dont j'ai entretenu les lecteurs de ce Bulletin à plusieurs reprises. Les quatre premiers volumes publiés jusqu'en 1901 furent couronnés par l'Académie des Sciences Morales et Politiques de France, en 1902, avec le prix Wolowski. Ce prix a le suffrage universel, car le Traité de notre éminent confrère est un travail méthodique qui contient le point de vue historique, le développement intermédiaire et moderne et la doctrine scientifique, la plus préférée de notre époque, sur les graves questions du droit international privé. D'un style clair, sobre et vigoureux, cet ouvrage expose aisément les problèmes et fonde les solutions dans une synthèse universelle de jurisprudence comparée, qui révèle un travail extraordinaire, un esprit critique très pondéré et une érudition qui cherche la lumière dans les documents des grandes nations ainsi que dans la vie juridique des peuples les plus faibles. Ce qui est surtout frappant dans cet éminent auteur, c'est l'orientation soutenue vers la liberté civile de sa doctrine. Ecrivant lui-même, dans un pays où le droit féodal conserve encore des racines profondes, avec ses codes de 1804 et de 1808, quoique savants, arriérés en relation aux nouvelles exigences et aux nouveaux aspects de la civilisation, il a dû trouver à chaque instant la barrière du concept féodal de l'ordre public, de la restriction exagérée aux droits de l'étranger, des fondements utilitaires du droit international privé et des hésitations de la jurisprudence et de la doctrine devant les besoins de la vie juridique contemporaine. Il a su vaincre, toutefois, les difficultés qui en découlent, les ménageant de telle sorte que, sans se laisser entraîner par un esprit révolutionnaire, il abandonne les horizons limités du passé pour cultiver les solutions les plus amples, marquant des directions nouvelles à la réforme de la législation et de la jurisprudence française. Entre Fœlix et Weiss il y a la distance qui sépare les époques de la féodalité et celles de la liberté. Ces deux ouvrages jalonnent merveilleusement la grande évolution du droit français, réclamée par l'état de la science et par la responsabilité de la France en matière de droit international. Les idées fondamentales de M. Weiss, quoiqu'opposées à nos convictions, et à nos intérêts au point de vue des systèmes de la loi nationale et de celle du domicile, sont les nôtres quant au but d'assurer la protection de la liberté civile des hommes. Car les questions de la loi nationale et de celle du domicile ne sont pour nous autres américains, que de simples moyens de solution, découlant tous deux du principe fondateur de la communauté de droit. Voilà pourquoi l'ouvrage de Weiss a été accueilli avec sympathie dans tous les pays de l'Amérique. Ces points de vue ont été éloquemment confirmés par l'éminent professeur dans l'avant-propos du cinquième volume. Voici des idées élevées et des sentiments patriotiques dignes et réformateurs, exprimés avec la plus haute éloquence: Le droit de l'étranger ne serait qu'une illusion décevante, s'il n'y avait en tout pays, à Paris et à Londres aussi bien qu'à Berlin, des juges pour les dégager, pour les reconnaître, pour mettre à son service toutes les voies de poursuite, d'exécution et de contrainte dont disposent les nationaux eux-mêmes. L'étranger a droit à la justice, en quelque lieu qu'il se trouve, en quelque lieu qu'il ait des intérêts à défendre; il y a droit comme à la vie, comme à la lumière, comme à l'air qu'il respire, parce qu'il est un homme; il y a droit, parce que son état, ses relations de famille, sa propriété, en un mot sa personne juridique toute entière se réduirait, sans cela, à une formule théorique. Refuser à celui qui n'est pas membre de la cité, l'accès et la protection des tribunaux, ce serait le livrer désarmé à toutes les entreprises et à toutes les fraudes, et donner à la mauvaise foi une scandaleuse excuse : ce serait reprendre d'une main les facultés qui ont été conférées de l'autre, et faire de cette générosité même la pire des hypocrisies; ce serait dire aux étrangers : Venez, vivez, agissez, contractez