L'enseignement du Droit International Privé en Europe et en Amérique (1) (Suite) J'ai déjà rappelé l'influence de l'éminent juriste brésilien Lafayette Rodriguez Pereira, sénateur, ministre d'Etat et conseiller pendant l'Empire, sur le développement des études du droit international au Brésil. Son œuvre académique a été résumée en 1902 dans un ouvrage dont voici le titre : Principios de Direito Internacional, Rio de Janeiro 1902, tome I, 488 pages; tome II, 484 pages, suivies d'un index alphabétique. Quoique d'un caractère général, il aborde aussi les problèmes du droit international privé. Méritent d'être rappelės, spécialement les chapitres qui traitent les questions de la nationalité au point de vue des relations internationales des étrangers, de la propriété littéraire, artistique et industrielle, des services internationaux administratifs et économiques et des agents diplomatiques et consulaires. Dans son chapitre sur la souveraineté vis-à-vis du territoire, l'auteur a dû poser les bases de sa doctrine. Il reste fidèle aux traditions féodales, d'après lesquelles le territoire est une manifestation essentielle de la souveraineté nationale. J'aurais préféré compter un si éminent publiciste sudaméricain dans les rangs de ceux qui attribuent à l'état moderne un concept tout à fait politique, indépendant du fait du territoire. Dans d'autres termes, la souveraineté est un concept éminemment juridique. Le territoire n'est pas la cause, mais simplement un effet des associations humaines, qui une fois constituées politiquement sous l'influence d'idéaux communs, se fixent sur un territoire et l'élargissent, s'il le faut, par la raison ou par la force. La souveraineté est donc antérieure et supérieure au territoire. Celui-ci n'est pas une cause politique, mais un élément de l'Etat. (1) Cf. ce Bulletin IV, 225; V, 289; VI, 411, En conséquence, les modifications juridiques de l'Etat se manifestent d'abord par le pouvoir de la législation absolue, quand il ne se subordonne pas à d'autres pouvoirs extérieurs; et par deux éléments physiques, la population et le territoire. Un petit groupe d'hommes suffit pour fonder des nationalités ou pour changer la condition politique des deux éléments physiques de l'Etat. L'histoire nous offre nombre d'illustrations à ce sujet. Qu'on se rappelle par exemple l'expédition des Mille de Marsala en Italie, et, dans l'Amérique du Sud, l'exploit glorieux des trente-trois patriotes de la République de l'Uruguay qui la fondèrent, l'arrachant à la domination du Brésil, après une invasion aussi audacieuse qu'heureuse. Ce concept de l'Etat ne me semble pas clairement établi dans ce remarquable livre, comme il était nécessaire pour aboutir aux conséquences du droit de la souveraineté sur les personnes et sur les biens. C'est pourquoi, sans doute, l'éminent auteur exagère le droit de la souveraineté sur les nationaux quand même ils se seraient établis dans un pays étranger. Si je me permets d'observer ses conclusions à ce sujet, c'est simplement parce que la nation brésilienne et ses hommes de talent jouissent d'une autorité politique bien méritée. Ses doctrines et ses lois peuvent exercer une influence salutaire au préjudice du Nouveau Monde. Il me semble en effet dangereux pour les nouveaux Etats, formés par l'immigration européenne, d'accepter ou de favoriser les doctrines des grandes puissances, qui, à ce point de vue, ont des intérêts et des tendances opposées aux intérêts et aux tendances des constitutions américaines, telles que celles de la République Argentine et du Brésil. Il est répugnant à l'esprit de celles-ci le caractère absolu que l'auteur attribue à l'obéissance du national aux lois et aux décrets de sa patrie, alors même qu'il se sera établi dans un pays étranger. Par suite de ces idées, le juriste brésilien considère les nationaux émigrés comme étant toujours soumis à la loi militaire, sous peine de perdre la nationalité s'ils ne rentrent pas une fois convoqués au service. Les nations américaines, les Etats-Unis et la République Argentine, n'acceptent pas cette extension de la loi nationale: et il n'est nullement convenable au Brésil de l'accepter. Les plus hauts intérêts politiques, sociaux et économiques des pays d'immigration s'y opposent. Les puissances européennes, en effet, ne demandent autre chose sinon que les pays du Nouveau Monde acceptent leur principe de la loi nationale pour régir le status personnel au point de vue des relations politiques et privées. Le triomphe de sa doctrine, son incorporation au droit international du Nouveau Monde, comportera la dénaturalisation de ses nationalités, l'impossibilité de donner de la cohésion politique et sociale aux foules immigrées et la coexistence des législations privées étrangères, se substituant souvent au droit national. Le régime de la famille et de la propriété serait profondément troublé, et la confusion et l'incertitude règneraient dans les relations privées des habitants. Toutes les objections opposables au système de la loi nationale seraient applicables dans cette opportunité; le temps d'y insister en cet endroit me fait défaut. L'auteur considère également soumis à la loi pénale de la patrie, les sujets, qui de l'étranger, violent la dite loi, soit visà-vis de l'Etat, comme dans le cas de falsification de monnaie, de conspiration, etc., soit vis-à-vis des personnes, des biens et des droits de ses concitoyens résidant dans le pays (I, 216). Je trouve dans cette doctrine des confusions