, subit l'influence de la grande majorité catholique du pays, comme le prouve l'article 86 cité. Ainsi, quoique avec une rédaction différente, le code civil et la loi, n'admettent la dissolution du mariage que par la mort d'un des époux.

Les pays rangés dans cet ordre d'idées ne pourraient aucunement consentir au mariage diplomatique ou consulaire des personnes divorcées.

Si d'après l'article 5 de la convention de La Haye, les pays dont la législation exige une célébration religieuse peuvent ne pas reconnaître comme valable les mariages contractés par leurs nationaux à l'étranger, sans que cette prescription ait été observée, de la même façon ces pays peuvent et doivent s'opposer à ce que les diplomates et les consuls marient dans leur territoire des personnes qui, d'après leur concept sur la dissolution du mariage, ne sont pas libres. Voilà ma réserve, mon doute sur la logique des articles 5 et 6.

On doit espérer que le progrès des idées sur la liberté civile, aboutira, dans les pays catholiques, à la dissolution du mariage non seulement par la mort d'un des époux. La législation argentine commentée est aussi contradictoire, car tandis qu'elle admet la validité du mariage de deux divorcés, pourvu qu'il soit valide d'après la loi du lieu de célébration, elle n'autorise pas les divorcés à se marier dans le territoire de la République.

L'évolution des idées fit son premier pas au congrès de Montevideo. Celui-ci se sépara de l'influence de la législation argentine en adoptant toutefois une solution timide pour considérer le mariage dissout, exigeant la coïncidence des lois du domicile conjugal et du lieu de la célébration (Art. 13 § b). Cette disposition ne s'harmonise pas avec la clause commentée de l'article 6 de la Convention de La Haye, car si la loi du lieu de la célébration n'admet la dissolution du lien conjugal que par la mort d'un des époux, les étrangers divorcés voulant se marier dans leur domicile ou résidence devant leurs agents diplomatiques ou consulaires, trouveraient la prohibition de la loi locale. Il est très difficile que l'Etat renonce à l'application de cette loi comme l'ont fait les signataires de la convention de La Haye. Les pays catholiques semblent réactionner. Le vote de l'Espagne à l'article 6 en est une preuve évidente Quant aux pays catholiques de l'Amérique du Sud, on doit affirmer que l'état actuel des idées est beaucoup plus avancé qu'il ne l'était à l'époque de la sanction du code civil, de la loi de mariage de la République Argentine et du traité de Montevideo. Les lois de mariage et de divorce sont en train de réforme au Nouveau.Monde. Aux EtatsUnis, où elles sont dictées par les législatures locales, il y a un mouvement très accentué vers l'émancipation légale par la sanction des lois nationales. Le projet de code civil pour la République des Etats-Unis du Brésil, dont j'ai dernièrement publié une étude critique, (1) reconnait aux Brésiliens le droit de contracter le mariage à l'étranger d'après la loi brésilienne. En ce cas, il est obligatoire de le célébrer dans une légation ou un consulat brésilien. Le projet déclare obligatoires les bans exigés par la loi brésilienne et règle la procédure à suivre. C'est une législation qui me semble compliquée. Elle se tait quant aux droits des pays où tels mariages auront lieu. Elle ne légifère point non plus sur la validité des mariages célébrés au Brésil dans les mêmes circonstances, mais on doit conclure qu'ils admettent ces célébrations.

Quant à la République Argentine, son système comprend celui de la loi nationale par coïncidence avec celle du domicile combiné avec la loi du lieu de la célébration dans

(1) Cf. ce Bulletin, VI 411,

les dites circonstances, et avec l'exception des mariages, dans son territoire, des divorcés. Il manque à cette législation sage et humanitaire un pas définitif: l'application du principe qui protège la stabilité des mariages célébrés à l'étranger, même entre divorcés, à ceux célébrés dans son territoire. Alors la combinaison argentine de droit international privé sera plus logique et plus juste, soumettant à des solutions uniformes les graves questions du mariage. L'esprit libéral de la constitution argentine sera ainsi développé dans la législation avec tous ses effets civils.