librement parmi nous et avec nous; mais, dès que vos droits seront contestés, dès que les engagements pris envers vous seront méconnus par un débiteur peu scrupuleux, nous ne vous connaîtrons plus, vous n'aurez à compter que sur vous même. La justice, notre justice, n'est pas faite pour vous.!! L'intérêt de l'Etat, qui est d'appeler, de retenir sur son territoire les capitaux et les industries des autres peuples, d'ouvrir sans cesse à l'activité nationale des marchés et des débouchés nouveaux, et d'écarter de ses ressortissants émigrés, par une large et prévoyante hospitalité, tout prétexte de violence ou de retorsion, ne proteste pas moins que la logique et que l'équité contre un pareil langage; il réclame l'égalité de l'étranger et du régnicole dans le prétoire comme dans la jouissance des droits civils; il veut qu'au triple point de vue de la compétence judiciaire, de la procédure et de l'exécution des sentences, l'étranger soit traité comme le national. Sans doute la loi française et la jurisprudence française sont encore bien éloignées de ce but élevé; mais un mouvement d'opinion se dessine qui ne tardera pas, nous en avons l'espoir et la conviction profonde, à emporter les dernières barrières, à foreer les dernières résistences, à faire triompher chez nous, comme par delà de nos frontières, cette idée que, si les juges et les justiciables ont une patrie, la justice n'en a pas, qu'elle n'est ni française, ni étrangère, mais simplement et d'un seul mot la justice. Voilà l'esprit de l'ouvrage de l'éminent professeur de Paris; voilà les idéaux qui inspirent la constitution, les lois et la jurisprudence de la République Argentine. J'adhère donc de grand cœur à ces brillantes paroles du publiciste Weiss, heureux de pouvoir travailler humblement dans la chaire et dans les pages de ce Bulletin, à la réalisation de l'égalité juridique des hommes. L'avant-propos de M. Weiss, ci-dessus confirme, dans son haut esprit scientifique et philosophique, ma propagande en faveur de la suppression des barrières des nationalités pour arriver à la protection de l'homme, parce qu'il est tel et non pas un sujet. Indirectement, il semble confirmer mes vues philosophiques, selon lesquelles on doit écarter des solutions du droit international privé, l'influence absolue du principe politique de nationalité, laissant au droit privé la liberté d'agir sur le terrain exclusivement juridique, avec les limitations de l'ordre public et les atténuations recommandées par la raison et compatibles avec la liberté civile. J'ai déjà dit que, pour moi, l'application de la loi nationale ou celle du domicile, dans le droit international privé, ne sont que des moyens de solution. L'exclusion absolue de l'un pour l'autre ne peut conduire qu'au sacrifice des droits de l'homme, qu'on a le devoir de protéger. Il faut chercher et trouver un terrain de conciliation. J'ai développé cette idée fondamentale dans ce même numéro du Bulletin en discutant les conventions de La Haye. Revenant au cinquième volume du Traité, de M. Weiss. Il contient, après l'avant-propos transcrit, un index bibliographique en trente pages. Quoiqu'incomplet, il contient toutefois tout ce qui est écrit en Europe de plus autorisé sur la matière spéciale du volume. La bibliographie est toujours incomplète en Europe; les pays d'outre-mer offrent de nombreux titres qu'elle ne connaît pas. Ensuite, l'auteur nous donne un précis historique sur les origines de la matière dans le droit grec et romain. Les étrangers avaient une situation nette dans la justice antique. Avant les Grecs et les Romains, l'Orient offre des exemples que l'auteur n'a cru convenable de traiter, mais qui sont les sources où les Grecs et les Romains puisèrent leurs institutions protectrices des étrangers. Les Egyptiens, les Assyriens-Chaldéens, les Israélites, et entre ceux-ci d'autres peuples, avaient parmi leurs institutions judiciaires, les juges des étrangers et les lois de procédure spéciales pour les protéger. Les travaux des savants français, depuis Oppert et Ménant jusqu'à Réveillou, nous en fournissent des