qu'il faut rétablir en défense des intérêts institutionnels des pays sudaméricains. D'abord la responsabilité pénale mentionnée est commune à tous ceux qui de l'étranger attaquent le droit souverain dans l'Etat. Que le délinquant soit national ou étranger, l'Etat dont les lois auront été violées, a le même droit de châtiment dès qu'il soit rentré dans sa juridiction volontairement ou à la suite des traités et de la procédure de l'extradition. Soit par exemple le cas d'un crinie, d'une falsification de documents du Brésil commis à l'Uruguay par une bande composée d'Argentins et de Brésiliens. Ils seront donc responsables devant les tribunaux du Brésil, sans égard à la nationalité, s'ils sont livrés par l'Uruguay et par la voie d'extradition ou s'ils se rendent volontairement au territoire dont ils ont violé les lois. Cette responsabilité criminelle n'est pas une conséquence du principe de la nationalité, mais une consé quence naturelle de la doctrine de droit international privė qui se rapporte aux délits commis en dehors du territoire. Que l'éminent publiciste brésilien excuse ces observations que je ne fais qu'inspiré par ane haute pensée politique, par un besoin impérieux de protéger le développement des nations sud-américaines des doctrines dont l'acceptation débiliterait leur existence nationale. Toutefois, je suis heureux de constater l'importance scientifique de l'œuvre de M. Lafayette. Par sa méthode, par son information et par le rare mérite d'être synthétique, c'est-à-dire d'exprimer beaucoup dans peu de pages, elle se recommande comme un texte théorique et pratique, excellent pour les études universitaires et pour les complications de la vie politique. A ce point de vue, je rends l'hommage de mon admiration à l'illustre homme d'Etat du Brésil. Il faut rappeler finalement un ouvrage de José da Silva Costa en deux tomes, Direito Commercial Maritimo (Rio de Janeiro, 1900). C'est un travail de condensation organisé d'après la doctrine de Von Ihering, de la simplification quatitative et qualitative en matière de code et de législation. Cet ouvrage en deux volumes couvre les questions les plus importantes du droit maritime, d'après l'état actuel de la science. Quoique inspiré principalement dans le droit français, il ne manque pas d'informations d'autres sources avançant jusqu'aux règles de York-Amberes sur les avaries (1). XII. L'enseignement du droit international privé à la République du Chili commence à peine, et d'après mes informations officielles, on n'a pas reconnu à cette science toute l'importance qu'elle a pour les intérêts de l'Amérique du Sud. Il n'y a que deux Universités dans la République, l'une officielle et l'autre populaire. La première est l'Université maintenue par l'Etat. La seconde a été fondée par les catholiques. (1) Cette étude sur l'enseignement du droit international privé au Brésil a été accueillie dans ce pays avec la plus haute bienveillance. M. Gastao da Cunha, membre du Congrès Fédéral, m'écrit de Rio de Janeiro, le 4 juillet, ce qui suit : « J'ai lu avec une véritable admiration votre travail sur la codification au Brésil, détaillé et brillant comme ne le ferait mieux un national. Je l'ai traduit en portugais et il sera publié dans le Jornal do Commercio. » M. da Cunha est, de nos jours, un des talents les plus éclairés du Brésil, Les deux fonctionnent à la ville de Santiago, capitale de la République. Des cours de droit international privé sont dictés dans les deux Universités, comme un accessoire du droit international public. Le professeur de l'Université de l'Etat, M. Miguel Cruchaga Tocornal, a publié un traité élémentaire intitulé: Nociones de Derecho Internacional (Santiago de Chile, 1899), dans lequel il ne mentionne même pas les questions de droit international privé. On a publié une nouvelle édition en 1902. A la fin de 1901, le gouvernement du Chili approuva un nouveau plan pour les études de droit, ajoutant à la troisième année universitaire le droit international privé. Un avocat, M. Robustiano Vera, employé à la Cour Criminelle de Santiago, avait rédigé en 1887, des résumés des ouvrages de Fiori, de Felix, de Demangeat, de Torres Campos, d'Aspiazu et d'Asser, qui furent donnés aux plénipotentiaires de la République du Chili au Congrès de droit international de Montevideo. En 1902, ces résumés furent augmentés par l'auteur, et publiés dans un volume de 433 pages, sous le titre de : Principios Elementales de Derecho Internacional Privado (Santiago de Chile, 1902). C'est un livre de vulgarisation didactique. Il ne répond ni à un plan scientifique ni à des idées personnelles ou nationales sur cette science. Au point de vue didactique même, il laisse beaucoup à désirer et ne remplacera jamais, avec succès, les manuels modernes européens, tels que ceux de Weiss, de Surville et Arthuys, d'Audinet, de Torres Campos et d'au tres. L'influence donc des deux Universités du Chili dans le développement du droit international privé est encore faible. Cette science est aussi enseignée en même temps que le droit international public dans le lycée de Concepcion et dans l'école libre de droit de Valparaiso. Ce sont des cours superficiels. Dans la littérature juridique, la République du Chili nous offre des travaux importants sur cette science. Citons d'abord un ouvrage sur le droit international privé et la législation chilienne écrit par Favre en 1892. Le professeur de droit intertional public, Cruchaga Tocornal, dont le programme a été |