E. S. ZEBALLOS.

(A suivre).

Le Droit International Privé dans l'Amérique Coloniale

(Chapitre d'un ouvrage inédit, écrit en 1892 pour le cours de la ma

tière de la Faculté de Droit et des Sciences Sociales de l'Université de Buenos Aires. Traduit de l'espagnol por M. NESTOR BELGRANO.)

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LES JURISTES EUROPÉENS ET L'AMÉRIQUE. Les commentateurs européens n'ont point tenu compte du NouveauMonde, spécialement de la partie hispano-américaine et portugaise, dans leurs recherches sur les origines et le développement du Droit International Privé. Quelques auteurs se sont occupés incidemment à peine de l'Amérique anglaise. Certains ouvrages récents commencent à consacrer plus d'attention au Nouveau-Monde sans s'y arrêter toutefois suffisamment. Les publicistes américains traitent les lois civiles, commerciales et pénales des Etats-Unis d'Amérique dans leurs relations extérieures, et les travaux fondamentaux de Marshall, de Story, de Wharton, de Dudley Field, de Moore, et les arrêts de la Cour Suprême Fédérale de Justice restent incorporés au droit comme des fruits mûrs de l'intelligence humaine.

L'Amérique latine (1) comprenait jusqu'au siècle présent les

(1) J'emploie le mot « latine » dans son acception conventionnelle pour désigner les colonies de l'Espagne et du Portugal, sans oublier que le concept de « race latine > est une expression dépourvue de valeur scientifique.

quatre cinquièmes du Nouveau-Monde. L'Amérique du Sud, les îles les plus importantes de la mer Caribe, l'Amérique du Centre; et, sur le continent du Nord, la Floride et les terres intérieures du Mississipi au Pacifique et du golfe du Mexique à l'Alaska, obéissaient à un système de lois, auxquelles la science européenne n'a pas prêté d'attention. Elles le méritent cependant, philosophiquement et juridiquement jugées, parce que leur étude enseigne qu'au sein de la colonisation latino-américaine les conflits et les intérêts des populations et des droits réclamérent des solutions.

LOIS DES INDES. Les Lois des Indes d'Espagne sont dignes de l'admiration de notre temps et de l'histoire. Elles forment un code de colonisation scientifique, sagace et humanitaire qui embrasse les relations multiples de droit Public, Privé, Administratif, Canonique et Militaire dans le gouvernement de ces pays lointains. Elles surpassent les lois et les idées philosophiques de leur temps dans les procédés de la colonisation, dans les solutions civiles et pénales, dans les émouvants sentiments d'amour et de charité avec lesquels elles règlent la protection et la conservation des Indiens et de leurs biens; dans la liberté partielle des esclaves; dans les scrupuleuses doctrines et règles sur la morale administrative, politique et privée, dans les relations des Espagnols entre eux et avec les races autochtones, dans les systèmes de gouvernement des intérêts royaux et municipaux et dans les solutions sages et fréquentes sur le droit international privé.

La Grande-Bretagne, nation colonisatrice par excellence dans les derniers siècles, a fait la preuve de la sagesse des plans des Lois des Indes, fondées sur ce principe: la découverte, la conquète et la colonisation au moyen des initiatives privées unies à l'action de l'Etat. De nos jours, les plans et les moyens de colonisation de la Grande-Bretagne ne sont ni plus originaux ni plus justes. Si les Lois des Indes avaient été toujours appliquées par des hommes sincèrement religieux et instruits, et non par des fanatiques, par des aventuriers ou par des soldats religieux dans leurs discours, mais à l'âme vicieuse, si l'Espagne avait disposé alors, comme les nations modernes, de la vapeur et de l'électricité pour les communications terrestres et maritimes, si au lieu de se trouver à six mois, à un an et plus de voyage, de ses colonies, elle s'était trouvée à

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