preuves abondantes. C'est de l'Orient que la Grèce a reçu l'institution des χενοδικαι et des ναυτικιον, ainsi que Rome prit de l'Orient l'inspiration qui aboutit au pretor peregrinus. Les ouvrages de Perrot et de Clerc, spécialement ce dernier, nous offrent un tableau remarquable de la justice des étrangers en Grèce. Je trouve ce chapitre très limité dans l'ouvrage du professeur Weiss. Ces origines anciennes, puisqu'on les traite, méritent d'être présentées d'une manière plus complète, en pleine lumière, comme des bases véritables du droit moderne à plusieurs points de vue. Cette idée est reconnue par l'auteur dans le chapitre sur Rome, dont le développement est plus considérable, quoique le tableau de la justice des étrangers ne soit pas aussi complète et claire qu'il pourrait l'être. Nous admirons dans les universités américaines les travaux merveilleux des écoles allemandes. Voigt, Mommsen, Von Yhering, Savigny, Zimmerm, Puchta, et d'autres auteurs éminents ont fait des révélations merveilleuses sur l'évolution progressive de la justice des étrangers à Rome. A côté de ces savants allemands nous admirons aussi sans réserve la monographie de Mr. Charles De Boeck, lauréat de la faculté de droit de Paris, sur le Préteur Pérégrin. Il prouve ainsi que les sources allemandes où il a puisé sans cesse, que les étrangers, même les barbares perigrini sine certæ civitates, étaient parfaitement garantis dans l'administration judiciaire de par le droit prétorien de fonds et de forme. Je trouve que ces institutions anciennes sont une leçon perpétuelle et une source inépuisable d'inspiration pour nos temps. Le troisième chapitre de la partie historique se rapporte à l'ancienne loi française, matière dans laquelle le professeur Weiss est un maître incomparable. Le titre second est consacré au droit français actuel. C'est un exposé de trois cents pages, qui comprend une étude théorique et pratique sur la compétence des tribunaux français à l'égard des étrangers. L'auteur examine minutieusement les cas de français contre étrangers, d'étrangers contre français et d'étrangers contre étrangers. Le titre troisième comprend quatre-vingt pages sur la législation comparée en rapport avec les questions exposées. Les pays extra-européens, à l'exception du Congo, de la Turquie, de l'Egypte et de la Tunisie n'y comptent pour rien. Il est vraiment regrettable pour nous les américains que l'éminent professeur n'ait pas dédié une cinquantaine de pages à exposer et expliquer aux savants européens, les institutions pour la protection judiciaire des étrangers dans le Nouveau Monde, spécialement dans les Républiques des Etats-Unis et Argentine. Leurs constitutions ont créé une compétence spéciale, une justice de privilège pour la plus parfaite garantie des étrangers en justice. Ils sont ainsi protégés contre les préjugés locaux et contre toutes les barrières et les complications que trouve l'étranger dans la vie juridique. Les institutions américaines et argentines sont à ce point de vue de véritables conquêtes de la liberté civile, avec une organisation si ingé nieuse que forte. Inspirée dans le droit oriental, des grecques et des romaines, cette justice privilégiée des étrangers se présente sous des formes nouvelles et apparentes. Elles ont développé dans le Nouveau-Monde une véritable politique civilisatrice et colonisatrice, contribuant énergiquement à la puissance et à la richesse des deux grandes républiques situées dans les deux extrémités du Nouveau Monde. Mais cette lacune de l'ouvrage, et je dis lacune seulement parce que la législation comparée entre dans son plan, ne doit pas être imputée à l'éminent auteur. A nous autres américains, revient la plus grande part de la responsabilité, car nous avons omis la propagande nécessaire pour faire connaître nos progrès au monde scientifique. La langue espagnole, belle, sonore, riche, peut-être incomparable, que le cardinal Gibbons, dans un banquet que j'eus l'honneur de lui offrir à Washington, appelait la lange des Dieux, nous isole du monde et nous maintient presque ignorés. Nos constitutions et |